Dimanche 6 mai 2007 à 21:34


Il est un exercice scolaire tout à fait paradoxal à mes yeux, qu'on appelle l'explication de texte. Paradoxal, parce que, si l'on réfléchit un brin, dans la rencontre d'un texte et d'un lecteur, ce qui demande à être expliqué en priorité, ce n'est pas le texte, mais bien le lecteur.

La clé d'une leçon de littérature, ce n'est pas la focalisation sur le texte, ce n'est pas de laisser croire que le texte contient un trésor ; c'est le travail souvent difficile, voire ingrat, que le lecteur doit effectuer pour se mettre en état de découvrir ce trésor, de l'éveiller à l'intérieur de soi. Le texte proprement dit n'est qu'une carte qui explique où et comment le trouver.
A l'élève qui sèche devant un texte qu'il ne comprend pas, il faudrait pouvoir demander, simplement : « Mais qu'est-ce que tu cherches, toi ? Si tu ne te poses pas la question, il ne se passera rien et si tu ne lui prêtes pas ta propre voix, le texte restera muet. »
Je me demande d'ailleurs si les professeurs qui laissent entendre que tout est dans le texte, et que tout vient forcément du texte, ceux-là même qui se défaussent sur leur programme et sur les instructions académiques, ne le font pas pour mieux esquiver la question gênante de leur propre implication dans l'expérience littéraire. Sous prétexte de célébrer les « grandes œuvres »,  ils se planquent en laissant croire que tout le mystère est caché dans le livre. Ils font semblant d'être profs et refusent d'admettre leur statut véritable de lecteurs avertis s'adressant à des lecteurs novices. Plutôt que d'enseigner le texte ils doivent rendre intelligible leur expérience de lecteurs.
Croire qu'un texte renferme un sens comme un flacon de parfum contient une odeur toute prête à se répandre dans l'espace, laisser entendre que n'importe quel naïf est en mesure d'aller fouiller dans n'importe quel texte et se servir, c'est vraiment une idée étrange.
En tant que texte, l'oeuvre est tout simplement morte. Elle ne peut prendre vie que dans l'acte de lecture, qui dépend entièrement de l'attitude, de la motivation, de la subtilité du lecteur.
Qu'est-ce qu'un texte ? Un lien, un pont, un chemin, qui a son origine dans le monde intérieur de l'auteur et qui conduit le lecteur au cœur de son propre monde intérieur. Quand le texte est écrit, l'auteur a terminé sa tâche, il peut s'en aller mourir en paix, laissant derrière lui un vaste assemblage de signes que seul l'expérience intérieure du lecteur pourra faire vivre. La lecture ne consiste pas à prélever le sens mais à le produire, et ce n'est pas une mince affaire.
Pour mieux comprendre, un exemple dans un autre domaine.
A moins d'être un musicien très averti, on n'aura guère tendance à assimiler une œuvre musicale à la partition sur laquelle elle est écrite. Pour le commun des mortels, il n'y a pas d'œuvre musicale hors de son interprétation par un ou plusieurs musiciens. C'est une évidence pour la musique ; c'est la même chose pour une œuvre littéraire. La lecture exige des compétences d'interprète ; tout le secret est là.
Dans un univers culturel où l'on cherche de plus en plus à être emporté, pris en charge, fouillé, où l'on se plonge dans un univers spectaculaire qui vous saisit, vous fascine, met directement en route le processus du rêve, il devient difficile de comprendre des œuvres vers lesquelles il faut aller, qu'il faut conquérir, que l'on ne peut aborder que si on en a la volonté.
Je ne prétends pas qu'il ne faille pas parler du texte, qu'il ne faille pas l'étudier, le démonter, comprendre comment il est construit ; je veux seulement dire que cet exercice est conçu pour des lecteurs confirmés qui veulent se perfectionner et non pour des commençants. Or, aujourd'hui, presque tous les lycéens sont des commençants ; beaucoup ignorent ce qu'ils peuvent attendre de la lecture, qu'un livre ne fonctionne pas comme un film, qu'il n'est pas fait pour distraire ou amuser, que ce qu'il apporte se situe à un autre niveau. On tend à oublier la fonction du livre  parce que bien peu de choses viennent aujourd'hui des livres, parce que nous vivons dans un monde qui croit pouvoir se passer du livre et qui, dans les faits, s'en passe très bien.


Par loopie-appleface le Dimanche 6 mai 2007 à 22:07
Faux. Une résistance s'organise, des gens lisent. je te le jure, ce n'est pas tous les jours que je vais au CDI, mais à la médiathèque, le peuple se concentre, le peuple feuillette, le peuple lit. On ne se passe pas de la lecture, quand on sait lire. Ceux qui ont appris à déchiffrer ne savent pas lire. Il leur faut quelqu'un pour leur apprendre. Apprendre à se perdre dans des pages. Ceux qui savent lire, savent dire qu'ils ont aimé ou détesté ce livre, et pourquoi, ceux là, ne peuvent pas s'en passer. Lire s'est souvrir à l'immortalité, et l'homme, techniquement, ne peut pas s'en empecher. C'est l'omniscience qui s'offre à lui, et cela, non, il ne peut pas s'en passer.
Vive la lecture et vive les mots.

Désolée, on dirait que c'est une déformation. Mais du moins j'y crois.
Par rosane le Dimanche 6 mai 2007 à 22:07
Je ne sais pas vraiment..
Par soft-snow le Lundi 7 mai 2007 à 10:53
Les gens lisent tu sais, plus qu'on ne pense ! Simplement ils accordent rarement plus d'une heure par jour à cette activité, parce que par ailleurs il y a la télé, internet, les magazines (je ne considère pas que c'est c'est lire...parcourir des instants du monde tout au plus, la profondeur en moins)...
C'est une bien belle idée que tu as eu là. Dès l'enfance on nous donne la clé pour déchiffrer le texte, pas celle pour l'apprivoiser. Ainsi, chacun ira au feeling, vers le texte qui lui semble le plus sympathique, le plus en accord avec sa façon de percevoir les mots et les choses. Le panel de textes accessibles sera comme on s'en doute, plus ou moins large selon la sensibilité du lecteur. Mais ce qui est rassurant, c'est qu'à forc de temps on peut apprendre comment apprécier certains écrits. Et se repencher sur une oeuvre à quelques années d'intervalle est une expérience qu'ayant tentée, j'ai trouvée éloquente... Relire le même livre cinq ans après, ça étonne. C'est comme revenir sur des lieux anciennement familiers, que notre expérience intérieure nous aura fait déformer, car les représentations internes, dieu merci, ne sont pas à la merci de la réalité. Une impression : ça a changé. C'est pareil, mais dans le fond, quelque chose diffère. Ce quelque chose c'est nous, notre façon d'appréhender l'extérieur et le récit. On remarque des détails supplémentaires, on cherche dans le texte ce détail que l'on avait dû inventer (pas d'autre explication, puisque le texte n'en parle plus, à notre plus grand étonnement), et c'est une délicieuse aventure d'alors se perdre dans les tréfonds de cet étonnement incessant, puissant, déboussolant.

Ton texte est riche et bien pensé, c'est mon avis aujourd'hui. Peut-être que dans cinq ans j'aurai autre chose à ajouter ?

:)
Par a.fleur.de.curiosite le Samedi 26 mai 2007 à 11:30
Ton texte m'a, comme très souvent, fait penser à une citation: "Un livre a toujours deux auteurs : celui qui l’écrit et celui qui le lit." [J. Salomé ] . Il m'a inspiré tellement d'autres choses que mes mots à moi ne me permettent pas d'écrire ici, parce qu'ils s'échappent bien souvent et me laisse là, toute seule, presque désarmée devant les mots des autres.
Par monochrome.dream le Mercredi 8 septembre 2010 à 11:35
"des compétences d'interprète", tu dis... Même en musique, ce n'est pas donné à tout le monde.
 

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