Lundi 13 janvier 2014 à 22:15

M. Brume est d'un naturel paisible et ne fait guère de bruit. Enfin, la plupart du temps. Car, parfois, sans crier gare, il démarre au quart de tour et laisse un peu décontenancés des interlocuteurs de bonne foi qui n'y mettaient pourtant aucune mauvaise volonté.



- Vous me pressez de dire ce que je pense de ceci ou de cela, si j'ai un truc pour gagner au loto ou pour soigner la gueule de bois. Mais alors, pourquoi ne vous presserais-je pas, vous, de vous expliquer sur que vous appelez si naturellement, si simplement, si hâtivement la vie ?
Et tandis que vous réfléchissez, permettez-moi quelques remarques en passant, pour meubler.
La vie, pour moi, c'est un choix. Quelque chose qui ne mérite pas d'être choisi ne peut pas être la vie.
Et n'opposez pas bêtement la vie à la mort, comme si entre les deux il n'y avait rien de possible. Ce qui s'y trouve, ni vie ni mort, ça n'a pas de nom officiel, alors permettez-moi de l'appeler la vroque.
La vroque, c'est presque gratuit, c'est ce qui est donné au départ et dans nos sociétés faussement douillettes tout est fait pour qu'elle dure. Il faut vraiment se démener beaucoup pour s'en débarrasser, de la vroque. Elle colle aux pieds, aux doigts, son odeur fade, son goût poisseux nous imprègne.
Donc, pour résumer, trois chose : la mort, la vie, la vroque.
Le problème, c'est qu'on ne sait jamais, quand les gens disent "la vie", s'ils ne parlent pas plutôt de la vroque.
On célèbre la vroque, entrez dans la vroque, c'est la chance de votre vroque, la vroque des stars, achetez Gurb pour vous changer la vroque, la vroque à cent à l'heure, la vroque quotidienne, ouf, il est encore en vroque ! On pourrait avoir la vroque, la survroque et pour couronner le tout : la vroque éternelle, offrez à vos enfants la vroque qu'ils méritent.
Et comme la vroque se tortille et se recroqueville en permanence sous nos yeux, il est facile de la décrire et même d'en percer les mystères, qui ne sont guère subtils.
Il y a un système de la vroque :
- avoir remplacé la circulation du sens par celle des marchandises ;
- avoir remplacé la fonction de l'imaginaire par la saturation préventive ;
- avoir réduit la question du désir à celle de l'argent ;
- avoir monopolisé toutes les ressources privatisé l'espace.
Compris, me direz-vous. On voit bien comment ça se passe : la vie pour les riches qui peuvent s'en offrir le luxe et la vroque pour tous les autres, les chômeurs, les jeunes qui galèrent, etc.
Eh bien non, justement pas. Là, vous vous fourrez vraiment le doigt dans l'oeil, et c'est très dommage parce que la différence entre la vroque et la vie, c'est juste une question de regard.

Dimanche 18 octobre 2009 à 18:52


Un homme qui entre la date de sa naissance et celle de sa mort aurait vécu, comment dire...  autre chose que la vie. Comme si derrière le décor de la vie, autre chose était possible.

Ne voulant pas de cette vie, il s'en est affranchi. Pourtant, il ne s'est pas donné la mort : il a écrit.

 


Samedi 26 septembre 2009 à 14:00


J'ai vu la mer se retirer et revenir
Cent fois
Mille fois
Comme s'en va toujours le jour qui vient
Jamais plus haut que là, jamais plus loin que là
Comme un passant qui traverse la ville
Une première fois sur ses deux jambes
Et il revient
Une seconde fois dans la barque d'un rêve
Et il revient
Une troisième fois sur le radeau de la mémoire
Et il revient
Une quatrième fois noyé dans l'oubli
Et il revient
Puis tout recommence

Moi aussi
Je remonte ma rue
Je redescends ma rue
Toujours et toujours
Passants pressés
Pigeons qui traînent
Bruits
Chiens
Crottes
Poubelles
Voitures
Voitures
Poubelles
Voitures
On marche on marche
On va on revient
Le retour efface l'aller
L'aller abolit le retour
Et en fin de compte on n'a pas bougé
Jamais plus haut que là, jamais plus loin que là

C'est que l'adresse
Oui, l'adresse
La fameuse adresse
Vous savez bien
Celle qui dit
Où l'on doit se rendre
Absolument
Sans quoi ça ne vaut pas la peine 
Ça fait belle lurette qu'on l'a perdue

On a interrogé le gris du ciel
La lèpre des murs
Les chiffres
Les regards crevés
Les portes fermées
On a fait semblant de chercher
Ou semblant d'oublier
Et finalement
On a renoncé sans renoncer
On a vécu sans vivre
On est mort et pourtant
On remonte la rue
On redescend la rue
Encore et encore
On le fait
Et quand on n'en aura plus la force
Un autre se glissera dans nos pas

Sans même le savoir

 



 


Vendredi 25 septembre 2009 à 12:26


    Toute narration tourne autour de la question du destin. Qu'est-ce donc qu'une histoire, un conte, un roman ? Rien d'autre que la représentation plus ou moins élaborée d'un destin. Et si elle relève de l'imaginaire, c'est justement par le fait d'être un destin et non pas seulement le déroulement nécessaire d'un programme fixé à l'avance.

        Si je devais être romancier je ne chercherais pas à raconter des histoires achevées, mais seulement à amorcer des destinées. Bienheureux celui qui possède un sens suffisamment aigu du possible pour saisir assez tôt tout ce qu'une vie peut enfanter ! Biographe, oui, mais uniquement du potentiel.

    Insensé qui dans la narration d'une vie ne considère que le passé, alors que seul compte l'avenir en train de se faire ! Ne pas annuler non plus la vie présente en rêvant à tout prix d'une vie autre, mais féconder ce présent, porter au jour ses prolongements les plus paradoxaux, déchirer le rideau de routine qui l'étouffe et resprirer l'air vif des terres inconnues, embrasser d'un seul regard le vaste champ infiniment battu par les galops de tous les possibles.

 

Lundi 22 décembre 2008 à 10:28


Quelques phrases traînant, incertaines, comme un reste de fumée dans l’air quand le fumeur est parti et qu’il ne reste plus de lui que cela.
Trois ou quatre filaments de brume sur les champs endormis, qu’on traverse en marchant et qu’on respire au passage. Vagues odeurs éveilleuses de pensées oubliées.
Je marche, je dis je, je crois savoir où je vais. Je veux.
Mais à chacun de mes pas, une phrase s’éveille, un souvenir revient, l’impensé se révèle, l’invécu appelle autres possibles. Et je ne sais plus où je suis, ni ce qui compte, si c’est folie ou bien raison.

Là où mes pas me conduisent, est-ce bien là que je pensais aller ?

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