Parler de l'écriture au lieu de simplement écrire, c'est simplement idiot et même un peu prétentieux. Je me suis efforcé de ne pas céder à cette tentation et je crois y être parvenu le plus souvent possible dans la période heureuse ou cela venait tout seul. Maintenant que c'est devenu laborieux, c'est tout ce qu'il me reste pour essayer de comprendre.
Jamais ici je n'ai écrit sur commande. Les textes se faisaient eux-mêmes. Ouvrir le robinet, recueillir l'eau dans un seau, rien d'autre à faire. Bien sûr, ils n'étaient pas parfaits au premier jet, presque jamais. Je laissais venir, puis reposer, et reprenais quelques jours après, quand le souvenir immédiat s'en était dissipé. Les mots déjà inscrits, qui semblaient déjà si étrangers, comme d'un inconnu, en appelaient d'autres, d'autres portes secrètes s'ouvraient et de vieux fantômes venaient esquisser leur émouvant pas de danse sous mon regard intérieur.
Je n'ai pas l'écriture facile, je résiste, je cherche facilement un prétexte pour m'en arracher, surtout quand justement les mots pourraient venir.
De longs moments passés devant le clavier, sans savoir quoi dire, sans avoir rien à dire, avec pour seule certitude la garantie qu'il y a pourtant toujours quelque chose à dire, que des mots, des phrases sont toujours à fleur de conscience et qu'ils n'ont qu'à venir éclater en surface, comme ces bulles qui remontent du fond d'un étang.
Je ne saurais expliquer comment il faut écrire, je raconte simplement comment cela se passe ici.
C'est comme un rêve. J'essaie de ne penser à rien, en réalité je sommeille, les doigts sur le clavier, de telle heure à telle heure, et je note ce qui me vient.
Quand les mots me viennent, je m'efface. Je laisse dire comme si cela n'avait aucun rapport avec moi, ou presque. Parfois je me laisse porter par la musique.
Un serrement de coeur, je tends l'oreille, un univers vient se loger entre les quatre murs de la pièce où je me tiens.
J'aime voir défiler les mots comme le paysage qu'on voit de la fenêtre du train, d'un train lent et silencieux. Soudain le bruit du train s'efface et seul le paysage poursuit son déroulement, paysage mouvant qui s'enfuit loin de nous à peine entrevu.
On ne peut pas savoir comment cela se passe dans les secteurs de son âme auxquels on n'a pas accès.
Seul, face à l'horizon seul devant les arbres, les champs, la vapeur des nuages.
Je me dissous.
Et la place que j'occupais s'emplit de mots. Pourquoi des mots ? parce que je rêve. Je vois bien des images, mais ce sont des mots, seulement des mots qui s'échouent sur cette page.
Toujours cette idée que cela rappelle un souvenir, une absence, une perte.
C'est, par lambeaux, ce que sans le savoir je suis qui m'arrive là et le plus souvent cela m'étonne.