que-vent-emporte - Fou qui trouve assez bleu l'azurhttp://que-vent-emporte.cowblog.frDes mots, comme ça. Juste parce qu'il faut les dire. Quelques images aussi.CowblogfrMon, 24 Feb 2014 22:31:29 +0100180http://que-vent-emporte.cowblog.fr/philologue-3261297.htmlPhilologue Brume est un philologue. Il est vrai que ce mot est tombé en désuétude et qu'on dirait plutôt linguiste aujourd'hui. Mais justement, linguiste, il ne l'est pas. Ce n'est pas à la langue qu'il tient, mais à l'ensemble de ses réalisations, cette couche sédimentaire qui a commencé à se former dès le moment où les hommes se sont mis à écrire. Entrelacs et accumulation de textes,   gisements formés par toutes les bibliothèques publiques et privées. De tous les écrits qu'elles ont rassemblés, et de tous ceux qui traînent dans tous les lieux où nous vivons, émanent de subtiles radiations touchant l'âme des hommes et structurant leurs pensées sans même qu'ils en aient pleinement conscience. Un texte n'est peut-être qu'une pensée fossile, mais imaginez un fossile que ranimerait d’un simple regard. En écrivant, un homme pose à l'extérieur de lui quelque chose de son monde interne ; par la lecture le texte reprend vie dans une nouvelle intériorisation.
Le mot texte, même en français, renvoie à texture et à textile et donc au geste du tissage. Entre l'écriture et le tissage, entre la composition et la couture on trouve une étroite filiation de sens : le rhapsode, celui qui disait les mythes, n'est un couseur de paroles. Et si vous pensez que je me laisse dériver  au hasard de mes idées et que je m'éloigne de l'objet de mon propos, sachez que tout au contraire nous trouverons ici justement la raison pour laquelle Brume se pense en philologue. Ce lien entre texte et tissage n'est qu'une métaphore, une métaphore qui n'intéresse pas le linguiste, car celui-ci ne va pas chercher dans l'art du tissage et de la couture les secrets de son objet d'étude. En revanche, elle intéresse Brume, car, si elle ne dit rien sur le langage, elle en dit beaucoup sur le travail de l'imaginaire.
La métaphore, pur effet de langage, n'obéit qu'à la loi du langage et ne s'appuie sur rien de réel; et pourtant, elle commande notre manière de voir.
Brume a un très grand respect pour la science et les hommes de science, mais très clairement il n'en est pas un, car il estime leur champ d’action trop étriqué. On pourra certes expliquer beaucoup de choses à partir de la chimie du cerveau, peut-être finira-t-on par rendre compte ainsi de la création poétique ou de l'art en général. Pas sûr que cela fasse de nous de meilleurs poètes ! En outre, nous ne sommes pas à la veille d'y parvenir, tandis qu’obstinément, la poésie, sous les formes les plus diverses, y compris les chansons et les fleurs du langage quotidien, continue d'informer notre pensée. Brume la capte telle qu'elle naît sous les doigts du poète sans chercher à savoir de quelle alchimie elle procède, et suit son parcours. C’est tout et cela suffit.

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http://que-vent-emporte.cowblog.fr/commentaires-3261297.htmlMon, 24 Feb 2014 22:31:00 +0100http://que-vent-emporte.cowblog.fr/philologue-3261297.html
http://que-vent-emporte.cowblog.fr/gravite-3260352.htmlGravité 

C'était un fameux numéro de trapézistes. Elle volait dans les airs suivant une trajectoire calculée au millimètre et lui, il la rattrapait, toujours à l'endroit prévu, toujours au moment exact. Ce tour de force, chef-d'oeuvre de coordination, se répétait chaque soir pour le grand plaisir d'un public médusé qui ne pouvait pas se plaindre : il avait payé, certes, mais il en avait pour son argent.

Un soir elle arriva sur lui juste un peu plus vite, juste un peu plus loin, juste un peu plus tôt. L'homme eut un éclair d'inquiétude, se porta en avant, saisit un peu rudement sa partenaire. Il perçut sur son visage un étrange sourire. Le public n'avait rien remarqué, il avait applaudi comme d'habitude. Quand les lumières du chapiteau furent éteintes, l'homme demanda :

- Qu'est-ce qui t'est arrivé ? Tu m'as fait peur !

- Mais rien, il ne m'est rien arrivé. Et puis, je ne crains rien. Ne m'as-tu pas dit que tu me rattraperas toujours ?

Puis les représentations reprirent, l'incident fut oublié.

Et un autre soir, alors qu'il la trouvait étonnamment gaie et exaltée, d'une étonnante et déroutante euphorie, il la vit prendre son élan trop loin, trop fort. Il y eut un regard d'incompréhension, un choc, un moment de confusion, la prise faillit lâcher : une griffure à son poignet, elle saigna un peu.

Le silence absolu du public puis le cri étouffé qu'il lâcha montrèrent que l'incident n'était pas passé inaperçu.

- Mais qu'est-ce qui te prend ?

- Rien du tout. Tu me rattraperas toujours, rappelle-toi, tu me l'as promis. Tu ne peux pas savoir à quel point j'ai confiance en toi.

Dès lors il y eut entre eux comme un regard mauvais, une malsaine complicité. Quelque chose clochait. Cela dura jusqu'au jour où l'incident se produisit, le vrai. Il ne put attraper qu'un poignet, l'autre ...

Un garçon de piste fit descendre le trapèze, il la lâcha à deux mètres du sol, elle chuta un peu lourdement, mais sans trop de mal.

Le public siffla. Quelqu'un, dans la salle cria : assassin !

- Tu ne peux pas me faire ça !

- Et pourquoi pas ?

- Parce que ça devient impossible.

- Tu m'as promis, n'oublie pas, tu m'as promis.

- Et si je ne te rattrape pas ?

- Si tu ne me rattrapes pas, je tomberai. Je me briserai les os sur la piste et je serai morte. Donc tu me rattraperas, c'est obligé. Je te fais confiance, tu ne peux pas savoir comment.

Le soir suivant, avant même que le numéro ne commence, comme elle allait prendre son élan pour sauter, ce fut lui qui tomba. 

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http://que-vent-emporte.cowblog.fr/commentaires-3260352.htmlMon, 03 Feb 2014 18:30:00 +0100http://que-vent-emporte.cowblog.fr/gravite-3260352.html
http://que-vent-emporte.cowblog.fr/le-flot-et-le-jusant-de-l-ecriture-3259664.htmlLe flot et le jusant de l'écritureParler de l'écriture au lieu de simplement écrire, c'est simplement idiot et même un peu prétentieux. Je me suis efforcé de ne pas céder à cette tentation et je crois y être parvenu le plus souvent possible dans la période heureuse ou cela venait tout seul. Maintenant que c'est devenu laborieux, c'est tout ce qu'il me reste pour essayer de comprendre.

Jamais ici je n'ai écrit sur commande. Les textes se faisaient eux-mêmes. Ouvrir le robinet, recueillir l'eau dans un seau, rien d'autre à faire. Bien sûr, ils n'étaient pas parfaits au premier jet, presque jamais. Je laissais venir, puis reposer, et reprenais quelques jours après, quand le souvenir immédiat s'en était dissipé. Les mots déjà inscrits, qui semblaient déjà si étrangers, comme d'un inconnu, en appelaient d'autres, d'autres portes secrètes s'ouvraient et de vieux fantômes venaient esquisser leur émouvant pas de danse sous mon regard intérieur.

Je n'ai pas l'écriture facile, je résiste, je cherche facilement un prétexte pour m'en arracher, surtout quand justement les mots pourraient venir.

De longs moments passés devant le clavier, sans savoir quoi dire, sans avoir rien à dire, avec pour seule certitude la garantie qu'il y a pourtant toujours quelque chose à dire, que des mots, des phrases sont toujours à fleur de conscience et qu'ils n'ont qu'à venir éclater en surface, comme ces bulles qui remontent du fond d'un étang.

Je ne saurais expliquer comment il faut écrire, je raconte simplement comment cela se passe ici.

C'est comme un rêve. J'essaie de ne penser à rien, en réalité je sommeille, les doigts sur le clavier, de telle heure à telle heure, et je note ce qui me vient.

Quand les mots me viennent, je m'efface. Je laisse dire comme si cela n'avait aucun rapport avec moi, ou presque. Parfois je me laisse porter par la musique.

Un serrement de coeur, je tends l'oreille, un univers vient se loger entre les quatre murs de la pièce où je me tiens.

J'aime voir défiler les mots comme le paysage qu'on voit de la fenêtre du train, d'un train lent et silencieux. Soudain le bruit du train s'efface et seul le paysage poursuit son déroulement, paysage mouvant qui s'enfuit loin de nous à peine entrevu.

On ne peut pas savoir comment cela se passe dans les secteurs de son âme auxquels on n'a pas accès.

Seul, face à l'horizon seul devant les arbres, les champs, la vapeur des nuages.

Je me dissous.

Et la place que j'occupais s'emplit de mots. Pourquoi des mots ? parce que je rêve. Je vois bien des images, mais ce sont des mots, seulement des mots qui s'échouent sur cette page.

Toujours cette idée que cela rappelle un souvenir, une absence, une perte.

C'est, par lambeaux, ce que sans le savoir je suis qui m'arrive là et le plus souvent cela m'étonne.

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http://que-vent-emporte.cowblog.fr/commentaires-3259664.htmlTue, 21 Jan 2014 21:44:00 +0100http://que-vent-emporte.cowblog.fr/le-flot-et-le-jusant-de-l-ecriture-3259664.html
http://que-vent-emporte.cowblog.fr/la-vie-la-mort-la-vroque-3259209.htmlLa vie, la mort, la vroqueM. Brume est d'un naturel paisible et ne fait guère de bruit. Enfin, la plupart du temps. Car, parfois, sans crier gare, il démarre au quart de tour et laisse un peu décontenancés des interlocuteurs de bonne foi qui n'y mettaient pourtant aucune mauvaise volonté.



- Vous me pressez de dire ce que je pense de ceci ou de cela, si j'ai un truc pour gagner au loto ou pour soigner la gueule de bois. Mais alors, pourquoi ne vous presserais-je pas, vous, de vous expliquer sur que vous appelez si naturellement, si simplement, si hâtivement la vie ?
Et tandis que vous réfléchissez, permettez-moi quelques remarques en passant, pour meubler.
La vie, pour moi, c'est un choix. Quelque chose qui ne mérite pas d'être choisi ne peut pas être la vie.
Et n'opposez pas bêtement la vie à la mort, comme si entre les deux il n'y avait rien de possible. Ce qui s'y trouve, ni vie ni mort, ça n'a pas de nom officiel, alors permettez-moi de l'appeler la vroque.
La vroque, c'est presque gratuit, c'est ce qui est donné au départ et dans nos sociétés faussement douillettes tout est fait pour qu'elle dure. Il faut vraiment se démener beaucoup pour s'en débarrasser, de la vroque. Elle colle aux pieds, aux doigts, son odeur fade, son goût poisseux nous imprègne.
Donc, pour résumer, trois chose : la mort, la vie, la vroque.
Le problème, c'est qu'on ne sait jamais, quand les gens disent "la vie", s'ils ne parlent pas plutôt de la vroque.
On célèbre la vroque, entrez dans la vroque, c'est la chance de votre vroque, la vroque des stars, achetez Gurb pour vous changer la vroque, la vroque à cent à l'heure, la vroque quotidienne, ouf, il est encore en vroque ! On pourrait avoir la vroque, la survroque et pour couronner le tout : la vroque éternelle, offrez à vos enfants la vroque qu'ils méritent.
Et comme la vroque se tortille et se recroqueville en permanence sous nos yeux, il est facile de la décrire et même d'en percer les mystères, qui ne sont guère subtils.
Il y a un système de la vroque :
- avoir remplacé la circulation du sens par celle des marchandises ;
- avoir remplacé la fonction de l'imaginaire par la saturation préventive ;
- avoir réduit la question du désir à celle de l'argent ;
- avoir monopolisé toutes les ressources privatisé l'espace.
Compris, me direz-vous. On voit bien comment ça se passe : la vie pour les riches qui peuvent s'en offrir le luxe et la vroque pour tous les autres, les chômeurs, les jeunes qui galèrent, etc.
Eh bien non, justement pas. Là, vous vous fourrez vraiment le doigt dans l'oeil, et c'est très dommage parce que la différence entre la vroque et la vie, c'est juste une question de regard.
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http://que-vent-emporte.cowblog.fr/commentaires-3259209.htmlMon, 13 Jan 2014 22:15:00 +0100http://que-vent-emporte.cowblog.fr/la-vie-la-mort-la-vroque-3259209.html
http://que-vent-emporte.cowblog.fr/ne-te-retourne-pas-3258484.htmlNe te retourne pas !
Barnabé, convaincu qu'il ne rêvait pas, supposa qu'il était éveillé et se leva. Comme il ouvrait les yeux, il se sentit décalé par rapport à lui-même, mal raccordé au Barnabé de la veille. En retard peut-être, ou en avance, ou simplement à côté. Bref. Il se leva, enfila ses vêtements un brin de travers, quitta son appartement et descendit l'escalier de l'immeuble. Non sans peine car il avait la démarche hésitante et l'équilibre instable ; les marches se dérobaient sous ses pieds.
Ayant ouvert la porte d’entrée, il trébucha sur le trottoir.
N'importe qui aurait pensé à une simple erreur de jugement due à la fatigue ou à la distraction, mais pas Barnabé. Il savait, sans la moindre hésitation possible que le niveau du trottoir se trouvait exactement un centimètre et demi plus bas qu'à l'ordinaire. Il flaira l'embrouille et redoubla de vigilance. Tout était là et bien là : le trottoir, la rue, la poubelle, le banc, les maisons d'en face, les maisons de ce côté-ci, le raccord de goudron sur la chaussée, la bouche d'égout, le lampadaire. Rien ne manquait, mais rien n'était ni tout à fait pareil ni tout à fait à sa place. Un peu trop large, la chaussée, un peu trop claire la façade de l'immeuble, un peu trop vide le ciel bleu, un peu trop clairsemée la circulation, un peu trop souriant le voisin à sa fenêtre. Comment dire ? Tout ce qui normalement se métamorphose à toute allure évoluait au ralenti, comme à pas de loup, hésitant, et tout ce qui normalement ne bouge pas était comme légèrement dérangé. Comme si un voleur était venu, avait tout bouleversé et tout remis en ordre tant bien que mal afin de masquer son larcin.
Il sentit que quelque chose se tramait dans son dos. Ne te retourne pas ! Ne te retourne pas !
Il se retourna.
Trop vite.
C'était trop d'effort pour le paysage d'avoir l'air normal et rassurant par devant. Alors, forcément, derrière, il y avait du relâchement. Le trottoir était carrément tordu, les maisons désalignées, le ciel flottait comme une toile mal arrimée et, entre les choses, désassemblées, on entrevoyait ce fond de chaos que dissimule normalement la fragile continuité des choses.
Le spectacle était lamentable. Pris en défaut le monde suait la honte.
En flagrant délit de mésexistence, la rue démantelée faisait profil bas.
Sautant difficilement d’un fragment de réel à l’autre, Barnabé regagna par bonds la porte de sa maison. La poignée lui resta dans les mains, mais la porte dégondée s'abattit sur les vestiges du trottoir..
Dedans, ce n'était guère mieux. Le couloir amolli avait pris des allures de soufflé en déroute, au fond, les marches de l'escalier s'entassaient en désordre. C'était comme un collier dont le fil aurait lâché. Tout était bien là, à première vue, mais n'importe comment, sans lien.
Barnabé eut néanmoins comme un regard de sympathie pour toutes ces choses qui partaient à vau-l'eau. Je connais ça. Cela m’arrive aussi, en dedans. Ce n'est pas drôle, et ce n'est pas près de changer.
Mais il se ressaisit vite :
Allons, rhabille-toi, ordonna-t-il au réel. Tu me fais honte comme ça, les fesses à l'air. Faudrait quand même que je puisse rentrer chez moi !
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http://que-vent-emporte.cowblog.fr/commentaires-3258484.htmlFri, 03 Jan 2014 18:40:00 +0100http://que-vent-emporte.cowblog.fr/ne-te-retourne-pas-3258484.html
http://que-vent-emporte.cowblog.fr/la-suite-donc-3258197.htmlLa suite, donc- On s’attendait à un article, un vrai, mais non. On patauge dans les préliminaires !

C’est l’été, il fait un temps superbe, soleil de neuf heures du matin, allons piquer une tête dans la rivière. On s’y voit déjà, ondulant dans le courant, le rêve.
Arrivé sur le ponton, c’est une autre affaire. On s’interroge. L’eau n’est-elle pas un peu froide ? Sauterai ? Sauterai pas ? Sauter oui, mais... Bon ! Rien n’est simple.
Les vrais articles viendront,  mais, d’abord, pinaillons pour reculer un peu l’échéance.


- La troisième phase de l’existence de ce blog commence donc aujourd’hui. Mais pour dire quoi ?

Vous l’avez compris, il s’agit dans l’immédiat non pas de nager, mais de s’imaginer nageant bientôt. Tout ce qui suit est dit le plus sincèrement du monde, mais peut-être n’est-ce que du pipeau. Du blabla pour donner le change. La réalité prendra peut-être des formes imprévisibles.

D’abord, je reviens à ce blog, celui-ci, pas un autre, parce que quelque chose qu’il m’apportait me manque. A force de ratiociner dans son coin, on balbutie plus qu’on ne brouillonne, en attendant l’oeuvre parfaite qui promet énormément mais joue les coquettes.
Balbutier, c’est avoir bien des idées, mais qu’on laisse en plan derrière soi à peine ébauchées ; velléité inutile. Le brouillon, stade intermédiaire entre balbutiement et accomplissement, c’est beaucoup mieux : retravaillée, rendue accessible à d’autres, mise sur orbite et risquée dans l’espace commun, elle s’offre à la critique. Cela revient d’ailleurs très souvent à restituer aux autres l’idée qu’ils nourrissent eux-même, à leur insu ou pas. Une idée, ça ne sort jamais de rien ; ça circule d’une cervelle à l’autre, ça prend forme dans l’air du temps, ça se construit en réseau. On la croit toute à soi, née de rien, alors que c’est un voisin qui vous l’a soufflée à l’oreille sans même le savoir.
Bref.
Alors, ici, des brouillons, mais des brouillons jolis, bien écrits dans la mesure des moyens disponibles, etc.

- Oui, d’accord, mais pour dire quoi ? (C’est la seconde fois qu'on pose la question !)

Je pourrais m’en tirer en disant : tout et n’importe quoi, ce qui me passe par la tête. Mais ce ne serait pas honnête. Qui n’a pas ses obsessions, ces questions récurrentes, ce ressassement qui nous revient chaque fois qu’on doit marcher plus de 200 mètres, quand par bonheur on n’a pas son MP3 sur les oreilles ( le MP3 étant une ressasseuse artificielle, une prothèse en quelque sorte pour échapper à ce brassage cogitatoire vertigineux, inquiétant mais si nécessaire ) ?
La première de ces obsessions consiste en une méfiance quasi pathologique envers tout ce qui paraît aller de soi. Une manière de théorie du complot qui assimilerait tout jugement d’évidence à une forme d’enfumage qu’on s’infligerait à soi-même, conviction quasi obsessionnelle que c’est justement là où tout semble couler de source que se cachent les problèmes les plus épineux.
Parmi ces choses qui vont de soi et dont il faut se méfier, en première place, le « Je ». Cet être familier, cohérent, prévisible, grandiose, que nous croyons être. Supposons un instant que ce Je, nous puissions voir ce qu’il en advient dans le secret des cervelles de ceux qui nous entourent (et qui ne nous veulent pas forcément du mal). Quelle collection disparate de figures plus ou moins grotesque cela ferait !
Autre évidence suspecte : le langage. Nous en avons tellement besoin, il nous imprègne de façon si nécessaire que nous peinons à voir les enfants qu’il nous fait dans le dos chaque fois que nous tentons de penser le monde (« Je » lui même est d’abord un mot).
Il nous fait dire dire plus nous ne pouvons, il nous égare dans la confusion des plans, il nous laisse croire qu’il y a des mots pour tout, que rien ne lui échappe. Il masque exactement autant qu’il révèle.
Quand on apprend à parler, on table sur une permanence du langage, on se fie au mots. Mais il suffit de voir passer les décennies pour se rendre compte que le sens glisse sous les mots, se décale, se transforme. Illusion d’une permanence des choses sous la permanence des mots. Angoissante illusion, pour quiconque perçoit l’accélération stupéfiante que subit la transformation des choses.  Notre époque semble le théâtre d’une immense réaction chimique amorcée depuis longtemps, devenue perceptible dans les années 80 du dernier siècle, et qui soudain s’emballe.
Entre les choses et les mots, le réel et la pensée, le décalage devient dramatique. Le langage opère à la fois comme un leurre et un révélateur, ce qui n’est contradictoire qu’en apparence. La tranquille permanence des mots masque la dérive du sens et retarde dramatiquement la prise de conscience du fait que nous sommes embarqués, à notre corps défendant dans une aventure décisive. Nous n’arrivons même pas à vraiment « capter », comme on dit, que les modes de pensée traditionnels tournent à vide, que les phrases que nous utilisons virent systématiquement à la langue de bois. C’est flagrant dans le discours politique où les clivages traditionnels perdent leur sens, où les fronts se renversent. Ce l’est de façon dramatique dans cette paralysie de la pensée qui nous empêche de prendre la mesure des défis qui nous attendent au moment où peut-être il est déjà trop tard.
Mais ce vacillement du langage est un symptôme, un signe avant-coureur pour qui se donne les moyens de le percevoir. Du monde je sais peu de choses et je me vois mal jouer les Cassandre ; le langage, ses ébranlements, ses apories me sont en revanche bien plus familiers. Ces flottements, que j’évoquais, ces inversions de sens, cette difficulté croissante à trouver les mots pour dire ce qui se noue en ce moment même, cette rupture entre le discours et l’action, je tenterai donc d’en dire deux mots, ou plutôt je laisserai mes petites marionnettes, Barnabé, Brume et quelques autres en parler à leur manière.

- Bigre ! Tout cela nous annonce des jours difficiles et des textes plutôt emmerdants. Mais une question encore, si j’ose : Pourquoi ici ? Qu’est-ce que Cowblog vient faire là-dedans ? Si tu veux jouer les prophètes, il te faudrait une autre caisse de résonance.
- Franchement, je ne sais pas. Alors contentons-nous d’un pudique « Pourquoi pas ? 
»

Et puis, le vent se lève, je frissonne un peu malgré le soleil. Je ne me baignerai pas aujourd’hui. Un autre jour, peut-être...

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http://que-vent-emporte.cowblog.fr/commentaires-3258197.htmlMon, 30 Dec 2013 19:34:00 +0100http://que-vent-emporte.cowblog.fr/la-suite-donc-3258197.html
http://que-vent-emporte.cowblog.fr/on-remet-ca-3258074.htmlOn remet ça ?Quelques années d’écriture et à peu près autant d’années de silence.
Peu importe : les vicissitudes d’un blog n’intéressent pas grand monde.
Et puis, à la différence de tous les écrits utilitaires, fonctionnels, l’écriture issue de la simple envie d’écrire ne se passe-t-elle pas de justification ? Le texte s’écrit ou ne s’écrit pas, pour des raisons plutôt obscure et si, d’aventure, quelque lecteur se présente, c’est à ce moment-là, au petit bonheur la chance et après coup, qu’il trouve simplement sa raison d'être "officielle".  

Il peut valoir la peine, cependant, juste pour la forme, de s’interroger sur ce mutisme soudain qui s’est imposé sans prévenir, m’étonnant moi-même, désireux que j’étais de poursuivre et convaincu de tenir tout cela sous mon contrôle. Illusion classique de celui qui ne voit pas que la vie, on la subit, et que l’ivresse d’en être l’artisan relève du délire.
Tarissement de l’inspiration ? Pourquoi pas, mais qu’est-ce que cela explique ? Rien. C’est seulement une de ces raisons qu’on se donne après coup, faute de mieux, et à laquelle on ne croit guère.
Cette phase de silence me dérange, comme me dérange l’idée d’avoir à décider de conserver ou d’effacer une fois pour toutes les traces de ce blog mort. Je ne tenterai pas de l’expliquer. J’en prends acte, c’est tout.
Dans sa phase d’écriture, le blog est un espace qu'une personne physique s’amuse à garnir de textes. Un espace d’expression, puis de relations avec des lecteurs, lesquels deviennent rapidement des amis, mais en général des amis via le blog. On distingue les amis sur la toile, qui sont un peu comme des amis de travail ou des gens qu’on fréquente dans la rue, et les amis intimes, ceux de la « vraie vie », ceux de la présence et du contact physique. Des passages peuvent s’opérer d'une catégorie à l'autre, mais pour l'essentiel la distinction me paraît à la fois solide et nécessaire.
Alors, quand le vent tourne, quand cette jolie mécanique s’enraye, ces beaux liens se défont et il ne reste plus qu’un objet inerte, un tas de textes, un cortège figé, pétrifié. Ce n’est pas le vide, puisque tout est là et que si l’on a vraiment beaucoup de temps à perdre, on peut s’y promener, comme des plongeurs qui se faufilent dans les coursives ruinées d’une épave, mais quel silence !
 
Les textes eux-mêmes se décomposent avec le temps, perdent leur lien organique avec leur auteur et les circonstances qui furent favorables à cette écriture-là. S’ils demeurent à la rigueur lisibles, ils sont sortis du champ de l’écriture, à moins de faire semblant, de faire un pastiche. Si l’on veut s’y remettre, il faut en composer d’autres, on ne refera jamais ceux-là.
 Je ne supprimerai pas ce blog, parce qu’il compte pour moi ; mais aussi parce qu’il contient des commentaires, un petit bout de la vie de dix ou vingt personnes, dont je n’ai pas à disposer. Les commentaires font entièrement partie du blog, qui est une création collective, une aventure à laquelle plusieurs personnes participent, et parfois s’engagent.

  Je m’y remettrai donc et pourvu que ça dure ! Pour autant, je ne le saurais pas non plus le continuer comme si le dernier article datait d’hier, comme si le long silence qui a suivi était purement accidentel. Il fait lui-même partie du blog comme tout le reste. Il marque la fin d’un cycle.

  (A suivre.)

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http://que-vent-emporte.cowblog.fr/commentaires-3258074.htmlSat, 28 Dec 2013 21:25:00 +0100http://que-vent-emporte.cowblog.fr/on-remet-ca-3258074.html
http://que-vent-emporte.cowblog.fr/23-aout-2012-3202098.html23 août 2012
Brume stagnait ou tournait en rond, ce qui revient au même. Il lisait ou tentait de lire des ouvrages de zigomarologie particulièrement abstrus. Ayant à peine entamé l'un, il se disait qu'il ferait peut-être mieux de passer à un autre plus zigomarologique encore que le premier.
Plus il lisait moins il écrivait, et moins il y voyait clair. Un ami passa, qu'il vit arriver d'assez loin non sans quelque mauvaise humeur. 
- Il y a bien longtemps que tu ne nous as pas tenu au courant de tes pensées, dit l'ami. 
- Y suis-je obligé ?, répondit Brume.
- Nullement, mais je ne doute pas un seul instant que si tu avais quelque chose à nous dire tu ne manquerais pas de nous le faire savoir. 
- Peut-être.
- Alors que cherches-tu avec tant d'inquiétude et tant d'irrésolution ? Il y a bien quelque chose qui te tient ainsi éveillé et j'ai peine à croire que cela dépende des livres que tu lis. 
- Ce que je cherche, tout d'abord, c'est un moyen de pouvoir quitter cette vie avec le sentiment de n'avoir pas agi en vain toutes ces années. Mais cela ne concerne que moi. Qui d'autre pourrait se soucier de cela comme je le fais ? Chacun se pose cette question pour son propre compte.
- D'accord. Mais encore ?
- Eh bien, ce qui me tracasse en ce moment, ce sont ces deux vieilles questions, qui résument à elles seules des siècles et des siècles de zigomarologie : 
Que pouvons-nous espérer de la zigomarologie ? 
Et, en supposant qu'on puisse répondre à la première question :
La zigomarologie est-elle bien le moyen de savoir, non pas tellement ce que nous sommes (il ne faut quand même pas trop attendre de la zigomarologie), mais ce que nous ne sommes pas ? 
Hélas ! s'il est très facile de poser de grandes questions de ce genre, il l'est beaucoup moins d'y répondre. D'autant qu'une telle réponse marquerait tout simplement la fin de la zigomarologie et, pour tous les zigomarologues, l'urgence  d'une brutale réinsertion dans un monde désespérément prosaïque.
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http://que-vent-emporte.cowblog.fr/commentaires-3202098.htmlThu, 23 Aug 2012 11:58:00 +0200http://que-vent-emporte.cowblog.fr/23-aout-2012-3202098.html
http://que-vent-emporte.cowblog.fr/mirage-beau-mirage-3009810.htmlMirage, beau mirage

L'écriture n'est jamais qu'un instantané, la fixation très arbitraire d'une pensée fluide et toujours changeante, aussi difficile à saisir que le jeu de l'eau dans un torrent de montagne. Plus encore, ce que saisit l'écriture, avec la rigueur de la syntaxe, l'élégance du style, la clarté d'une expression rationnelle, c'est un remuement intérieur dont les pulsations ne relèvent ni de la clarté ni de la rigueur. Le texte nous semble être l'émanation la plus exacte de ce que nous sommes au plus profond de nous-mêmes, alors que justement il en l'opposé, la dénégation. Le rêve le plus fou des hommes est ce mirage de la pensée claire, ce désir qu'elle colle au réel, quelle l'exprime, qu'elle en traduise le sens, comme si hors de la parole même un sens pouvait être. Un mirage tout porteur d'illusion qu'il soit est un phénomène réel, pas question donc de nier le fait de la pensée claire, la superbe architecture de la mathématique, la stupéfiante beauté de nos cathédrales textuelles. Simplement, ce ne sont que des structures fugitives sur le chaos, des figures tracées sur le sable. C'est peut-être cela que Freud veut dire avec sa pulsion de mort. Fixée dans un discours, une forme semble indestructible, atemporelle. Considérée comme un moment du flux héraclitéen, elle se défait en se faisant, se perd en devenant autre, la forme humaine comme les autres. Nous sommes pas tels que nous nous voyons; étrangers à nous-mêmes, mais aussi porteurs au même instant de tous les moments de notre être; nous sommes donc avant tout mouvants, polymorphes, contradictoires, insaisissables. Notre aptitude à penser - qui fut elle-même acquise au cours du temps - nous permet de hasarder des figures de mondes, de créer des îlots de rationalité, montagnes à l'échelle humaine, poussière mouvante à l'échelle de l'univers. Bel amusement pour un instant du monde. C'est vain, mais justement, pour cela même, c'est beau et cela n'appartient qu'à nous.

 

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http://que-vent-emporte.cowblog.fr/commentaires-3009810.htmlSat, 19 Jun 2010 10:30:00 +0200http://que-vent-emporte.cowblog.fr/mirage-beau-mirage-3009810.html
http://que-vent-emporte.cowblog.fr/le-jeu-de-la-parole-vive-3008827.htmlLe jeu de la parole vive

 

Vous croyez vraiment que tout ce que vous racontez c'est votre cerveau qui le produit à partir de rien ?

 

Pourtant le simple fait que cela soit fait d'images reconnaissables et surtout de mots issus d'une langue qui existait bien avant que vous ne vous soyez mis à penser devrait vous mettre la puce à l'oreille.
La parole, ce n'est que du signifiant qui circule. Une balle que quelqu'un, peu importe qui, mais forcément quelqu'un, vous a lancée et que vous attrapez, pour la relancer après l'avoir réchauffée au creux de votre main.
Comme un jeu de balle, donc, le jeu de la parole vive. Des oreilles ou des yeux pour l'attraper, des cervelles pour l'enrichir, des bouches ou des doigs agiles pour qu'elle s'envole à nouveau : l'attrape qui voudra.
On ne crée qu'à partir de ce qui nous a été donné, on ne parle qu'avec des mots qui ont longtemps servi, nos plus belles idées ne sont que les héritières de millions d'autres; ce poème, en fin de compte, c'est l'humanité tout entière qui l'écrit. On ne crée pas, on recycle, on n'émet pas, on reflète, on n'envoie pas, on renvoie.
Tel est le jeu de balle auquel vous êtes conviés. Sport d'équipe forcément, mais sport d'équipe un peu particulier, parce qu'il ne se joue vraiment bien que sans adversaire et surtout parce que l'équipe n'est jamais close.

Ainsi le jeu des blogs...

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http://que-vent-emporte.cowblog.fr/commentaires-3008827.htmlWed, 16 Jun 2010 12:32:00 +0200http://que-vent-emporte.cowblog.fr/le-jeu-de-la-parole-vive-3008827.html