Jeudi 30 novembre 2006 à 18:48


Un autre jour, il sentit nettement quelque chose qui frôlait son dos. Cela se passait toujours derrière lui ; il se retournait d'un coup, ne voyait rien, et cela recommençait de l'autre côté. Et encore ces tout petits éclats de rire, ces voix… Comme ça, dans les derniers vestiges de l'ombre, juste avant le lever du soleil. On s'amusait avec lui, mais lui, ça ne l'amusait pas. Ça le rendait nerveux. Il n'avait pas vraiment peur, mais il était contrarié de savoir qu'il n'était peut-être pas seul au sommet de sa montagne. Il se disait aussi qu'il avait peut-être des hallucinations, qu'il perdait la raison, mais il y avait le petit ruban qu'il gardait toujours dans sa poche…
Un jour, il décida, contre tout usage, de différer un peu la descente et d'observer soigneusement le paysage tout autour de lui. Il ne vit rien, bien sûr ; même les voix s'étaient éteintes.
Le soleil se leva d'un coup derrière la crête voisine, la neige se mit à briller intensément. C'était trop de lumière, beaucoup trop de lumière ! Il eut mal à la tête, peur de perdre sa trace, de s'évanouir en chemin, de basculer dans un autre monde; la descente fut un calvaire.




Mercredi 29 novembre 2006 à 23:14

 
Chaque nuit il montait ainsi jusqu'au sommet, puis redescendait prestement pour regagner sa cabane. C'était une sorte de rite. Dans quel but ? Il ne se le demandait pas. C'était plus fort que lui, simplement. Certes, seuls ceux qui ont déjà flotté à la limite de la nuit dans une bulle de neige fraîche, suspendus au fil d'or du silence, peuvent comprendre cela. Et comment qu'ils le comprennent !
Une autre fois, était-ce le lendemain ou quelques jours après, tandis qu'il reprenait son souffle au sommet, il sentit comme une présence derrière lui. Il se retourna d'un coup. Rien : la neige, le ciel, le silence. Puis ce fut un petit éclat de rire et tout un enchevêtrement de voix à l'intérieur de sa tête : « Tu l'as pris, garde-le… », gazouillait l'une ; « Bientôt, tu t'éveilleras… », chantait une autre ; et une troisième chuchotait : « Oui, mais de quel côté du rêve ? de quel côté ?... ».
Les avait-il vraiment entendues, était-ce une hallucination ? Il se retourna encore  et ne vit personne. La surface de la neige était toujours intacte. Il se rappela le petit ruban, le toucha dans sa poche, se ressaisit, haussa les épaules et redescendit sans traîner. Avec des raquettes, la descente est toujours comme une jubilation enfantine. On plonge à grandes enjambées dans la pente, on s'enfonce jusqu'à la taille dans la neige croulante, douce chute cent fois répétée, douce neige …




Mercredi 29 novembre 2006 à 12:06


   

Mardi 28 novembre 2006 à 23:02


Il quitta enfin la forêt et parvint aux abords du sommet, un bien modeste sommet, deux mille mètres à peine, l'altitude des derniers pâturages. D'autres montagnes, plus imposantes, se détachaient tout autour de lui sur le ciel qui virait au bleu. Il fallait marcher encore deux ou trois cents mètres, la pente devenait plus douce et l'on accédait à un petit replat qui marquait le point culminant. On ne pouvait aller plus loin, car l'autre versant était abrupt. En hiver, il ne fallait surtout pas se risquer trop près du bord, car la neige soufflée par le vent formait surplomb qu'un promeneur mal informé ne soupçonnait pas.

Il s'arrêta donc, enleva ses gants, se passa une main sur la figure. Un vaste paysage s'étalait devant lui, dans l'ombre, masqué par la brume. Mais dans quelques minutes, le soleil se lèverait derrière son dos, à la limite des montagnes qui fermaient l'horizon. C'était le moment de redescendre. Il remit ses gants, fit demi-tour et vérifia ses raquettes.
Il allait se remettre en marche, quand il avisa, devant lui, à une vingtaine de mètres tout au plus, une tache colorée, juste à côté de la trace qu'il avait laissée en arrivant. Il s'approcha, et ramassa un petit ruban écarlate, posé sur la neige comme s'il l'avait perdu lui-même quelques instants plus tôt. Mais ce ruban n'était pas à lui. Il le ramassa, l'examina avec curiosité, puis le glissa dans sa poche. De part et d'autre de sa trace, la neige s'étendait parfaitement intacte.
La descente fut rapide, comme d'habitude; il oublia le ruban et ne pensa plus qu'à rentrer chez lui.




Lundi 27 novembre 2006 à 20:01


Il grimpait, un pas après l'autre, sans trop se fatiguer. Déjà l'aube s'annonçait discrètement: une tache plus claire au sud-est faisait comme une vague fenêtre au bout d'un couloir obscur. La neige était profonde. Il s'arrêta une première fois, s'essuya le front et resserra les attaches de ses raquettes. Le jour était encore loin, mais l'obscurité cédait peu à peu; les arbres tout autour se détachaient de l'ombre.
Il se remit en route. La blancheur encore éteinte du paysage commençait à parler; la surface de la neige gardait en mémoire les frôlements et les drames de la nuit. Ici, un cerf était passé ; là les traces d'un chien errant (d'un loup ?) recouvrait en partie celles d'un chevreuil : le prédateur patient et tenace avait peut-être déjà rejoint sa proie. Un peu plus loin, quelques plumes à la surface de la neige et trois gouttes de sang ...
La montée était longue, les raquettes enfonçaient un peu trop. Le marcheur s'essoufflait. Il s'arrêtait plus souvent, il devenait un peu maladroit, effleurait parfois les branches des sapins chargés de blanc. Il sentait une morsure glacée dans son cou quand un nuage de poudreuse tombait sur ses épaules. Il fallait qu'il atteigne le sommet avant le lever du soleil. Il le devait, absolument.



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