Dixième (et dernier) épisode
Les naufragés, nus, défaits, ne pouvaient détacher leurs regards de cette splendeur. Seul Blogdown s'étonnait du grand silence... Certes, le vent soufflait de la mer et soufflait fort, mais la ville était si vaste et si proche…Ils parvinrent au pied du grand mur qui soutenait le boulevard, cinq ou six mètres plus haut. Ils s'engagèrent sur un escalier dont les marches étaient couvertes de sable.
Le boulevard apparut, démesuré, mais silencieux, encombré de sable, de branches mortes et de gravats. Quelques voitures traînaient, rouillées et poussiéreuse.
Ils pénétrèrent dans la ville. La rue était jonchée de débris de verre, de meubles brisés, de livres, de tissus maculés de boue, de bibelots abandonnés.
La ville était complètement déserte. A part les papiers qui volaient et les fenêtres qui battaient aux étages, rien ne bougeait, rien, sinon peut-être au loin ces vagues grises, indistinctes, qui ondoyaient sur les trottoirs...
Le vent tomba et aussitôt une indescriptible odeur de mort saisit les arrivants.
Pauvres habitants de l'île Monde ! pauvres imbéciles ! Avec leur petit progrès à la con, leur bricolage infantile et leur naïveté, ils étaient perdus d'avance ! Incapables de rivaliser avec le vrai Progrès, le Progrès en grand, la vraie montée en puissance de l'humanité, ils arrivaient bien trop tard : dans le monde, le vrai, tout était joué et bien joué. Quelques années plus tôt, l'espèce humaine s'était évaporée dans une de ces splendides explosions dont elle avait le secret.
Fin du monde ? Certainement pas. Le grand mouvement de la vie ne s'embarrasse pas de si minuscules détails. Les hommes avaient disparu, certes, avec leur technique, leur science, leurs croyances absurdes et leurs querelles ; mais leurs cités, leurs prestigieuses mégalopoles, étaient devenues le domaine des rats qui s'y trouvaient à l'aise.
Les rats, des milliards de rats colonisaient les villes.
D'ailleurs, ils approchaient. C'étaient eux que l'on apercevait au loin sur les trottoirs. Surgis de tous côtés, ils entouraient maintenant le petit groupe, observant à distance, patiemment et avec appétit, ces quelques quintaux de chair que la Providence des rongeurs carnassiers leur offrait. On distinguait parfaitement au premier rang leurs petits museaux frémissants.
Terminé !