Samedi 26 septembre 2009 à 14:00


J'ai vu la mer se retirer et revenir
Cent fois
Mille fois
Comme s'en va toujours le jour qui vient
Jamais plus haut que là, jamais plus loin que là
Comme un passant qui traverse la ville
Une première fois sur ses deux jambes
Et il revient
Une seconde fois dans la barque d'un rêve
Et il revient
Une troisième fois sur le radeau de la mémoire
Et il revient
Une quatrième fois noyé dans l'oubli
Et il revient
Puis tout recommence

Moi aussi
Je remonte ma rue
Je redescends ma rue
Toujours et toujours
Passants pressés
Pigeons qui traînent
Bruits
Chiens
Crottes
Poubelles
Voitures
Voitures
Poubelles
Voitures
On marche on marche
On va on revient
Le retour efface l'aller
L'aller abolit le retour
Et en fin de compte on n'a pas bougé
Jamais plus haut que là, jamais plus loin que là

C'est que l'adresse
Oui, l'adresse
La fameuse adresse
Vous savez bien
Celle qui dit
Où l'on doit se rendre
Absolument
Sans quoi ça ne vaut pas la peine 
Ça fait belle lurette qu'on l'a perdue

On a interrogé le gris du ciel
La lèpre des murs
Les chiffres
Les regards crevés
Les portes fermées
On a fait semblant de chercher
Ou semblant d'oublier
Et finalement
On a renoncé sans renoncer
On a vécu sans vivre
On est mort et pourtant
On remonte la rue
On redescend la rue
Encore et encore
On le fait
Et quand on n'en aura plus la force
Un autre se glissera dans nos pas

Sans même le savoir

 



 


Vendredi 25 septembre 2009 à 12:26


    Toute narration tourne autour de la question du destin. Qu'est-ce donc qu'une histoire, un conte, un roman ? Rien d'autre que la représentation plus ou moins élaborée d'un destin. Et si elle relève de l'imaginaire, c'est justement par le fait d'être un destin et non pas seulement le déroulement nécessaire d'un programme fixé à l'avance.

        Si je devais être romancier je ne chercherais pas à raconter des histoires achevées, mais seulement à amorcer des destinées. Bienheureux celui qui possède un sens suffisamment aigu du possible pour saisir assez tôt tout ce qu'une vie peut enfanter ! Biographe, oui, mais uniquement du potentiel.

    Insensé qui dans la narration d'une vie ne considère que le passé, alors que seul compte l'avenir en train de se faire ! Ne pas annuler non plus la vie présente en rêvant à tout prix d'une vie autre, mais féconder ce présent, porter au jour ses prolongements les plus paradoxaux, déchirer le rideau de routine qui l'étouffe et resprirer l'air vif des terres inconnues, embrasser d'un seul regard le vaste champ infiniment battu par les galops de tous les possibles.

 

Samedi 19 septembre 2009 à 11:35


    Sentiment d'être parfois le spectateur et non plus l'acteur de soi. Se voir comme dans un rêve et surtout s'entendre prononcer des choses inattendues venues d'on ne sait où.

    Je me demande si tout le mystère de l'écriture n'est pas simplement là. Se retirer de soi, un peu, et recueillir avec un certain étonnement d'étranges paroles. Paroles surgies du silence, de la non-action, de la non-pensée. Je me sens comme une réserve de paroles enroulées, accumulées quelque part, portées par moi, venues à mon insu. Au crépuscule, dans la pénombre et le silence installés, elles se réveillent et c'est comme l'apparition soudaine d'une biche à l'orée du bois.



Vendredi 18 septembre 2009 à 10:23



http://que-vent-emporte.cowblog.fr/images/Lisbonne8.jpg
Devant moi, comme un bouclier,
un masque,
plus véritablement moi
que moi-même.
De toute manière,
d'un homme
ou d'une femme,
est-il autre chose
qu'on aperçoive ?


 

Mercredi 2 septembre 2009 à 7:52

Brume avait la tête emplie de rêves, un peu comme la boîte aux lettres d'un absent déborde de prospectus, de factures et de rappels. "Curieux, se dit-il. D'habitude les rêves s'évaporent au réveil et il ne m'en reste guère." Il se rendit compte alors qu'à son insu pendant cinq mois d'un sommeil profond, il avait fait un grand voyage. Ni dans l'espace, ni dans le temps, mais dans l'univers secret des signes, des symboles, du langage. Des bisons de Lascaux aux fusées rimbaldiennes, il avait parcouru les chemins de la mémoire collective, les chemins des peurs ancestrales, ceux des plus folles espérances. Mais tous semblaient se perdre aujourd'hui dans la vase d'un triste marécage. Rien de plus fragile que les cathédrales de mémoire, les cités d'espérances et la texture des poèmes. Privés de cervelle, exilés de nos mémoires, les signes se meurent. Qui se souvient de Leucothée la secourable ? Qui pleure encore la mort de Socrate ? Qui partage encore l'intense tête à tête d'Achille et de Priam ? "Mon beau navire ô ma mémoire, avons nous assez navigué dans une onde mauvaise à boire, avons-nous assez divagué, de la belle aube au triste soir..." Un soleil se couche, très bas à l'horizon, un soleil triste, un quart de soleil qui meurt. Et si demain il fait nuit, ce sera pour toujours.

"Mais fous-toi de ça, pauvre con, proféra derrière lui une voix télévisuelle, on allumera l'électricité. Et de toute manière c'est la nuit qu'on s'éclate."

 

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