Jeudi 29 mars 2007 à 15:10
Un soir, sur MSN, dans une belle discussion avec quelqu'un qui ne souhaite pas être nommé ici, une idée est apparue, qui mérite bien un petit développement.
Elle n'a rien d'original, puisqu'elle entre dans le cadre de ce qu'on appelle la pragmatique du discours : toute communication comporte et un contenu et un aspect relationnel.
Loin d'échapper à cette règle, les blogs relèvent du « faire » beaucoup plus que du « dire ». A ne vouloir considérer que leur contenu, on s'égare.
On croit lire des textes ou contempler de belles images ; en réalité on entre dans l'histoire de quelqu'un.
Un blog n'est pas une publication au sens strict du terme, comme un livre ou un organe de presse. Il marque l'irruption de la parole privée dans l'espace public. Il met à la portée des particuliers l'indifférenciation du privé et du public caractéristique de l'univers médiatique : on glisse de la vie au spectacle de la vie, puis au spectacle de ce spectacle.
S'il est difficile de voir dans tous les blogs une mise en scène délibérée, assumée de la vie intime, le blog en général définit une situation de communication inédite, aux caractéristiques très typées. Il bouscule les règles jusqu'ici admises de la publication des textes, et change radicalement le statut des écrits intimes.
Jusqu'ici, la sphère personnelle de l'auteur et la sphère publique n'étaient jamais confondues. Un écrit ne pouvait devenir public qu'en passant par une série d'intermédiaires institutionnels (éditeurs, organes de presse) qui imposaient une distance. On n'attribue pas à l'auteur d'un livre les turpitudes qu'il décrit ; on ne confond pas l'auteur, le narrateur, les personnages ; on ne téléphone pas à l'auteur pour lui demander des comptes. Quand on écrit un livre, peut-être l'écrit-on en ne pensant qu'à soi, mais s'il est publié, c'est toujours en fonction de ses lecteurs éventuels.
Internet a changé la donne.
Le blog n'est qu'un nouvel avatar du journal intime, de la lettre personnelle, du secret partagé, voire du mot qu'on laisse traîner sur la table de la cuisine pour annoncer qu'on est allé se faire pendre ailleurs. Pourtant, n'importe qui peut y accéder; les lecteurs (on dit visiteurs) sont conviés en nombre; plus il y en a, plus on est content.
Et malgré cela (ou à cause de cela) le blog est un très bon moyen de lancer des ultimatums en temps réel, d'engager d'odieux chantages ou de s'intoxiquer soi-même.
Certes, il n'en va pas toujours ainsi. Certains pensent pouvoir se réclamer du schéma traditionnel ; mais ont-ils vraiment des blogs au sens strict du terme ? Et, de toute manière, on n'est jamais sûr de rien. Comment savoir si tel cri du cœur doit être pris ou non au pied de la lettre ? Les blogueurs eux-mêmes savent-ils toujours où ils en sont ?
Dans le meilleur des cas, ce flou conduit à des situations décalées, parfois drôles, parfois sinistres, mais toujours déroutantes pour un lecteur « à l'ancienne ».
Quelques exemples :
- le message ultra-personnel balancé à la face du le monde : Pourquoi tu m'as fait ça ! Je t'ai bien vu hier, à 16h43, dans le bus W avec cette pétasse.
- la prise d'otage : Attention, je vais faire un malheur ; et vous serez malades de culpabilité, parce que vous assisterez à la catastrophe sans pouvoir rien faire.
- l'injonction contradictoire : Au secours, fichez-moi la paix !
- le scoop : Hier soir, j'ai regardé la télé.
- le comble du people : Il est pas mignon, mon hamster ?
Mais le plus caractéristique peut-être, c'est l'article qui se referme comme une huître dès qu'on tente de le lire. Il a toutes les apparences d'un petit bijou littéraire ; malheureusement, surchargé de sous-entendus, de références non explicitées, il ne livre que ses phrases, ses mots, ses figures de style : l'auteur n'a pas jugé bon d'en transmettre les clés aux lecteurs. Les tentatives d'interprétation se détruisent les unes les autres, et l'auteur ricane : Pas grave ! Moi, je me comprends, et c'est pour moi que j'écris.
Frustrant !
Cela dit, le lecteur n'est pas seul en cause ; de profonds malentendus, bien plus graves à mon avis, guettent les auteurs eux-mêmes.
Les états d'âme, les coups de colère, les cris de douleur changent de nature lorsqu'il passent de la rumination intérieure à la forme écrite, et plus encore si, mis en valeur par un brillant habillage, ils basculent dans la sphère publique.
Dans les eaux troubles que l'on traverse entre 13 et 25 ans, quand on flotte encore dans la vie sociale sans avoir son fond et sans savoir bien nager, ce qu'on écrit tient parfois du miracle, mais cela va aussi dans tous les sens.
Pourtant, fixée par l'écriture, la pensée la plus improbable, la plus fugace devient objet, acquiert une permanence, se donne des allures de vérité. On ne peut porter cette sorte de vérité à la connaissance du public qu'en la détachant de soi. L'expression publique du désarroi, de la souffrance, est toxique si on ne s'en dissocie pas. Un état affectif se renforce en se montrant aux autres ; il revient nous en boucle, insidieusement légitimé.
L'expression de l'anorexie, des mutilations, de la mise en danger de soi devient proprement insupportable au moindre soupçon d'exhibition (justifié ou non). Ce sont de vraies souffrance, mais elles sonnent faux lorsqu'elles se donnent à voir. Et surtout, en s'offrant en spectacle, elles se donnent une raison supplémentaire de durer.
Je peux comprendre qu'on exprime son mal de vivre, et même en public, mais qu'alors on le fasse sous la forme d'une demande avec une réponse possible. Et si ce n'est pas envisageable, si l'on doit absolument crier sa souffrance à la face du monde, simplement pour crier, alors crachons-la loin de nous sous une forme que les autres puissent reprendre à leur compte. La poésie sert à cela, entre autres.
Je ne crois pas qu'un blog puisse rendre fou, mais je suis sûr qu'il peut exciter une douleur présente, amplifier un déséquilibre existant.
On y flirte souvent avec le passage à l'acte parce le blog est par lui-même déjà un acte. Rien à voir avec un pur exercice de langage.
Je ne vais pas me mettre à condamner les blogs, dans un blog, qui plus est !
Tout au contraire, je suis convaincu que les blogs offrent à l'écrit une chance nouvelle, qu'ils ouvrent des perspectifs prometteuses et je m'en félicite. Néanmoins, en définissant une situation de communication inédite, ils nous imposent des règles qu'il faut connaître. Quand on s'aventure sur un chemin mal défriché, il vaut mieux porter de bonnes chaussures et marcher prudemment, à cause des serpents.
Lundi 26 mars 2007 à 19:39
Des blogs, il en meurt beaucoup ces temps-ci, et non des moindres. Les administrateurs ont probablement les moyens de suivre l'hécatombe avec une certaine précision ; mais pour le blogueur de base, c'est beaucoup plus difficile, parce que les blogs meurent très discrètement. Plus encore, en disparaissant, ils se retirent également, de la liste de nos amis sans le moindre avertissement. Il arrive qu'on ne s'en rende même pas compte pendant des semaines. Imaginez-vous ce qui se passerait si les noms, les adresses, les numéros de téléphone de nos connaissances pouvaient s'effacer à notre insu de tous les agendas, de tous les carnets d'adresses !
L'ampleur du phénomène nous échappe donc. La liste des « blogs du mois » présente déjà de nombreuses lacunes ; il nous arrive parfois aussi, en tapant une adresse, sur l'irritant message « erreur 404 », ce sont des indices, certes, mais bien peu parlants
Il est un endroit pourtant où le processus est un peu plus visible et peut être suivi au jour le jour : c'est la liste des cent blogs qui ont produit le plus grand nombre de commentaires. A chaque blog est associé, si j'ai bien compris, le total de tous les commentaires postés depuis sa création ; leur nombre ne devrait donc, en principe, jamais cesser de croître. Or, dans bien des cas, et surout chez ceux qui totalisent le plus grand nombre de commentaires, le total décroît assez souvent. C'est que, dans son naufrage, un blog en perdition entraîne avec lui tous les commentaires qu'il contient.
Cette affaire de blogs qui disparaissent me fait penser à une nouvelle de Dino Buzzati : Les Bosses dans le jardin. C'est dans Le K. Ceux qui l'ont lue comprendront ce que je veux dire. Si vous ne la connaissez pas, lisez-la, et avec elle tout le recueil, ça vaut la peine.
Jeudi 22 février 2007 à 19:11
Cela fait un sacré moment que j'hésite. Je le fais ? Je ne le fais pas ? Comme je n'aime pas trop casser l'ambiance, j'y ai renoncé jusqu'ici ; mais je n'en peux plus, alors voilà, je le fais.
Je lis beaucoup de blogs. Sur le nombre, malgré un tri assez sévère, il m'en reste beaucoup que j'aime et quelques-uns que j'admire.
Je les aime pour ce qu'ils promettent ou pour ce que d'ores et déjà ils offrent.
Hélas, trop souvent, un beau tempérament poétique, une vraie sensibilité littéraire sont gâchés par une maîtrise un peu faiblarde de "notre belle langue française".
Je ne parle pas ici des fautes d'orthographe, qui ne détériorent pas le texte en profondeur et sont faciles à corriger, mais de ces abominables bourdes de syntaxe ou de vocabulaire qui vous torpillent tout un article.
Que faire ? Ces erreurs, je ne les ai jamais relevées parce que ce serait mesquin et que la critique d'un texte ne doit jamais descendre au-dessous du niveau auquel aspire son auteur, qu'il y parvienne ou non.
Et puis, nous ne sommes pas à l'école.
Pourtant, faire semblant de ne rien voir n'est pas une solution.
Et certains ne considéreraient peut-être pas d'un mauvais oeil que, sans esprit de jugement, dans le seul souci de servir leur projet d'écriture, on précise certaines questions de langue, va savoir !
Alors, ceux qui le souhaitent peuvent me faire signe en glissant ici un petit commentaire. Je leur ferai parvenir mes remarques, par courrier électronique. Pas dans le blog !
Je pourrai aussi de temps en temps me fendre d'un article sur un point de grammaire, histoire de rigoler un peu.
Ah! j'oubliais. Si jamais vous vous demandez ce qui justifie ma prétention à légiférer dans un domaine aussi sensible, je vous répondrai en trois mots, avec la plus grande franchise : rien du tout.
Vendredi 24 novembre 2006 à 23:38
Je salue lady M., qui m'a fait l'honneur de quelques beaux commentaires. Je pensais ne jamais savoir qui elle est, quand le hasard m'a mis sur la piste de son identité (virtuelle). Malheureusement, l'accès à son territoire nocturne était déjà verrouillé lors de mes premiers contacts avec Cow.
Merci, lady M., et bonne route.
Merci, lady M., et bonne route.
Vendredi 13 octobre 2006 à 17:47
Le monde intérieur que nous portons en nous est aussi profond et complexe que l'univers réel. C'est un potentiel extraordinaire que chacun met en valeur à sa manière, les un plus, les autres moins. Et pourtant, en présence des autres, nous ne sommes pas curieux de cette richesse ; nous nous en protégeons au contraire, faisant comme si cela n'était pas. Un inconnu ne doit offrir de lui que sa surface extérieure lisse et opaque. Quelqu'un nous adresse-t-il la parole dans le métro, nous nous raidissons ; solitaires bien souvent et malheureux de l'être, nous nous dérobons au contact d'autrui.
C'est ainsi que nous faisons dans la vie ; mais, dans les blogs, c'est exactement l'inverse qui se produit. La présence physique des autres nous est épargnée ; en revanche c'est par une fenêtre directement ouverte sur leur monde intérieur qu'ils se donnent à voir. Cette approche paradoxale ouvre un espace relationnel nouveau et redonne sa chance à un sentiment qui semblait en perte de vitesse : je veux parler de l'amitié. On n'osait plus guère s'en réclamer, on doutait même de son existence : un brin passionnée, on la soupçonnait de n'être qu'une relation amoureuse inavouée ; anodine et festive, elle semblait condamnée à se dissoudre dans la bruyante convivialité des « potes ». Pourtant, la voilà qui ressurgit, bien vivante, pleine de santé, dans les commentaires, les tags et les articles de nos blogs.
A vrai dire, je ne m'y attendais pas en postant mon premier article. Or, en quelques semaines, le jeu des articles, des commentaires et des liens m'ont mis en présence de personnes qui comptent aujourd'hui pour moi, alors même que je ne les ai jamais rencontrées, que je ne les rencontrerai probablement jamais. Ils stimulent ma réflexion, me provoquent, me donne envie de les connaître mieux et de leur témoigner estime et admiration. Mon blog leur doit beaucoup.
Une telle possibilité d'établir des relations indépendantes de la proximité géographique, du travail, de l'action militante, des relations familiales ou même des affinités idéologique était inconcevable auparavant. Mais surtout, qui aurait pu imaginer que des inconnus puissent entrer en relation de journal intime à journal intime ! C'est le paradoxe du blog : ce qu'on y dépose, à la portée de n'importe qui, c'est justement ce qui a peu de chance de sortir, d'être même formulé devant les partenaires courants de la vie quotidienne, parce que… c'est trop personnel, ou sans intérêt apparent. Les choses se passent comme si dans la blogosphère, la notion de secret avait un autre sens que dans le monde vrai, ou n'avait carrément plus cours.
En quelques semaines sur Cow, j'en ai plus appris sur certains aspects de la vie des gens que pendant des décennies de vie « réelle » au contact des autres, je veux dire dans le déni de leur intériorité.
C'est ainsi que nous faisons dans la vie ; mais, dans les blogs, c'est exactement l'inverse qui se produit. La présence physique des autres nous est épargnée ; en revanche c'est par une fenêtre directement ouverte sur leur monde intérieur qu'ils se donnent à voir. Cette approche paradoxale ouvre un espace relationnel nouveau et redonne sa chance à un sentiment qui semblait en perte de vitesse : je veux parler de l'amitié. On n'osait plus guère s'en réclamer, on doutait même de son existence : un brin passionnée, on la soupçonnait de n'être qu'une relation amoureuse inavouée ; anodine et festive, elle semblait condamnée à se dissoudre dans la bruyante convivialité des « potes ». Pourtant, la voilà qui ressurgit, bien vivante, pleine de santé, dans les commentaires, les tags et les articles de nos blogs.
A vrai dire, je ne m'y attendais pas en postant mon premier article. Or, en quelques semaines, le jeu des articles, des commentaires et des liens m'ont mis en présence de personnes qui comptent aujourd'hui pour moi, alors même que je ne les ai jamais rencontrées, que je ne les rencontrerai probablement jamais. Ils stimulent ma réflexion, me provoquent, me donne envie de les connaître mieux et de leur témoigner estime et admiration. Mon blog leur doit beaucoup.
Une telle possibilité d'établir des relations indépendantes de la proximité géographique, du travail, de l'action militante, des relations familiales ou même des affinités idéologique était inconcevable auparavant. Mais surtout, qui aurait pu imaginer que des inconnus puissent entrer en relation de journal intime à journal intime ! C'est le paradoxe du blog : ce qu'on y dépose, à la portée de n'importe qui, c'est justement ce qui a peu de chance de sortir, d'être même formulé devant les partenaires courants de la vie quotidienne, parce que… c'est trop personnel, ou sans intérêt apparent. Les choses se passent comme si dans la blogosphère, la notion de secret avait un autre sens que dans le monde vrai, ou n'avait carrément plus cours.
En quelques semaines sur Cow, j'en ai plus appris sur certains aspects de la vie des gens que pendant des décennies de vie « réelle » au contact des autres, je veux dire dans le déni de leur intériorité.