Dimanche 17 juin 2007 à 12:23




Samedi 16 juin 2007 à 18:20


Décidément, Que-vent-emporte est un fumiste ; et vous, des naïfs, parce que vous le prenez au sérieux.

Est-ce que vous avez déjà vu souvent des gens en pyjama qui creusent des trous à quatre heures de l'après-midi pour trouver le sens de la vie ? Est-ce que vous avez même vu ça seulement une fois ? Je parie que non.

Et pourquoi ?
Parce que chercher le sens de la vie, c'est casse-pieds au possible et ça ne sert absolument à rien.
La vie, c'est automatique ; ça vous est collé sur le dos avant même que vous soyez capable de vous en apercevoir et ça fonctionne tout seul, qu'on lui donne un sens ou qu'on ne lui en donne pas. A la naissance, vous vous retrouvez avec une belle pile Duracell dans le ventre et hardi petit ! votre cœur fait tic tac et, comme les peluches de la pub, vous suivez votre chemin. Bien sûr, quand la pile a craché ses derniers électrons les autres vous retrouvent à plat ventre sur le carreau, mort comme une merguez, mais cela ne vous concerne plus. Et, tant que ça durait, sens ou pas sens, la vie exécutait son petit tour de piste.
Autrefois, dans les temps héroïques, quand il fallait trimer 20 heures par jour, subir douze invasions barbares et quinze épidémie de peste dans l'année, être coursé par les ours, bouffé par les loups, grignoté par les rats, et même rôti par des dragons fumants, on pouvait bien se poser des questions, se demander si ça valait la peine de crever de faim, de grelotter tout l'hiver, d'avoir tout le temps mal aux dents et de patauger dans la boue. Alors là, rien que pour savoir s'il ne valait pas mieux en finir tout de suite, on pouvait bien s'interroger sur le sens de la vie.

Mais maintenant qu'on a le chauffage central, la télé, le MacDo et Nicolas Sarkozy, la vie, est devenue une partie de plaisir, une occasion unique de s'éclater, de faire du fric, je jouer à l'enfant, dans un maxi-super parc de loisirs bien organisés et pas si chers que ça. Ne te prends pas la tête ! Laisse-toi conduire là où ça te mène. Du côté où ça penche, c'est là qu'il faut aller. Avec TF1 ou sur MSN, tu ne verras pas le temps passer. Tu ne feras rien d'utile, mais tu ne t'en apercevra même pas et tu ne mettras pas ta vie en danger. Tout le secret de la civilisation est là.

Vachement astucieux, la civilisation.
Une organisation d'enfer. C'est réglé comme du papier à musique. Tu passes les trente premières années de ta vie à te trouver une place dans la grande machine à produire. Tu lui fais les doux yeux, elle te fait patienter, tu perds tes illusions, tu galères, tu finis par accepter le boulot le plus lamentable, tu te demandes même si tu seras à la hauteur et, à la fin du compte, quand tu as ravalé toute ta fierté et définitivement enterré tes rêves d'enfant, tu remercies le ciel d'être encore en piste et de ne pas faire la manche à la sortie du métro. Dans ces conditions, le sens, il est facile à trouver, c'est celui de la marche et il est unique. Ça ou rien. Aucune raison de faire le philosophe.

D'autant plus qu'il y a la récompense. Tu ne voudrais tout de même pas être assez con pour qu'elle te file sous le nez, la récompense ! Quand tu as passé par le grand laminoir, que tu as sacrifié tes ambitions mais que tu commences à gagner des sous, tu gagnes aussi le droit de te racheter une vie, une apparence de bonheur, un ersatz d'espérance. Il suffit de faire le tour de la grande machine, en suivant l'écriteau « consommation ». Tu t'abonnes, tu paies et ça te chie une existence aux petits oignons : un peu minable, mais sans surprise ; du bonheur industriel à la tonne, joli côté pub, médiocre côté réalité, mais accessible tout de suite et qui colle à tes désirs, comme le nutella au goût des enfants. Pour te dispenser de perdre ton temps à t'inventer un destin, on t'en fournit un tout fait, plug and play.

Comment est-ce possible ? tu demandes.
Pour soigner les maladies, on a inventé un arsenal de pilules ; la misère physique des hommes est une aubaine pour ceux qui ont su en faire un marché, et ça fonctionne : les malades sont un peu moins malades et les industriels s'enrichissent. C'est exactement la même chose pour les brûlants désirs, les ardeurs métaphysique, les élans mystiques. Quand un bébé pleure, on ne spécule pas sur ses doutes existentiels ; on lui colle une tétine dans la bouche et il se calme. Les philanthropes d'aujourd'hui ont compris qu'au vague à l'âme, au manque, au désir qui ne sait pas ce qu'il désire, on pouvait toujours répondre par un choix judicieux de hochets. C'est le marché de la vie. Tu paies et on te fourre plein de jouets dans les mains, des bonbons dans la bouche, du spectacle dans les yeux et de la musique dans les oreilles. L'astuce, c'est qu'on te donne les réponses qui te conviennent avant même que tu aies le temps de poser les questions. Alors,  tu ne risques plus de te confronter à l'obscurité de la nuit, au silence de ton cœur, à la sécheresse sublime des lettres alignées sur la page blanche.
Le spectacle est partout, la musique ne s'arrête jamais, le look vaut pour une personnalité, mille écrans t'offrent à journée faite le visage du bonheur.
Et, de temps en temps, un petit coup d'œil bien formaté sur le vaste monde, pour te faire froid dans le dos et  pour que tu n'ailles pas mépriser ton doux confort. Boudiou, ce qu'on est bien chez soi !
Tout ça, juste assez bon marché pour que tu te croies capable de te le payer à condition de mettre le turbo au boulot, et juste un poil trop cher pour que tu salives un brin : ça entretient l'envie. Une dose modérée de frustration, ça aide à penser au lendemain, ça organise le temps, on achète plus et la vie passe plus vite.
De toute manière, ça ne dure jamais que quelques décennies. Une existence, c'est plutôt facile à meubler. Un peu de bruit dans ta tête, de brume dans ton cerveau, du spectacle plein les yeux : c'est bien assez pour une vie d'homme.

Alors, oubliez les quêteurs de sens.
Avec ses grands discours, Que-vent-emporte, il se fout de la gueule du monde et de la vôtre avec. Rentrez chez vous, il n'y a rien à voir. Mais n'oubliez pas d'aller voter dimanche.
Faudrait surtout pas que ça change !


                                                                        Barnabé


Jeudi 14 juin 2007 à 15:14


- Mais que font-ils, tous ces gens ? Les uns se promènent avec une lanterne, en plein jour, comme Diogène ; j'en vois d'autres qui creusent des trous un peu partout avec des pelles de jardin, des pelles à neige, des bêches, des truelles de maçon et des pelles à gâteau ; et là-bas, il y en a trois, à plat ventre dans les buissons. Qu'est-ce qu'ils peuvent bien faire  ?
- Ils cherchent.
- Et quoi donc ?
- Le sens de la vie.
- Ah bon … Et pourquoi sont-ils tous en pyjama ou en chemise de nuit, ou même tout nus, comme ce drôle de petit bonhomme, là-bas, au milieu du pré ?
- Ils ne veulent pas commencer la journée avant d'avoir trouvé.
- Mais il est déjà quatre heures de l'après-midi !
- Peu importe, c'est une priorité pour eux : ils cherchent d'abord.
- Et ils trouvent ?
- Non, alors ils continuent de chercher. Ils ne veulent pas avoir affaire à la vie avant de savoir à quoi elle sert. C'est logique, non ?
- Peut-être, mais supposons que par malheur ils ne trouvent pas …
- Alors ils continuent à chercher. Quand ils meurent …
- Sans avoir trouvé ?
- Sans avoir trouvé – ne m'interrompez pas ! - , d'autres les remplacent.
- Donc, si j'ai bien compris, ils cherchent en vain le sens d'une vie qu'ils ne vivront jamais ?
- On peut dire cela, en effet.
- Et à défaut du sens de la vie qu'ils n'auront pas, ils ne se posent aucune question sur celle qu'ils sont en train de mener ?
- Non, puisque ce n'est pas la vraie vie. Seule la vraie vie peut avoir un sens.
- Et vous ? Vous n'êtes pas en pyjama et apparemment vous n'êtes pas en train de chercher…
- Moi ? Je vends les pelles et les lanternes.


Lundi 11 juin 2007 à 19:22


Qu'il était beau, le monde familier de l'enfance ! Un de ces paysages pimpants comme on les découvre juste après l'averse : lumineux, frais, sentant la terre mouillée.

Mais on l'avait mis en garde : « Fais bien attention, il y a un gouffre quelque part. Regarde bien où tu mets les pieds, ne va surtout pas tomber dedans ! »
Il demandait alors : « Dites-moi où il est ; si vous me le dites, ce sera bien plus facile pour moi de faire attention ». Et on lui répondait vaguement qu'on ne savait pas exactement où il était, qu'on se souvenait bien de quelqu'un qui l'avait aperçu, mais que personne ne pouvait vraiment dire…  Une seule certitude cependant :  le gouffre existe.
Alors il ouvrait tout grand les yeux et sondait le terrain devant ses pieds. Par chance, le gouffre n'était jamais sur son passage et sa peur s'étiolait peu à peu, et tournait à une espèce de confuse déception.
« Parlez-moi de ce gouffre », demandait-il parfois. Alors, on le régalait de belles paroles. « Quelle calamité que ce gouffre dans un monde si beau ! », soupiraient les uns ; certains affirmaient doctement: « Le gouffre donne tout son sens au monde, c'est sa vérité » ; d'autres rectifiaient aussitôt : « Le scandale de ce monde, oui, le scandale ! » Pour les plus optimistes, l'entrée du gouffre était dissimulée bien loin des chemins battus, au cœur d'une forêt impénétrable ; mais les plus fanatiques agitaient la menace d'une bouche énorme prête à s'ouvrir aux endroits les plus inattendus pour tout engloutir. Des esprits forts s'en amusaient ou faisaient semblant. Les enfants jouaient parfois au gouffre. Un effaré proclamait parfois : « Le gouffre, c'est moi ! Je suis le gouffre ! » et tous le frappaient pour qu'il se taise, ce briseur de tabou.

La présence obsédante de ce gouffre invisible avait donc pourri son enfance. En grandissant, il s'était demandé s'il ne s'agissait pas d'un conte, d'une mauvaise plaisanterie, d'une ruse d'adulte pour vous mettre d'emblée à l'abri du bonheur. Il restait méfiant, cependant, scrutant toujours le sol devant ses pieds. Les yeux lui sortaient de la tête.

Cette histoire de gouffre devenait usante. Elle interdisait tout abandon à la beauté de ce monde, enlevait aux rêves les plus profonds toute chance d'accomplissement.
Un beau jour, devenant adulte, il en eut assez et décida de relâcher son attention. Il s'étendit sur le sol, ferma les yeux et s'abandonna, en équilibre à la frontière du songe et de la réalité. Et alors, à l'abri de ses paupières fermées, son regard, devenu tout intérieur accrocha une ombre flottante. Il comprit. C'était le gouffre. Ce gouffre dont on lui avait rebattu les oreilles. Il était là, non pas en un point quelconque du paysage, mais ici, à l'intérieur de lui-même : vertigineux, ténébreux, effrayant.
Toutes ces années durant lesquelles, le regard tendu en avant, il avait si frénétiquement cherché le gouffre au dehors l'avaient provisoirement mis à l'abri de cette découverte : il ne s'était jamais tourné vers son monde intérieur.
Instantanément, il mesura toute la portée de l'événement.
Pourtant, bien plus que le gouffre lui-même, ce qui le terrorisait, c'était l'idée que quelqu'un pourrait apprendre la vérité. Ecrasé par cette révélation convaincu d'être lui-même le mal absolu, il pouvait néanmoins se retenir, faire semblant. Par tout l'extérieur de son être, il demeurait présentable : rien n'avait changé dans son apparence. Il décida donc de donner le change. Il se garda de toute allusion au gouffre et si d'aventure un enfant ou un adolescent l'interrogeait, il devenait à son tour évasif. Pourtant, il se savait irrémédiablement anéanti, parce que le gouffre, c'est le mal. « Pourquoi moi ? Pourquoi ? » se demandait-il.

Le pauvre ! il ne se rendait pas compte que cette découverte du gouffre, tous ceux qui l'entouraient l'avaient faite, chacun à son tour, saisis par le même vertige intérieur. Et chacun s'en accommodait vaille que vaille.
En public, on feignait de croire que le gouffre était ailleurs, nécessairement ailleurs, au point même que certains en arrivaient à oublier sa présence; mais en privé, c'était une autre affaire.
Chacun soupçonnait plus ou moins l'hypocrisie des autres mais se gardait farouchement de tout sous-entendu, craignant de se trahir soi-même.


Lundi 11 juin 2007 à 15:55



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