Un jour, Lilith Errature voulut sortir de sa maison, mais elle en fut empêchée par le vent qui soufflait. D’énormes masses de neige s’amoncelèrent devant sa porte. Elle se retrouva enfermée entre ses quatre murs comme dans un tombeau.
Le monde extérieur était maintenant soustrait à son regard et sa petite maison solitaire, entièrement recouverte de neige, n’existait plus pour personne.
Lilith n’en fut ni effrayée ni même contrariée. Que valent les séductions du monde extérieur comparées aux richesses insondables de l’imagination ? Et comme elle aimait écrire par-dessus tout et ne manquait ni d’encre ni de papier, elle s’assit à sa table et prit sa plume, l’esprit serein. Pendant des semaines elle noua des intrigues, inventa des personnages, évoqua des lieux impossibles, mais ces débordements-là ne durent qu’un temps. Elle reporta alors toute son attention sur ses profondeurs intérieures, se passionna pour son propre mystère, se désola de ses misères, se prit en pitié, fit dix récits larmoyants et contradictoires de sa vie puis de sa non-vie et finit par se lasser d’elle-même. Elle dressa ensuite l’inventaire de tout ce qui l’entourait, puis énuméra tous les objets qui auraient pu se trouver là mais ne s'y trouvaient pas. Puis elle décrivit en cent dix-huit pages sa gomme et son taille-crayons, fit en deux volumes le portrait d’une miette de pain. Enfin, elle se commenta elle-même : je fais ceci, je fais cela; je me lève, je ne sais pas quelle heure il est, je mange une tartine, je bois un verre d’eau. Tandis que d’une main elle prenait une tasse, de l’autre elle écrivait : je prends une tasse, je bois une gorgée de thé, je repose la tasse. Alors, il arriva ce qui devait arriver : elle se mit à écrire qu’elle était en train d’écrire, puis qu’elle était en train d’écrire qu’elle était en train d'écrire, puis qu’elle était en train d’écrire qu’elle était en train d’écrire qu’elle était en train d’écrire qu’elle était en train d’écrire qu’elle était en train d’écrire…