Dimanche 3 décembre 2006 à 11:19


Et quand il revint, elle ne se cachaient plus. Elles couronnaient de leur danse le modeste sommet. Il se dit qu'elles l'attendaient. Elles évoluaient lentement dans l'air glacé ; leurs pieds nus effleuraient à peine la surface fragile de la neige. Mais on ne percevait pas la moindre musique. Il s'approcha ; d'un signe, elles l'invitèrent à franchir la limite de leur cercle.

Aussitôt les voix se firent entendre : « Bientôt, tu t'éveilleras ! », chantait la voix d'or. Il demanda : « Qui êtes-vous ? », mais la question se perdit. Elles parlaient tout autour de lui, elles parlaient pour lui, mais ne répondaient pas aux questions et ne s'arrêtaient pas de danser. « Pourquoi ne vas-tu jamais jusqu'au bout du chemin ? », disait la voix d'argent. « Pourquoi gardes-tu ce qui ne t'appartient pas ? », sifflait la voix de glace.
Il repêcha le ruban dans sa poche et le tendit à la petite dont les cheveux flottaient en désordre, mais celle-ci ne fit aucun geste pour le reprendre. Elle se mirent à rire toutes les trois sans cesser de tourner, et si fort qu'il se boucha les oreilles. Ce n'était donc pas le ruban…
« Et si, enfin, tu poursuivais ta route... », reprit la voix d'or ; « Si enfin tu ouvrais les yeux... », dit la voix d'argent ; « Si enfin tu me donnais ce que tu me dois… », chuchota la voix de glace, menue, mais perçante comme une aiguille.
Poursuivre sa route ? Mais comment ? Il était au sommet et quand on est arrivé là, que faire, sinon redescendre et revenir, redescendre une fois de plus et remonter sans cesse ? Et que pouvait-il bien rendre, lui qui ne possédait rien, sinon ce ruban dont elles ne voulaient pas ?
Les voix se mêlaient : « Il ne sait pas voir… Naïf qui ne croit qu'à la beauté des choses… Il ne connaît pas nos enchantements, nos illusions, la force de nos rêves !»
Les voix formaient d'étranges accords, des constructions fragiles et envoûtantes, qui se brisaient sur de cruelles menaces.
C'en était trop. Il voulut se glisser hors du cercle, et jeta autour de lui un regard de bête traquée.
C'est alors qu'il vit le chemin. Elles avaient raison : le sommet n'était pas là, mais bien plus haut. Dans le prolongement exact de son regard, comme sorti d'un profond brouillard – l'air était pourtant si limpide ! - se dessinait un chemin, et quel chemin ! Un chemin qui menait enfin hors de la nuit, un chemin de lumière.




Samedi 2 décembre 2006 à 11:04


Une idée toute simple : un petit miroir qu'il glissa dans sa poche le lendemain. Cela marcherait peut-être, et, plus il y pensait, plus il était sûr que cela marcherait. Il monta rapidement jusqu'au sommet. Il enleva ses gants qu'il glissa dans sa veste et se tint bien droit, les mains aux poches, le regard perdu dans un paysage qu'il ne regardait pas vraiment. Il cala le miroir au creux de sa main gauche et tendit l'oreille. Aussitôt, les voix bourdonnèrent : une voix d'or qui chantait, une voix d'argent qui parlait, une voix de glace qui chuchotait tout près, tout près. Il fit semblant de ne rien entendre, puis, quand il sut que c'était le moment – on ne sait ni pourquoi ni comment, mais il le sut - , il sortit la main gauche de sa poche et la porta innocemment à son visage, comme s'il voulait se gratter le nez, en veillant bien à ne pas laisser voir le miroir. Il jeta un coup d'œil, et il découvrit exactement ce qu'il voulait voir : tout près de lui, à quelques centimètres de son dos, une gamine… non, pas une gamine, mais une jeune fille très petite et fine, vêtue comme une gitane d'une longue robe rouge. Ses longs cheveux noirs tombaient en désordre sur ses épaules.

Derrière elle, à une dizaine de mètres, deux autres jeunes filles moins hardies semblaient observer la scène : deux autres fines silhouettes, deux cris de couleur sur la neige blanche et muette.
C'était le moment. Sans se retourner, il jeta sa main droite en arrière et agrippa quelque chose. Il y eut une sorte de froissement d'ailes, comme s'il avait attrapé un oiseau. Il se retourna, la jeune fille se débattait frénétiquement, sans pousser le moindre cri ; il prit peur et lâcha prise. Une fraction de seconde, la jeune fille le fixa droit dans les yeux : un regard mauvais, furieux, et il sentit comme deux piqûres d'épingle tout au fond de sa tête. Puis elle s'enfuit, légère comme une biche, sans laisser la moindre trace dans la neige. Les deux autres s'étaient éclipsées les premières.




Vendredi 1er décembre 2006 à 16:51


Le jour suivant, il décida de partir beaucoup plus tôt et de s'arrêter un peu avant le sommet. Il s'accroupit sous le couvert des sapins une centaine de mètres plus bas et observa très attentivement le terrain en pente et ligne de partage encore incertaine de la neige et du ciel. Il faisait nuit, le silence était parfait, on n'entendait qu'un léger souffle de vent qui soulevait par endroit de minuscules nuages de poudreuse.

De longues minutes passèrent, le ciel s'éclaircissait progressivement. L'homme n'aimait pas rester sur place, mais il se força. Il se concentra tellement qu'il finit par voir apparaître deux hermines, juste à l'endroit qu'il fixait, comme si ces deux animaux agiles et facétieux étaient nés de son propre regard. Blanches comme la neige elles semblaient danser, sans toucher le sol. D'un coup elles disparurent et il n'y eut plus rien à voir. Le temps s'écoulait pour rien ; il faisait froid ; la neige fondait sur les vêtements ; l'humidité commençait à percer. Inutile de persévérer. L'homme renonça même à terminer son ascension et redescendit rapidement. Il avait une idée en tête.






Vendredi 1er décembre 2006 à 16:13


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