Samedi 22 décembre 2007 à 10:42




Fermeture provisoire jusqu'au 5 janvier

Dans un blanc silence,
je n'oublierai pas
tous ceux qui supportent péniblement
les prétendues « fêtes » de fin d'année.


Mercredi 19 décembre 2007 à 12:11

Pour faire écho au bel article que Plaiethore a consacré à Zouc, quelques mots d'elle, extraits de Zouc par Zouc, entretien avec Hervé Guibert, Gallimard.




Je ne me suis jamais résolue à ne pas voir ce que d'autres yeux peuvent voir.

Je voulais voir la vie par mes yeux, aller moi-même dans la vie et voir moi-même d'abord. C'est pour ça que je me suis retrouvée à seize ans complètement ignarde, toujours la plus vilaine et la plus bête. Mais je sentais le danger de s'imbiber d'idées qu'on n'a pas ressenties. Et j'avais un secret qu'on ne pouvait pas me prendre : je connaissais ce qu'il y avait derrière les apparences chez les gens.

Tout ce que je vis, un événement, un regard ou simplement la vue d'une femme dans un train qui mange un biscuit, je le reçois dans la peau, ça me remplit de bonheur, d'horreur ou de dégoût, ou je ne comprends rien et je me pose mille questions, et immédiatement j'ai besoin de le partager.

Quand je cause avec autrui, je suis l'autre, je ne vois que l'autre. c'est pour ça que j'ai un problème avec la solitude : quand je suis seule, j'ai tendance à aller de temps en temps devant le miroir pour voir qui est avec moi.

A force de ma traîner dans les hôpitaux et les asiles psychiatriques, d'écouter parler les médecins et les malades, j'ai très vite réussi à dresser mon état clinique. Je ne suis quand même pas qu'une obèse qui a besoin d'être aimée. La réaction d'une partie des spectateurs m'a révélé une chose dont je me doutais vaguement, qui est une force lointaine violente, qu'on appelle hystérie. Les hystériques se reniflent très vite, il y a des codes inconscients qui passent par le corps.

La phrase la plus comique pour moi, c'est quand les gens me demandent :
« Mais, au fond, Zouc, c'est qui ? », et qu'ils ajoutent : « Quand est-ce que vous jouez et quand est-ce que vous ne jouez pas ? » C'est charmant, parce que dans la vie, je joue avec la vie et, sur scène, je montre la vie. Il y a une nuance.


… et après avoir aimé l'image,  ce qui m'a intéressée était de voir comment on faisait voir.
Après plusieurs années de pose, je me détestais toujours dans le miroir, et j'adorais ma tête vue par le peintre. Un beau jour je me suis dit : Si lui me voit vraiment comme ça, c'est le principal. Quand maintenant je pense à mon image, je me vois d'après sa peinture.



Photographies www.zouc.org

Dimanche 16 décembre 2007 à 17:19




Dimanche 16 décembre 2007 à 13:04


M. Brume, enfant, n'appréciait pas du tout d'être cloué au sol, alors que même les mouches peuvent voler. Cela lui paraissait parfaitement anormal. Il était si beau de batifoler dans les airs que les rampants ne pouvaient être tels que par erreur. C'était juste qu'ils n'avaient pas réussi à trouver le truc.
Cette fâcheuse tendance à coller au parquet, si contraire à nos aspirations véritables, n'était probablement qu'une mauvaise habitude et les mauvaises habitudes, répétait Mme Brume mère à journée faite, on les corrige. M. Brume, enfant, réfléchit prodigieusement et son cerveau accoucha d'une théorie très simple.
Quand on saute en l'air, on retombe, c'est vrai, mais ça prend toujours un certain temps. Alors si l'on fait vraiment très vite…
Bref! Tu lèves la jambe gauche (ou la droite, peu importe) comme pour poser le pied sur le premier barreau d'une échelle et, tout de suite, mais alors tout de suite, avant d'avoir eu le temps de retomber, tu lèves très vite la l'autre jambe au niveau du deuxième échelon. Puis, toujours à la vitesse de l'éclair, tu recommences. Si tu es suffisamment rapide, forcément, tu monteras. La théorie était des plus simples. Elle présentait juste deux points problématiques : c'est très fatigant de monter comme ça, alors comment parvient-on à rester en l'air quand on est crevé ;  mais surtout, une fois arrivé tout en haut, comment peut-on bien redescendre sans se casser la figure ?
Comme on le voit, dans sa prime jeunesse, M. Brume était nettement plus doué pour le rêve que pour la physique !
Il s'exerça longtemps, en vain. Oh, la raison de l'échec était très simple et ne mettait pas vraiment en cause sa belle théorie : il n'était jamais assez rapide pour prendre son corps de vitesse et compenser l'obstination que celui-ci manifestait à rejoindre le sol.
De guerre lasse, un beau jour, il mit un terme provisoire à ses essais et décida d'oublier sa théorie : c'était encore la meilleure manière de la tenir à l'abri d'un démenti formel.

Mais, hier, soir, aux environs de 21 heures, il s'en souvint. D'abord, il en sourit : on n'est pas sérieux quand on a cinq ans ! Mais, sur le point d'en rire tout à fait, il eut une soudaine révélation qui le laissa perplexe. D'accord, pour voler comme les oiseaux, sa théorie ne valait pas un sou. Pourtant, reléguée dans le coin le plus perdu de sa mémoire, elle n'avait jamais cessé d'opérer. Plus encore – c'était là ce qu'il venait de comprendre -  elle gouvernait sa vie. Ce n'est pas ainsi qu'on fait l'oiseau, mais c'est ainsi qu'il avait vécu, tout simplement.
On lance une idée, une parole, une espérance, comme une volute de fumée dans l'air, et juste avant qu'elle se dissipe, on s'y accroche, juste le temps d'en lancer une autre un peu plus loin : comme une fusée dans la nuit; juste avant qu'elle ne s'éteigne, on en lance une autre, c'est un pied de nez au néant. Dans un univers mental ou tout point d'appui flotte dans le vide, c'est ainsi qu'on se meut. Et si ça fait rire, tant mieux : c'est bien qu'on en rie.
Et tant pis si l'on tombe, puisque le vide est partout: Tu dis que je tombe et moi je prétends que je vole. Où est la différence ? Quant à la chute finale, vous la connaissez, et, comme Brume, j'ose l'espérer, vous vous en foutez complètement.


Samedi 8 décembre 2007 à 12:21


On lui avait appris, à Barnabé, qu'il était lui, Barnabé, de la plante des pieds jusqu'au sommet du crâne et de la pointe des fesse jusqu'au bout du nez. Ça, c'était Barnabé. Et plus loin, ce n'était plus Barnabé. Vous voyez ce que je veux dire ? Ça vous paraît assez simple à comprendre, avouez-le.

Eh bien, même ça, Barnabé, il n'avait jamais réussi à s'y faire.

« Pourquoi est-ce que je serais si petit, si moche, si tassé dans un coin : le plus gros dans le pantalon et la chemise, le reste dans les chaussettes et sous le bonnet ? Bon. Il y a de ça, mais tout de même pas seulement. » Quand Barnabé songeait, imaginait, parlait (rarement) ou simplement tentait de comprendre, son je n'avait plus du tout besoin de cette forme-là, il n'était pas forcément assigné à résidence dans cet étrange objet. Le corps, c'est tout à fait nécessaire et utile pour marcher, danser, faire le beau, cacher son jeu, etc. , mais pour tout le reste, c'est juste un point d'appui, un tabouret pour accéder à la grande fenêtre du monde. Bref, Barnabé débordait un peu des catégories ordinaires.
 

Un jour qu'il avait encore râlé en disant : « Tu me marches sur l'escalier ! Tu me fais mal à l'arbre ! Arrête de me déambuler sur le trottoir ! » sa mère en a eu marre. Elle l'a attrapé par la manche de sa chemise et traîné devant le grand miroir de la salle de bains.
« Tu vois, Barnabé… Non mais regarde, non ! pas là ! le miroir ! c'est toi, Barnabé. A l'intérieur des vêtements et sous ta tignasse – Quand iras-tu chez le coiffeur ! - c'est Barnabé. Mais à l'extérieur, ce n'est plus Barnabé. Si tu mets tes mains dans tes poches, c'est très bien. Si tu les mets dans les miennes, ça ne va plus, mais alors plus du tout. »

Un temps d'arrêt.

« Tu comprends ? »

Oui, répondait machinalement Barnabé, mais en réalité il pensait non.
Lui, Barnabé, il ne parvenait pas à voir les choses ainsi.
Dans le miroir, ce n'était pas lui, mais juste un individu opaque. Et même pas un individu : un corps. Et même pas un corps : une image.
Prendre l'image pour la chose, c'était déjà une grosse erreur ; et là-dessus, prendre une chose – à tout prendre, le corps n'est qu'une chose – pour une personne, c'était une nouvelle erreur par-dessus la première. Et grave.
Tout ça, se disait Barnabé, c'est juste une ruse, la plus perverse des ruses pour que lui, Barnabé (qui savait très bien, d'ailleurs, ne pas s'appeler Barnabé), ne parvienne jamais à la compréhension de lui-même, ni du monde par la même occasion.
L'individu Barnabé, c'est juste une invention commode de ceux qui aiment à compter les gens, à les grouper, à les classer, à les additionner, à les soustraire, à les multiplier par toutes sortes de données économiques, et à les diviser entre eux.
L'individu, ce n'est qu'une frontière pour vous isoler du monde, une coupure entre soi et soi. Barnabé ? un individu ? Et pourquoi pas un « vous, là-bas », un consommateur, un numéro de sécurité sociale, une… ressource humaine ?
Barnabé ne voulait pas que le regard des autres décide de qui il était et même de l'endroit où il se trouvait. Qu'est-ce qui l'empêchait, après avoir fait acte de présence au lycée, c'est-à-dire largué son corps sur une chaise en témoignage de son passage, de prendre son envol pour se répandre aux quatre points cardinaux de la pensée, s'accrocher au fil du langage, remodeler à sa manière la totalité du monde ?

Mais la réalité, mon pauvre Barnabé, qu'est-ce que tu fais de la réalité ?

La réalité, il ne la méconnaissait pas, Barnabé. Il savait comment la trouver. Il lui suffisait de fermer les yeux et de foncer en courant droit devant lui. En moins de temps qu'il ne faut pour le dire, la réalité se manifestait dans toute sa... réalité. Il n'en doutait pas un seul instant, de la réalité, Barnabé. Il voulait juste qu'elle demeure à sa place. Il détestait courir les yeux fermés. Il voulait les garder ouverts sur le grand escalier de l'imaginaire ou la grande architecture du langage, qui vous prenait ce putain de réel à revers, vous le faisait parler, vous l'humanisait en moins de deux, vous le rendait intelligible, émouvant, souvent sublime.
Ayant percé le mur des apparence où on voulait l'enfermer, Barnabé s'en allait tranquille sur le chemin de la vie.



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