Toute représentation du réel impassible, indifférent, familier, véhicule sa part d'angoisse. Tu crois que la photographie vient innocemment du réel à toi, qu'elle se résume à la capture d'un jeu de lumière. Ne vois-tu pas qu'avant tout elle part de toi et révèle l'état de ton regard ?
Vendredi 6 avril 2007 à 18:32
Toute représentation du réel impassible, indifférent, familier, véhicule sa part d'angoisse. Tu crois que la photographie vient innocemment du réel à toi, qu'elle se résume à la capture d'un jeu de lumière. Ne vois-tu pas qu'avant tout elle part de toi et révèle l'état de ton regard ?
Mercredi 4 avril 2007 à 17:41
Cette nuit-là, au seuil du sommeil Barnabé émit un bâillement formidable qui le propulsa dans le plus beau, le plus long, le plus étrange voyage que l'on pût faire. Tandis qu'il basculait dans le pays des rêves, il vit passer tout son corps par sa bouche grande ouverte. En un instant, il se retourna comme un gant. Sa peau repliée sur elle-même formait maintenant comme une toute petite boule. Et tout autour, le réseau irisé des ses entrailles se déployait jusqu'aux confins du vaste univers, lequel fut son monde intérieur, tant que dura cette nuit-là. Il avait tout absorbé, il était tout, et pourtant il se sentait léger, léger, léger.
Comme il avait aussi capturé l'écheveau du temps dans son rêve, il eut tout le loisir d'entendre au fond de lui le beau chant de l'éternité et de l'espace confondus.
Au milieu d'un vaste champ d'étoiles, de planètes émouvantes et d'astres morts, il perçut ce grand cri de lumière où s'accrochent miraculeusement intacts tous les espoirs déçus dans leur état d'avant la trahison, toutes les attentes vaines ramenées au moment où tout demeure possible, la confiance outragée comme elle était avant l'outrage, le corps parfait d'avant la blessure, l'âme désespérée rendue à l'espérance.
Et pendant quelques minutes de notre temps à nous, nous aussi nous fûmes tout cela sans le savoir, poussant des cris de joie dans un tout petit coin de ce cher Barnabé, sûrs que notre tour viendra bientôt de faire ce beau voyage immobile.
Puis, les heures ayant aux heures transmis l'éternelle consigne, la vie ordinaire, plate et mal lavée, se traîna hors de son placard. Barnabé rentra discrètement en lui-même tout doucement, comme un fêtard éméché qui ne veut pas réveiller les voisins.
Il avait tout oublié, comme il se doit ; mais il prit sa plume et jeta sur la blancheur farouche du papier, en lettres dansantes, les prémices d'une nouvelle histoire.
Lundi 2 avril 2007 à 22:34
Mes livres, je les achète à la librairie du village.
Pour accéder à la poésie, il suffit de traverser la cuisine.
Dimanche 1er avril 2007 à 11:34
On croit savoir ce qu'est une langue, on croit pouvoir tout dire d'elle en huit cents règles grammaticales, en soixante mille unités lexicales, en quarante phonèmes, en vingt-six lettres, noir sur blanc. On croit ainsi savoir comment les mots s'assemblent et comment s'organise le sens. Pourtant, le continent du langage est si vaste ! Cette grammaire qui nous est familière, j'en suis convaincu, n'est de toutes les grammaires possibles que la plus triviale.
Je voudrais dire la musicale grammaire des sons, celle des rythmes, de la respiration, du silence entre les mots.
Mais aussi la grammaire des relations inconscientes, de l'envers du sens, de l'errance, la grammaire des parentés incertaines, la grammaire du non-dit qui flotte entre les lignes.
Grammaires chatoyantes, incertaines ou carrément folles, trame solide de tout langage vivant.