Lundi 30 décembre 2013 à 19:34
C’est l’été, il fait un temps superbe, soleil de neuf heures du matin, allons piquer une tête dans la rivière. On s’y voit déjà, ondulant dans le courant, le rêve.
Arrivé sur le ponton, c’est une autre affaire. On s’interroge. L’eau n’est-elle pas un peu froide ? Sauterai ? Sauterai pas ? Sauter oui, mais... Bon ! Rien n’est simple.
Les vrais articles viendront, mais, d’abord, pinaillons pour reculer un peu l’échéance.
- La troisième phase de l’existence de ce blog commence donc aujourd’hui. Mais pour dire quoi ?
Vous l’avez compris, il s’agit dans l’immédiat non pas de nager, mais de s’imaginer nageant bientôt. Tout ce qui suit est dit le plus sincèrement du monde, mais peut-être n’est-ce que du pipeau. Du blabla pour donner le change. La réalité prendra peut-être des formes imprévisibles.
D’abord, je reviens à ce blog, celui-ci, pas un autre, parce que quelque chose qu’il m’apportait me manque. A force de ratiociner dans son coin, on balbutie plus qu’on ne brouillonne, en attendant l’oeuvre parfaite qui promet énormément mais joue les coquettes.
Balbutier, c’est avoir bien des idées, mais qu’on laisse en plan derrière soi à peine ébauchées ; velléité inutile. Le brouillon, stade intermédiaire entre balbutiement et accomplissement, c’est beaucoup mieux : retravaillée, rendue accessible à d’autres, mise sur orbite et risquée dans l’espace commun, elle s’offre à la critique. Cela revient d’ailleurs très souvent à restituer aux autres l’idée qu’ils nourrissent eux-même, à leur insu ou pas. Une idée, ça ne sort jamais de rien ; ça circule d’une cervelle à l’autre, ça prend forme dans l’air du temps, ça se construit en réseau. On la croit toute à soi, née de rien, alors que c’est un voisin qui vous l’a soufflée à l’oreille sans même le savoir.
Bref.
Alors, ici, des brouillons, mais des brouillons jolis, bien écrits dans la mesure des moyens disponibles, etc.
- Oui, d’accord, mais pour dire quoi ? (C’est la seconde fois qu'on pose la question !)
Je pourrais m’en tirer en disant : tout et n’importe quoi, ce qui me passe par la tête. Mais ce ne serait pas honnête. Qui n’a pas ses obsessions, ces questions récurrentes, ce ressassement qui nous revient chaque fois qu’on doit marcher plus de 200 mètres, quand par bonheur on n’a pas son MP3 sur les oreilles ( le MP3 étant une ressasseuse artificielle, une prothèse en quelque sorte pour échapper à ce brassage cogitatoire vertigineux, inquiétant mais si nécessaire ) ?
La première de ces obsessions consiste en une méfiance quasi pathologique envers tout ce qui paraît aller de soi. Une manière de théorie du complot qui assimilerait tout jugement d’évidence à une forme d’enfumage qu’on s’infligerait à soi-même, conviction quasi obsessionnelle que c’est justement là où tout semble couler de source que se cachent les problèmes les plus épineux.
Parmi ces choses qui vont de soi et dont il faut se méfier, en première place, le « Je ». Cet être familier, cohérent, prévisible, grandiose, que nous croyons être. Supposons un instant que ce Je, nous puissions voir ce qu’il en advient dans le secret des cervelles de ceux qui nous entourent (et qui ne nous veulent pas forcément du mal). Quelle collection disparate de figures plus ou moins grotesque cela ferait !
Autre évidence suspecte : le langage. Nous en avons tellement besoin, il nous imprègne de façon si nécessaire que nous peinons à voir les enfants qu’il nous fait dans le dos chaque fois que nous tentons de penser le monde (« Je » lui même est d’abord un mot).
Il nous fait dire dire plus nous ne pouvons, il nous égare dans la confusion des plans, il nous laisse croire qu’il y a des mots pour tout, que rien ne lui échappe. Il masque exactement autant qu’il révèle.
Quand on apprend à parler, on table sur une permanence du langage, on se fie au mots. Mais il suffit de voir passer les décennies pour se rendre compte que le sens glisse sous les mots, se décale, se transforme. Illusion d’une permanence des choses sous la permanence des mots. Angoissante illusion, pour quiconque perçoit l’accélération stupéfiante que subit la transformation des choses. Notre époque semble le théâtre d’une immense réaction chimique amorcée depuis longtemps, devenue perceptible dans les années 80 du dernier siècle, et qui soudain s’emballe.
Entre les choses et les mots, le réel et la pensée, le décalage devient dramatique. Le langage opère à la fois comme un leurre et un révélateur, ce qui n’est contradictoire qu’en apparence. La tranquille permanence des mots masque la dérive du sens et retarde dramatiquement la prise de conscience du fait que nous sommes embarqués, à notre corps défendant dans une aventure décisive. Nous n’arrivons même pas à vraiment « capter », comme on dit, que les modes de pensée traditionnels tournent à vide, que les phrases que nous utilisons virent systématiquement à la langue de bois. C’est flagrant dans le discours politique où les clivages traditionnels perdent leur sens, où les fronts se renversent. Ce l’est de façon dramatique dans cette paralysie de la pensée qui nous empêche de prendre la mesure des défis qui nous attendent au moment où peut-être il est déjà trop tard.
Mais ce vacillement du langage est un symptôme, un signe avant-coureur pour qui se donne les moyens de le percevoir. Du monde je sais peu de choses et je me vois mal jouer les Cassandre ; le langage, ses ébranlements, ses apories me sont en revanche bien plus familiers. Ces flottements, que j’évoquais, ces inversions de sens, cette difficulté croissante à trouver les mots pour dire ce qui se noue en ce moment même, cette rupture entre le discours et l’action, je tenterai donc d’en dire deux mots, ou plutôt je laisserai mes petites marionnettes, Barnabé, Brume et quelques autres en parler à leur manière.
- Bigre ! Tout cela nous annonce des jours difficiles et des textes plutôt emmerdants. Mais une question encore, si j’ose : Pourquoi ici ? Qu’est-ce que Cowblog vient faire là-dedans ? Si tu veux jouer les prophètes, il te faudrait une autre caisse de résonance.
- Franchement, je ne sais pas. Alors contentons-nous d’un pudique « Pourquoi pas ? »
Et puis, le vent se lève, je frissonne un peu malgré le soleil. Je ne me baignerai pas aujourd’hui. Un autre jour, peut-être...
Samedi 19 juin 2010 à 10:30
L'écriture n'est jamais qu'un instantané, la fixation très arbitraire d'une pensée fluide et toujours changeante, aussi difficile à saisir que le jeu de l'eau dans un torrent de montagne. Plus encore, ce que saisit l'écriture, avec la rigueur de la syntaxe, l'élégance du style, la clarté d'une expression rationnelle, c'est un remuement intérieur dont les pulsations ne relèvent ni de la clarté ni de la rigueur. Le texte nous semble être l'émanation la plus exacte de ce que nous sommes au plus profond de nous-mêmes, alors que justement il en l'opposé, la dénégation. Le rêve le plus fou des hommes est ce mirage de la pensée claire, ce désir qu'elle colle au réel, quelle l'exprime, qu'elle en traduise le sens, comme si hors de la parole même un sens pouvait être. Un mirage tout porteur d'illusion qu'il soit est un phénomène réel, pas question donc de nier le fait de la pensée claire, la superbe architecture de la mathématique, la stupéfiante beauté de nos cathédrales textuelles. Simplement, ce ne sont que des structures fugitives sur le chaos, des figures tracées sur le sable. C'est peut-être cela que Freud veut dire avec sa pulsion de mort. Fixée dans un discours, une forme semble indestructible, atemporelle. Considérée comme un moment du flux héraclitéen, elle se défait en se faisant, se perd en devenant autre, la forme humaine comme les autres. Nous sommes pas tels que nous nous voyons; étrangers à nous-mêmes, mais aussi porteurs au même instant de tous les moments de notre être; nous sommes donc avant tout mouvants, polymorphes, contradictoires, insaisissables. Notre aptitude à penser - qui fut elle-même acquise au cours du temps - nous permet de hasarder des figures de mondes, de créer des îlots de rationalité, montagnes à l'échelle humaine, poussière mouvante à l'échelle de l'univers. Bel amusement pour un instant du monde. C'est vain, mais justement, pour cela même, c'est beau et cela n'appartient qu'à nous.
Mardi 20 octobre 2009 à 10:25
Et si tout ça n'avait été qu'une illusion ?
Et si la civilisation n'était qu'un château de glace que quelques degrés de réchauffement de l'air ambiant peut réduire en eau et disperser à travers le sol desséché ?
Une parenthèse.
Nous sommes des individus effarés, nous ne comprenons rien au destin de notre espèce. Nous croyons être propriétaires d'un morceau de pelouse et d'une petite maison dans la banlieue d'une grande ville, et puis en quelques semaines, en quelques jours, rien de tout cela n'a plus d'importance. Alors on reprend la route des premiers ancêtres, laissant tout derrière soi comme en plein désert l'on se détourne d'un puits sans eau.
Peut-être est-il dans la nature des hommes d'errer en troupeaux parmi les décombres de leurs rêves.
Réfugiés, naufragés, clandestins, vous n'êtes que les premiers.
Notre vraie culture est celle du désastre.