Brume est un philologue. Il est vrai que ce mot est tombé en désuétude et qu'on dirait plutôt linguiste aujourd'hui. Mais justement, linguiste, il ne l'est pas. Ce n'est pas à la langue qu'il tient, mais à l'ensemble de ses réalisations, cette couche sédimentaire qui a commencé à se former dès le moment où les hommes se sont mis à écrire. Entrelacs et accumulation de textes,   gisements formés par toutes les bibliothèques publiques et privées. De tous les écrits qu'elles ont rassemblés, et de tous ceux qui traînent dans tous les lieux où nous vivons, émanent de subtiles radiations touchant l'âme des hommes et structurant leurs pensées sans même qu'ils en aient pleinement conscience. Un texte n'est peut-être qu'une pensée fossile, mais imaginez un fossile que ranimerait d’un simple regard. En écrivant, un homme pose à l'extérieur de lui quelque chose de son monde interne ; par la lecture le texte reprend vie dans une nouvelle intériorisation.
Le mot texte, même en français, renvoie à texture et à textile et donc au geste du tissage. Entre l'écriture et le tissage, entre la composition et la couture on trouve une étroite filiation de sens : le rhapsode, celui qui disait les mythes, n'est un couseur de paroles. Et si vous pensez que je me laisse dériver  au hasard de mes idées et que je m'éloigne de l'objet de mon propos, sachez que tout au contraire nous trouverons ici justement la raison pour laquelle Brume se pense en philologue. Ce lien entre texte et tissage n'est qu'une métaphore, une métaphore qui n'intéresse pas le linguiste, car celui-ci ne va pas chercher dans l'art du tissage et de la couture les secrets de son objet d'étude. En revanche, elle intéresse Brume, car, si elle ne dit rien sur le langage, elle en dit beaucoup sur le travail de l'imaginaire.
La métaphore, pur effet de langage, n'obéit qu'à la loi du langage et ne s'appuie sur rien de réel; et pourtant, elle commande notre manière de voir.
Brume a un très grand respect pour la science et les hommes de science, mais très clairement il n'en est pas un, car il estime leur champ d’action trop étriqué. On pourra certes expliquer beaucoup de choses à partir de la chimie du cerveau, peut-être finira-t-on par rendre compte ainsi de la création poétique ou de l'art en général. Pas sûr que cela fasse de nous de meilleurs poètes ! En outre, nous ne sommes pas à la veille d'y parvenir, tandis qu’obstinément, la poésie, sous les formes les plus diverses, y compris les chansons et les fleurs du langage quotidien, continue d'informer notre pensée. Brume la capte telle qu'elle naît sous les doigts du poète sans chercher à savoir de quelle alchimie elle procède, et suit son parcours. C’est tout et cela suffit.