Samedi 19 septembre 2009 à 11:35


    Sentiment d'être parfois le spectateur et non plus l'acteur de soi. Se voir comme dans un rêve et surtout s'entendre prononcer des choses inattendues venues d'on ne sait où.

    Je me demande si tout le mystère de l'écriture n'est pas simplement là. Se retirer de soi, un peu, et recueillir avec un certain étonnement d'étranges paroles. Paroles surgies du silence, de la non-action, de la non-pensée. Je me sens comme une réserve de paroles enroulées, accumulées quelque part, portées par moi, venues à mon insu. Au crépuscule, dans la pénombre et le silence installés, elles se réveillent et c'est comme l'apparition soudaine d'une biche à l'orée du bois.



Vendredi 18 septembre 2009 à 10:23



http://que-vent-emporte.cowblog.fr/images/Lisbonne8.jpg
Devant moi, comme un bouclier,
un masque,
plus véritablement moi
que moi-même.
De toute manière,
d'un homme
ou d'une femme,
est-il autre chose
qu'on aperçoive ?


 

Mercredi 2 septembre 2009 à 7:52

Brume avait la tête emplie de rêves, un peu comme la boîte aux lettres d'un absent déborde de prospectus, de factures et de rappels. "Curieux, se dit-il. D'habitude les rêves s'évaporent au réveil et il ne m'en reste guère." Il se rendit compte alors qu'à son insu pendant cinq mois d'un sommeil profond, il avait fait un grand voyage. Ni dans l'espace, ni dans le temps, mais dans l'univers secret des signes, des symboles, du langage. Des bisons de Lascaux aux fusées rimbaldiennes, il avait parcouru les chemins de la mémoire collective, les chemins des peurs ancestrales, ceux des plus folles espérances. Mais tous semblaient se perdre aujourd'hui dans la vase d'un triste marécage. Rien de plus fragile que les cathédrales de mémoire, les cités d'espérances et la texture des poèmes. Privés de cervelle, exilés de nos mémoires, les signes se meurent. Qui se souvient de Leucothée la secourable ? Qui pleure encore la mort de Socrate ? Qui partage encore l'intense tête à tête d'Achille et de Priam ? "Mon beau navire ô ma mémoire, avons nous assez navigué dans une onde mauvaise à boire, avons-nous assez divagué, de la belle aube au triste soir..." Un soleil se couche, très bas à l'horizon, un soleil triste, un quart de soleil qui meurt. Et si demain il fait nuit, ce sera pour toujours.

"Mais fous-toi de ça, pauvre con, proféra derrière lui une voix télévisuelle, on allumera l'électricité. Et de toute manière c'est la nuit qu'on s'éclate."

 

Lundi 31 août 2009 à 9:42


Un matin, Brume se réveilla avec une fringale démesurée. Surpris, il consulta son réveil qui lui indiqua sept heures du matin, heure banale, pour émerger du sommeil. Il se gratta le crâne, s'assit sur le bord de son lit, jeta un coup d'oeil en direction de la fenêtre. Le chêne qui s'interposait entre sa chambre et le reste du monde présentait un feuillage éteint, exténué, un feuillage qui n'attendait plus que l'automne pour passer, comme font les générations humaines. Il en fut surpris, car il s'imaginait au début du printemps. D'ailleurs, contre le mur le calendrier montrait encore la date du 24 mars.

Effectivement, se dit Brume, la nuit a été longue. Mais me voilà reposé.

Allons manger un morceau !


 

Lundi 23 mars 2009 à 10:12


Un jour, Lilith Errature voulut sortir de sa maison, mais elle en fut empêchée par le vent qui soufflait. D’énormes masses de neige s’amoncelèrent devant sa porte. Elle se retrouva enfermée entre ses quatre murs comme dans un tombeau.
Le monde extérieur était maintenant soustrait à son regard et sa petite maison solitaire, entièrement recouverte de neige, n’existait plus pour personne.
Lilith n’en fut ni effrayée ni même contrariée. Que valent les séductions du monde extérieur comparées aux richesses insondables de l’imagination ? Et comme elle aimait écrire par-dessus tout et ne manquait ni d’encre ni de papier, elle s’assit à sa table et prit sa plume, l’esprit serein. Pendant des semaines elle noua des intrigues, inventa des personnages, évoqua des lieux impossibles, mais ces débordements-là ne durent qu’un temps. Elle reporta alors toute son attention sur ses profondeurs intérieures, se passionna pour son propre mystère, se désola de ses misères, se prit en pitié, fit dix récits larmoyants et contradictoires de sa vie puis de sa non-vie et finit par se lasser d’elle-même. Elle dressa ensuite l’inventaire de tout ce qui l’entourait, puis énuméra tous les objets qui auraient pu se trouver là mais ne s'y trouvaient pas. Puis elle décrivit en cent dix-huit pages sa gomme et son taille-crayons, fit en deux volumes le portrait d’une miette de pain. Enfin, elle se commenta elle-même : je fais ceci, je fais cela; je me lève, je ne sais pas quelle heure il est, je mange une tartine, je bois un verre d’eau. Tandis que d’une main elle prenait une tasse, de l’autre elle écrivait : je prends une tasse, je bois une gorgée de thé, je repose la tasse. Alors, il arriva ce qui devait arriver : elle se mit à écrire qu’elle était en train d’écrire, puis qu’elle était en train d’écrire qu’elle était en train d'écrire, puis qu’elle était en train d’écrire qu’elle était en train d’écrire qu’elle était en train d’écrire qu’elle était en train d’écrire qu’elle était en train d’écrire…

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