Si vous dites qu'on ne peut vivre sans manger, sans boire, ou sans amour, vous énoncez une évidence que personne ne peut contester. Si vous affirmez que la musique vous est nécessaire, on vous comprend aisément : tout le monde sait à peu près en quoi consiste l'expérience musicale, même si certains s'en affranchissent complètement.
En revanche, si vous affirmez, candide, que la lecture est vitale pour vous, sans compter l'écriture, vous entrez dans le domaine des affirmations paradoxales et on vous soupçonne aussitôt des tares les plus inavouables :
« Vous ne seriez pas prof, par hasard ? Vous avez donc si peur de vous frotter au monde réel ? Vous ne travaillez donc pas ? »
Pire encore, on vous soupçonne de vouloir faire l'intéressant, d'afficher votre particularisme par pur snobisme, par pur mépris des autres.
En effet, tout semble prouver le contraire aujourd'hui : on peut être diplômé de l'Université, bien installé dans la vie, fabuleusement riche, ou mieux président d'un très grand pays sans avoir jamais ouvert un livre.
Bref, si vous affirmez que la lecture et l'écriture sont pour vous comme une respiration, vous risquerez fort de passer pour un excentrique.
Quel chemin parcouru en deux ou trois générations ! Dans la belle ville de Piogre où je passai mon enfance et mon adolescence, tout candidat à des études secondaires standard était assujetti au latin et l'on ne sortait pas du bahut sans avoir mordillé un peu partout le grand fromage de la littérature, sans avoir appris à tenir honnêtement la plume. Un festival d'activités austères, souvent ennuyeuses (ne me prenez pas pour un nostalgique), mais, surtout, absolument, délibérément, triomphalement I-NU-TI-LE S au regard les critères actuels.
Aujourd'hui, les études secondaires ont perdu leur caractère généraliste et, surtout, leur ancrage dans la littérature. De ce fait, la lecture n'est plus perçue comme une activité formatrice de base, mais avant tout comme un loisir, un moyen assez rébarbatif de se distraire, largement supplanté par le film ou le DVD. (Au Luna Park, on apprécie les chevaux de bois, mais c'est sur le train de la mort qu'on s'éclate. )
Or, l'écriture et la lecture sont indissociables. Les mots qui viennent sous la plume ne surgissent pas du néant ; il ne naissent pas en nous ; pour qu'ils intègrent notre propre substance, il faut d'abord qu'ils nous parviennent du dehors; ce qui nous est propre, c'est seulement l'élan qui les mobilise. Les mots et, plus que les mots, les liens qui les unissent, ne nous sont disponibles que parce qu'ils circulent en permanence entre nous. Et le circuit le plus fécond en matière de langage, le plus exigeant, c'est la littérature.
L'inspiration est la conjonction du désir inconscient et du flux de mots, de phrases, de représentations qui passe par nous.
Les blogs sont une extraordinaire manifestation du désir de s'exprimer et en particulier d'écrire ; ils illustrent bien la vocation première de toute écriture qui est le déchiffrement de l'expérience humaine et du monde ; pourtant ils gagneraient à être reliés plus étroitement au grand flux de la littérature, ce qui suppose une fréquentation assidue, intime de nos écrivains et de nos poètes.
J'y reviendrai.
Lundi 11 septembre 2006 à 22:15
Dimanche 3 septembre 2006 à 22:38
A l'origine de l'écriture personnelle, il y a le double souci de conserver l'essentiel d'une émotion et de la transmettre. Quant à la lecture, elle consiste à faire éclore en soi une expérience intérieure dont le protocole vient d'ailleurs. Par l'écriture et la lecture, deux subjectivités communiquent.
Le fantasme de la télépathie est la transposition sur un mode délirant de l'expérience de la lecture, qui, elle, est accessible à tous.
Nous avons tous été déçus par des livres universellement célébrés, mais tous, nous avons été emportés par surprise, au hasard de lectures qui ne promettaient rien. C'est que le texte en lui-même est vide ; il ne contient pas lui-même l'émotion dont il procède et dont il conduit le renouvellement. Il est seulement la clé d'une expérience intérieure, qui, pour l'essentiel, dépend de nous.
Et nous avons besoin de cela parce notre univers intérieur s'étend à l'infini et contient de vastes zones inconnues, que nous ne pouvons aborder sans guide. L'exercice de la lecture nous met en présence de ces guides ; à leur insu, le plus souvent, ils nous conduisent à nous-mêmes.
La poésie est l'écriture la plus forte. Le poète sait se tenir à la source, si près qu'il saisit les mots avant même qu'ils ne livrent leur sens et peut les transmettre en l'état, comme de fécondes énigmes. Lire de la poésie, c'est tenter soi-même l'approche de la source. La plupart du temps, on n'y comprend rien, mais parfois le miracle s'opère : un frisson, une bouffée de chaleur, nous informe qu'une porte est en train de s'ouvrir sur une partie de nous-même encore inconnue.
Le fantasme de la télépathie est la transposition sur un mode délirant de l'expérience de la lecture, qui, elle, est accessible à tous.
Nous avons tous été déçus par des livres universellement célébrés, mais tous, nous avons été emportés par surprise, au hasard de lectures qui ne promettaient rien. C'est que le texte en lui-même est vide ; il ne contient pas lui-même l'émotion dont il procède et dont il conduit le renouvellement. Il est seulement la clé d'une expérience intérieure, qui, pour l'essentiel, dépend de nous.
Et nous avons besoin de cela parce notre univers intérieur s'étend à l'infini et contient de vastes zones inconnues, que nous ne pouvons aborder sans guide. L'exercice de la lecture nous met en présence de ces guides ; à leur insu, le plus souvent, ils nous conduisent à nous-mêmes.
La poésie est l'écriture la plus forte. Le poète sait se tenir à la source, si près qu'il saisit les mots avant même qu'ils ne livrent leur sens et peut les transmettre en l'état, comme de fécondes énigmes. Lire de la poésie, c'est tenter soi-même l'approche de la source. La plupart du temps, on n'y comprend rien, mais parfois le miracle s'opère : un frisson, une bouffée de chaleur, nous informe qu'une porte est en train de s'ouvrir sur une partie de nous-même encore inconnue.
Lundi 28 août 2006 à 15:57
A tous ceux qui pensent ne pas être des virtuoses du participe passé et que cela gêne !
L'orthographe française est affectée gravement et de manière chronique par une forme rampante de terrorisme.
Cet admirable instrument de clarté et de précision dans l'expression est détourné de ses fins par des gens peu éclairés qui en usent comme un moyen d'intimidation, et de discrimination. Ils en font le critère d'appartenance à une élite purement fantasmée et parviennent aujourd'hui encore à culpabiliser la grande majorité des usagers légitimes du français et, partant, à limiter l'accès à une parole vraiment libre.
Ne nous laissons pas impressionner !
D'abord, refusons de nous laisser culpabiliser !
Et surtout, rétablissons l'orthographe dans sa fonction véritable, au service de notre propre souci de clarté et d'efficacité !
Qu'est-ce qu'une « faute » d'orthographe à l'intérieur d'un texte qu'on a la volonté et le désir d'écrire ? C'est ni plus ni moins qu'un particularisme d'expression, en d'autre termes un usage individuel (souvent très largement partagé), la manifestation d'une grammaire personnelle, distincte de la grammaire officielle, rien d'autre. Evidemment, une grammaire trop personnelle, ce n'est pas le meilleur atout pour être compris de tout le monde. On peut l'admettre à la rigueur pour commencer, mais il vaut mieux – dans ce domaine tout au moins – se mettre au diapason de ceux à qui l'on s'adresse.
Alors, assumons sans complexes nos erreurs - nos particularismes - s'ils ne nous gênent pas: la seule chose qui compte vraiment, c'est de dire ce voulons dire ; mais ayons aussi le souci d'intégrer petit à petit, et à la seule condition d'en bien saisir la raison d'être et les mécanismes, les nuances qui nous permettrons d'être plus explicites, plus forts dans l'expression, ou simplement plus élégants.
L'orthographe française est affectée gravement et de manière chronique par une forme rampante de terrorisme.
Cet admirable instrument de clarté et de précision dans l'expression est détourné de ses fins par des gens peu éclairés qui en usent comme un moyen d'intimidation, et de discrimination. Ils en font le critère d'appartenance à une élite purement fantasmée et parviennent aujourd'hui encore à culpabiliser la grande majorité des usagers légitimes du français et, partant, à limiter l'accès à une parole vraiment libre.
Ne nous laissons pas impressionner !
D'abord, refusons de nous laisser culpabiliser !
Et surtout, rétablissons l'orthographe dans sa fonction véritable, au service de notre propre souci de clarté et d'efficacité !
Qu'est-ce qu'une « faute » d'orthographe à l'intérieur d'un texte qu'on a la volonté et le désir d'écrire ? C'est ni plus ni moins qu'un particularisme d'expression, en d'autre termes un usage individuel (souvent très largement partagé), la manifestation d'une grammaire personnelle, distincte de la grammaire officielle, rien d'autre. Evidemment, une grammaire trop personnelle, ce n'est pas le meilleur atout pour être compris de tout le monde. On peut l'admettre à la rigueur pour commencer, mais il vaut mieux – dans ce domaine tout au moins – se mettre au diapason de ceux à qui l'on s'adresse.
Alors, assumons sans complexes nos erreurs - nos particularismes - s'ils ne nous gênent pas: la seule chose qui compte vraiment, c'est de dire ce voulons dire ; mais ayons aussi le souci d'intégrer petit à petit, et à la seule condition d'en bien saisir la raison d'être et les mécanismes, les nuances qui nous permettrons d'être plus explicites, plus forts dans l'expression, ou simplement plus élégants.