4. Fuir ?
A peine avaient-elles franchi le seuil que les portes reprennent leur place habituelle : les gonds dans leurs scellements les vantaux sur leurs montants, les verrous dans leurs gâches.Et moi, toujours par terre, prêt à tourner de l'œil, à poil, glacé et tout mouillé, j'étais comme au sortir du ventre de ma mère. A demi-mort, ou plutôt survivant à moi-même, posthume en quelque sorte : je n'avais plus qu'à grimper sur ma croix déjà prête.
« Qu'en sera-t-il de moi, demain, quand on découvrira ce pauvre type égorgé. Qui me croira lorsque je dirai la vérité ? Tu n'as même pas pensé à appeler au secours ! Bâti comme tu es tu n'as pas su résister à une femme ! On égorge un homme sous tes yeux et tu reste coi ! Et pourquoi n'as-tu pas péri toi-même ? Et pourquoi les auteurs d'un crime aussi cruel auraient-ils épargné le principal témoin ? Tu as échappé à la mort : retournes-y ! »
Je me répétais cela sans arrêt, et le temps passait. Bientôt la nuit ferait place au jour. La meilleure solution était encore de m'éclipser discrètement avant l'aube et de prendre mes jambes à mon cou, même si ces jambes étaient plutôt flageolantes.
Je saisis mon petit bagage, j'introduis la clé pour tirer les verrous. Mais cette porte honnête et fidèle, qui avait cédé d'elle-même un peu plus tôt dans la nuit, peine à s'ouvrir. Je n'y parviens qu'après des mouvements de clé laborieux et répétés.
Je crie au portier : « Il y a quelqu'un ? Où es-tu ? Ouvre la porte de l'auberge, je veux partir avant le jour. »
Le portier, qui dormait par terre, tout près de l'entrée me répond, à moitié endormi :
- Quoi ? Tu ne sais donc pas que les chemins sont infestés de brigands ? Tu veux te mettre en route en pleine nuit ? Il faut que tu aies quelque chose sur la conscience pour avoir à ce point envie de mourir ! C'est une tête que j'ai, moi, pas une gourde pleine de vide, et je tiens à la vie.
- Mais le jour n'est pas loin. Et puis qu'est-ce que des brigands pourraient voler à un voyageur fauché comme je le suis ?
Le portier, complètement avachi et à moitié endormi se tourne alors de l'autre côté et demande :
« Au fait, ton compagnon, qui est monté hier soir dans la chambre avec toi, qui me dit que tu ne l'as pas égorgé tout à l'heure ? Qui me dit que tu n'es pas en train de filer pour te mettre à l'abri ? »
Je fais un retour dans le passé.
C'est le seul blog que j'ai visité avec la même assiduité tout le long de mon parcours (mouvementé) sur cowblog. Je viens de m'en rendre compte.