Lundi 28 mai 2007 à 20:08



Chaque jour me porte un peu au-delà de ce que j'imaginais au départ. Je croyais pourvoir me contenter de bavarder aimablement et faire coucou sur la toile. Et maintenant, me voilà engagé, coincé, forcé d'aller plus loin, encore plus loin.

Plus cela va, plus j'ai le sentiment de l'urgence, et moins cela me semble facile. Cela se presse dans mon dos, je me sens bousculé par un flot d'idées : qui me crient : « Et moi encore ! et moi ! » Je ne devrais pas me plaindre ; mais, tout compte fait, ce n'est pas vraiment de la jubilation ; cela ne me flatte pas tellement. Ce fichu blog m'a conduit à mettre au jour bien des choses qui auraient pu attendre indéfiniment… Un peu naïfs, vous pensez que dans mon coin, bien sagement, j'écris mes articles. Eh bien non, je ne les écris pas. J'ai plutôt l'impression qu'ils s'évadent du souterrain ou ils erraient, forcent la paroi de mon crâne et s'échappent par l'extrémité de mes doigts.
A tout moment, je suis requis devant mon clavier pour noter, comme un secrétaire. « Attends, tu allais m'oublier ! » dit l'idée qui se presse au portillon.

C'est tout à fait sérieux, ces histoires de langage ; la littérature crève sous nos yeux et ceux qui devraient le moins s'en foutre s'en foutent justement parce que ce n'est que de la littérature. « Littérature », un mot suspect, un grand mot qui sent l'élite à plein nez. Un mot paravent qui finit par cacher cela même qu'il est censé désigner. Un mot qui fait fuir ceux-là même qui devraient y trouver leur appui.

Il n'est pas obscène en effet de dire que la vie est indissociable de la littérature, parce que la littérature est ce que la vie a de mieux pour se dire. Elle est le procès-verbal de la condition humaine, et le seul probablement. C'est une illusion de croire qu'il suffit de prendre la vie comme elle vient. Une vie humaine n'est possible qu'à ceux qui savent qu'ils vivent, qui sont capables de penser cette vie et de lui donner un sens. Et cela passe forcément par les mots, ceux de la littérature. On peut vivre, ignorant du fait même de sa propre vie, en suivant la pente, le mouvement des autres, l'air du temps, de la naissance à la mort. Mais vous vous contenteriez de cela, vous ?

Qu'est-ce que vous voulez, je suis compliqué, moi. J'ai besoin des traces écrites, de tous les : « Il n'y a pas que cela… », « Cherchons autre chose … », « Allons au-delà ! »,  « Pensons autrement ! ».  J'ai besoin de tous ces témoignages accumulés, de ces interrogations, ces cris, qui me disent que je ne suis pas seul sur mon chemin et que d'autres ont buté sur ces questions qu'à mon tour je rencontre. Je ne suis pas sage au point de pouvoir m'asseoir dans un coin, les jambes croisées sous moi (ce qui fait horriblement mal) et trouver tout seul le sens de la vie. J'ai besoin de m'appuyer sur tous ceux qui ont laissé une trace de leur passage ; ce sont eux qui m'aident à trouver ma route : « Ainsi est la vie des hommes, mais dis-toi toujours qu'elle pourrait être autre ; ainsi apparaissent les choses, mais cherche encore, car leur sens est inépuisable ».

Alors, s'il est encore temps, arrachons au plus vite quelques lambeaux de littérature aux griffes de ceux qui l'étouffent ou la bradent ; reprenons-la aux cuistres qui veulent la tirer hors du monde, sauvons-la des commerçants qui veulent nous persuader qu'elle doit se plier aux données du marketing, répondre aux attentes du public, être plaisante et se cantonner au « créneau porteur » de la distraction et du loisir.
Il faut apprivoiser les textes austères qui se dérobent et que nous sommes portés à  délaisser avant qu'ils aient fait entendre leur voix inimitable ; il faut apprendre à distinguer une écriture vraie de la bouillie pour les chats, des romans putassiers et racoleurs.

Mais surtout, la littérature, pour qu'elle vive, il faut la continuer et ce n'est pas seulement la tâche des écrivains consacrés. Il nous faut reconquérir un art d'écrire qui se perd, le dégager des marécages de la communication, de la langue de bois, du bourrage de crâne. Où apprend-on à écrire aujourd'hui ?
Chaque jour, sur les blogs, j'en vois aux prises avec eux-mêmes, alternant plaisir et douleur d'écrire, espoir et frustration. Soucieux de se trouver un langage. Je leur dis : Courage !
Certains, après s'être beaucoup fatigués, retomberont sur le versant d'où ils viennent, sécheront leurs larmes et passeront à autre chose, mais à coup sûr d'autres franchiront le pas.
Vous qui vous battez avec les mots, qui tentez de donner forme aux pensées indomptées et parfois mordantes qui se présentent à vous, persévérez. Cette pression anarchique, c'est la littérature de demain qui tente de percer et, qui sait, peut-être serez-vous de ceux qui la feront éclore.

                                Cet article, j'aimerais le dédier à ...  elle.



Par Ne.p4.pill0n le Lundi 28 mai 2007 à 21:22
C'est pas moi qui la ferai éclore. Pas maintenant. Pas tout de suite. Dans quelques années, pourquoi pas, j'essaierai, de nouveau, de mettre des mots sur mes pensées de débutante.
En attendant je te dirai juste que tes photos sont simplement superbissimes. Désolée pour le peu de nouvelles. Je ne m'en sors plus, mais je m'accroche.

Bonne soirée.
Par emma-la-savate le Mardi 29 mai 2007 à 16:18
D'un, je suis d'accord. De deux, tu as une phrase sublime : "Il n'est pas obscène en effet de dire que la vie est indissociable de la littérature, parce que la littérature est ce que la vie a de mieux pour se dire. " Et Georges Steiner, qui récitait des poèmes lorqu'il était au cachot, enfermé par la Gestapo dit aussi "La poésie m'a sauvé la vie". Moi, c'est tous les jours qu'elle me soutient.
Par coffre.a.mots le Mardi 29 mai 2007 à 20:03
Le mot "littérature" sent bon.
Par que-vent-emporte le Mardi 29 mai 2007 à 20:18
On a beaucoup glosé sur la sonorité des mots, sur leur beauté ou leur laideur, sur leur couleur, mais jamais encore, à ma connaissance, on ne s'est intéressé à leur odeur. Une piste nouvelle, originale. Merci. ;-)
Par coffre.a.mots le Mardi 29 mai 2007 à 21:54
D'autres ont des gouts. Acide. Sucré comme le gout du sucre qui fond sur le bout de la langue et qui se répand doucement. Ou l'odeur du café. Avec son gout amer. Parfois ça sent le feu ou l'écume de la mer.
Et puis tu verras bien. Et derien :)
Par soft-snow le Vendredi 1er juin 2007 à 10:56
La littérature, ça ressemble aux papillons. Il est si difficile de l'apprivoiser que les plus acharnés se jettent dessus, au risque de lui déchirer les ailes. Certains même, la clouent, en font collection, l'admirent comme s'il s'agissait d'un luxe alors que c'est peut-être l'une des choses les plus essentielles qui existent.
Un joli blog que le sien. 1000 bises, comme elle dit :)
Par maud96 le Vendredi 1er juin 2007 à 16:34
Même si j'ai lu un peu vite ici (trop vite) et ne relis pas parce que je suis encore entrain de "squatter" chez les voisins leur connexion, tout ton article ici me séduit : pour moi, je sens le besoin d'écrire comme une force qui s'impose par moments de manière fulgurante... et d'autres fois, il faut aller se battre au fond de soi-même pour extirper des mots maladroits et des phrases dont on reste mécontente.. Merci pour tes encouragements... et tu as raison, j'adore les blogs où on se bat avec et contre les mots et leur agencement... désolée seulement de ne pouvoir en ce moment y "traîner"...
Par monochrome.dream le Mardi 8 mars 2011 à 18:37
Je me souviens d'un passage de l'abécédaire assez marquant, où Deleuze constatait la "période pauvre" que l'on traverse. Et il disait, il disait "oui mais aux périodes pauvres ont toujours succédé des périodes riches", alors il était confiant.
Je ne le suis pas autant que lui. C'était peut-être déjà dur avant, de trouver de la vraie littérature sincère et personnelle, mais aujourd'hui, alors que les blogs sont passés de mode, l'écriture redevient quelque chose qui doit être vendable, donc attrayant, donc facile d'accès. Et je me demande si la littérature rassemble ces caractéristiques. Et je ne le pense pas.
 

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