Samedi 23 septembre 2006 à 19:02

5. Rebond

A ce moment précis, je m'en souviens, j'ai vu la terre s'ouvrir jusqu'aux profondeurs du Tartare et, à l'intérieur, le chien Cerbère, affamé, qui me fixait. Je me rendais compte que si Méroé m'avait épargné, ce n'était pas par pitié, mais par pure cruauté : elle voulait m'expédier sur la croix. De retour dans ma chambre, je me demandais par quel moyen j'allais pouvoir en finir, et vite.
Le Destin ne m'avait laissé, comme arme de destruction massive, que mon misérable grabat. Je me tourne vers lui : « Mon pauvre grabat, si cher à mon cœur, tu as épongé avec moi tant de tribulations, tu es le seul témoin des secrets de cette nuit, toi seul pourrais me défendre contre mes accusateurs; procure-moi l'arme qui me sauvera : je suis si pressé de rejoindre les Enfers.»
Tout en parlant, je défais la corde qui soutenait la literie. J'en fixe une extrémité sur une poutre qui dépasse sous une ouverture ; à l'autre bout, je fais un solide nœud coulant. J'accomplis l'ascension du grabat (dernier haut fait avant la chute!), je passe ma tête dans le nœud coulant, je serre, je repousse du pied le socle qui me soutient, afin que le noeud, sous l'effet de la chute, me coince le gosier et me coupe le souffle…, mais la corde, plutôt vieille et passablement pourrie se rompt ; je tombe de haut, tout droit sur Socrate, qui gisait à côté de moi, et roule à terre avec lui.
A ce moment précis, le portier fait irruption dans la chambre en gueulant:
« Où il est, ce type tellement pressé ? Au milieu de la nuit, il fallait absolument que tu t'en ailles et maintenant, tu ronfles sous la couette ! »

Là-dessus, je ne sais pas si c'est ma chute ou les braillements dissonants de l'autre qui l'ont réveillé, mais Socrate se retrouve debout avant moi ; il proteste : « Ces aubergistes, ce n'est pas pour rien que les voyageurs ne peuvent pas les sentir ! Regarde-moi ce fouineur – je suis sûr qu'il cherchait quelque chose à voler –, qui déboule dans la chambre sans aucun motif et m'arrache d'un profond sommeil ! Je  suis tellement fatigué ! »
Je reviens à moi, je jubile je me sens tout revigoré : quelle joie inespérée !
« Tiens, portier modèle, il est là, mon copain, mon frère, celui que tu m'accusais cette nuit d'avoir assassiné. Tu bois trop ! » Tout en parlant je serre Socrate dans mes bras et le couvre de baisers. Mais celui-ci, se prend l'odeur du liquide dégoûtant, absolument dégoûtant, dont ces sorcières m'avaient imprégné comme un coup de poing sur le nez. Il me repousse brusquement : « Dégage ! Tu es tombé dans les chiottes, ou quoi ? »


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