Lundi 11 septembre 2006 à 22:15

Si vous dites qu'on ne peut vivre sans manger, sans boire, ou sans amour, vous énoncez une évidence que personne ne peut contester. Si vous affirmez que la musique vous est nécessaire, on vous comprend aisément : tout le monde sait à peu près en quoi consiste l'expérience musicale, même si certains s'en affranchissent complètement.
En revanche, si vous affirmez, candide, que la lecture est vitale pour vous, sans compter l'écriture, vous entrez dans le domaine des affirmations paradoxales et on vous soupçonne aussitôt des tares les plus inavouables :
 « Vous ne seriez pas prof, par hasard ? Vous avez donc si peur de vous frotter au monde réel ? Vous ne travaillez donc pas ? »

Pire encore, on vous soupçonne de vouloir faire l'intéressant, d'afficher votre particularisme par pur snobisme, par pur mépris des autres.
En effet, tout semble prouver le contraire aujourd'hui : on peut être diplômé de l'Université, bien installé dans la vie, fabuleusement riche, ou mieux président d'un très grand pays sans avoir jamais ouvert un livre.
Bref, si vous affirmez que la lecture et l'écriture sont pour vous comme une respiration, vous risquerez fort de passer pour un excentrique.
Quel chemin parcouru en deux ou trois générations ! Dans la belle ville de Piogre où je passai mon enfance et mon adolescence, tout candidat à des études secondaires standard était assujetti au latin et l'on ne sortait pas du bahut sans avoir mordillé un peu partout le grand fromage de la littérature, sans avoir appris à tenir honnêtement la plume. Un festival d'activités austères, souvent ennuyeuses (ne me prenez pas pour un nostalgique), mais, surtout, absolument, délibérément, triomphalement I-NU-TI-LE S au regard les critères actuels.
Aujourd'hui, les études secondaires ont perdu leur caractère généraliste et, surtout, leur ancrage dans la littérature. De ce fait, la lecture n'est plus perçue comme une activité formatrice de base, mais avant tout comme un loisir, un moyen assez rébarbatif de se distraire, largement supplanté par le film ou le DVD. (Au Luna Park, on apprécie les chevaux de bois, mais c'est sur le train de la mort qu'on s'éclate. )

Or, l'écriture et la lecture sont indissociables. Les mots qui viennent sous la plume ne surgissent pas du néant ; il ne naissent pas en nous ; pour qu'ils intègrent notre propre substance, il faut d'abord qu'ils nous parviennent du dehors; ce qui nous est propre, c'est seulement l'élan qui les mobilise. Les mots et, plus que les mots, les liens qui les unissent, ne nous sont disponibles que parce qu'ils circulent en permanence entre nous. Et le circuit le plus fécond en matière de langage, le plus exigeant, c'est la littérature.
L'inspiration est la conjonction du désir inconscient et du flux de mots, de phrases, de représentations qui passe par nous.
Les blogs sont une extraordinaire manifestation du désir de s'exprimer et en particulier d'écrire ; ils illustrent bien la vocation première de toute écriture qui est le déchiffrement de l'expérience humaine et du monde ; pourtant ils gagneraient à être reliés plus étroitement au grand flux de la littérature, ce qui suppose une fréquentation assidue, intime de nos écrivains et de nos poètes.
J'y reviendrai.


Par capric3-dun-j0ur le Mardi 12 septembre 2006 à 21:39
ALORS JE SUIS EXCENTRIQUE.
ET TOC.
>_<.

J'AIME LES TEXTES ICI.
Par soft-snow le Samedi 11 novembre 2006 à 22:28
Je dois encore manquer d'expérience dans ce domaine, d'autant que ces temps-ci je ne lis plus du tout (bon d'accord, j'ouvre tous les jours mes cours de maths et d'informatique...quelle littérature, tu l'as dit !). Ce que tu dis là, c'est ce que je ressens vis-à-vis de l'écriture, de la lecture et de la littérature en général. Ce que j'en pense aussi, sans trouver les mots pour l'exprimer...mais tu l'as fait, je n'ai plus à chercher :)
Par monochrome.dream le Mercredi 13 octobre 2010 à 22:41
Y es-tu déjà revenu ?
Cet article mériterait qu'on s'y attarde longtemps -ou peut-être que je ne dis ça qu'à cause de ce qui me préoccupe par rapport à l'écriture, sa source, ses motivations, ces questions-là...

Ici, j'apprends que Piogre = Genèves (avec -s, tu vois, j'y ai pensé cette fois !)
C'est écrit sur le blog d'un certain Gilbert Salem. Je le sais parce que Google me l'a dit.

Et tu dresses le constat d'un monde qui, se voulant moderne, fait mine de s'affranchir de ses racines élémentaires. Souvent, tu évoques cela, avec un rien de tristesse peut-être -je trouve.
J'ai lu hier ou avant-hier un article qui m'a fait penser fort à toi. Je te le traduirai. Un attentat terrible contre la littérature et la mémoire, aux Etats-Unis, si ma mémoire est bonne. (Mes souvenirs des articles en langue étrangère sont toujours incertains, j'ignore pourquoi).

Quant à ton dernier paragraphe... au départ j'étais partie pour ne commenter que lui ! Il arrive à la fin du texte mais tient l'ensemble en gestation en lui. Je n'ai pas le temps de continuer ce commentaire maintenant, tu m'attends sur msn depuis déjà six minutes, mais, te connaissant, la question sera réabordée autrement plus loin dans le blog ; j'aurai donc l'occasion de tourner encore un peu en rond à ce propos, ici (puisque, souviens-toi, je lis tout dans l'ordre).
 

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