Parmi les hommes
« Puissante Déméter, qui portes les saisons et dispenses des dons magnifiques, quel dieu céleste ou quel homme périssable s'est emparé de Perséphone et afflige ton âme? Il y a eu un cri, je n'ai pas pu voir qui c'était. Voilà. C'est toute la vérité et je te l'ai rapportée sans tarder. »
Ce furent les paroles d'Hécate. Sans même prendre le temps d'une réponse, la fille de Rhéia aux beaux cheveux s'élança prestement avec elle, serrant ses torches dans ses mains. Elles parvinrent toutes les deux jusqu'au Soleil qui surveille les dieux et des hommes. Il se tenait debout devant ses chevaux. Elle fit sa demande, la divine entre les dieux :
« Soleil, j'ai droit à ton respect, si jamais, par ma parole ou par mes actes, j'ai pu réchauffer ton cœur et ton âme. Je suis la mère d'une petite, une douce jeune pousse, si belle à voir ; un cri d'elle m'est parvenu à travers l'éther infécond, comme si on la forçait, mais je ne l'ai pas pu la voir. Toi, qui scrutes de tes rayons toute la terre et la mer entière depuis le divin éther, dis-moi de façon véridique ce que tu sais de mon enfant, si jamais tu l'as aperçue quelque part. Qui, des dieux ou des humains périssable s'est emparé d'elle, de force et à mon insu, et s'est enfui ? »
Ainsi parla-t-elle ; le fils d'Hypérion lui répondit en ces termes :
« Fille de Rhéia à la belle chevelure, souveraine Déméer, je vais te renseigner. Du respect, je t'en dois beaucoup, mais j'ai aussi pitié de toi car tu es triste à cause de ton enfant aux fines chevilles. Point d'autre responsable, parmi les immortels, que Zeus l'Assembleur des nuées, qui a accordé ta fille à Hadès, son propre frère. Elle est maintenant sa florissante épouse, tel est désormais son titre. Le rapt accompli, son mari l'a entraînée dans les profondeurs ténébreuses. Elle poussait de grands cris. Pourtant, déesse, tu peux arrêter de te lamenter ; tu n'as aucun besoin d'avoir, inutilement et sans raison, ce monstrueux ressentiment. Ce n'est pas déchoir que d'avoir Hadès, Celui qui commande à un grand nombre, pour gendre parmi les immortels. C'est le propre frère de Zeus, issu de la même semence. Quant à ses prérogatives, il a obtenu le tiers du monde lors du grand partage ; il est le souverain de tous ceux qui habitent avec lui ».
Il dit et lança ses chevaux. Le cri fit sur eux son effet ; vite, à grands coups d'ailes, comme des oiseaux, ils enlevèrent le char rapide.
Quant à Déméter, une douleur plus affreuse mordit son cœur comme une chienne. En rage contre le Cronide rassembleur de nuages, elle se coupa de l'assemblée des dieux et du vaste Olympe et prit la route des villes humaines et de leurs grasses cultures. Longtemps elle dissimula sa beauté. Aucun homme, aucune femme à la vaste ceinture ne la reconnut au passage tandis qu'elle gagnait la maison du Célée le Valeureux, qui régnait alors sur Eleusis la Parfumée.
Au bord du chemin, elle reposa son cœur brisé au lieu-dit la Source des Vierges, où les femmes de la ville venaient puiser leur eau, bien à l'ombre : juste au-dessus prospérait un olivier touffu. Elle avait l'apparence d'une vieille entre les vieilles, de celles qui président aux accouchements et aux présents d'Aphrodite qui aime tant les couronnes. De telles femmes font office de nourrices au service des rois qui rendent la justice ou d'intendantes, et on les entend donner de la voix dans la maison.
Les fille de Célée d'Eleusis l'aperçurent tandis qu'elles venaient à la source commode remplir leur brocs de cuivre pour la maison familière de leur père. Elles étaient quatre, semblables à des déesses, dans la fleur de leur adolescence : Callidice, Cleisidice, Démo, et l'aimable Callithoé, qui était l'aînée. Elles ne reconnurent point la déesse. Les yeux des mortels peinent à discerner le divin.
Se tenant tout près d'elle, elles lui adressèrent ces paroles ailées :
« Qui es-tu ? D'où viens-tu, vieille parmi les vieux ? Pourquoi te tiens-tu à l'écart de la ville ? Pourquoi ne t'approches-tu pas des maisons, où tu trouverais des femmes de ton âge, dans la pénombre des salles, des femmes comme toi, ou de plus jeunes, qui seraient tes amies, par leurs paroles et par leurs actions ? »
Ainsi parlèrent-elles. La puissante déesse leur répondit en ces termes :
« Mes enfants, qui que vous soyez parmi les femmes pleines de tact, je vous salue. Je vais tout vous raconter. Cela ne me gêne pas de vous répondre, puisque vous m'interrogez. Je m'appelle Dôso, c'est le nom que m'a donné ma puissante mère. J'arrive maintenant de Crète, portée bien malgré moi sur les larges épaules de la mer. Par la violence et la contrainte, des pirates m'ont enlevée. Ils ont mis le cap sur Thorikos avec leur navire rapide. Là, ils ont débarqué des femmes en grand nombre. Eux-mêmes, ils se préparaient un repas à la proue du navire. Mais moi, je n'avais pas d'appétit pour un souper, si doux fût-il. En cachette, j'ai sauté sur la terre obscure ; j'ai fui ces maîtres arrogants pour les frustrer de leur profit : ils voulaient me vendre après m'avoir eue pour rien. C'est ainsi que je suis arrivée ici, au hasard. J'ignore tout de ce pays et des gens qui l'habitent.
« Que tous les dieux qui vivent en la demeure olympienne vous donnent de jeunes maris et des enfants à mettre au monde, puisque c'est le vœu de tous les parents. Mais ayez pitié de moi, les filles ; ayez bon cœur, mes enfants. Connaissez-vous une maison tenue par un homme et une femme, pour qui je pourrais travailler de bon cœur et accomplir les tâches qui conviennent à une femme de mon âge. Je pourrais tenir un enfant nouveau-né dans mes bras et bien m'occuper de lui ; je pourrais surveiller la maison, faire les lits des maîtres au plus profond des chambres solidement construites ; je pourrais aussi enseigner aux femmes leurs travaux »