Mercredi 12 septembre 2007 à 20:02
Il arrivait parfois à Monsieur Brume, un peu n'importe où, un peu n'importe quand, d'assister à l'effondrement du monde. Toujours à l'improviste, comme un passant qu'un plaisantin surprend en surgissant de l'ombre, il était saisi d'une sorte d'épouvante intérieure. Un exemple vous aidera à comprendre cela. Imaginez, dans une salle obscure, un spectateur fasciné par un film extraordinaire. Et voilà que, d'un coup, toutes les lampes de la salle s'allument. Le monde imaginaire du film éclate comme une bulle ; ne demeurent plus que quelques ombres pâlies sur un écran, une salle au décor quelconque, des fauteuils poussiéreux, et des âmes égarées qui rechignent à retrouver leur corps.
Sauf que pour Monsieur Brume, c'était souvent en pleine lumière, au cœur du réel, dans un moment de belle insouciance, que le monde lui envoyait un coup de pied au derrière. Une déchirure se faisait soudain, un gnome surgissait, poussait un cri obscène, tirait la langue, lâchait un pet et disparaissait aussitôt. Rien de tellement spectaculaire, mais juste ce qu'il faut pour jeter le doute sur la vie, l'histoire, la civilisation, la culture, la science, l'effort humain.
Une fraction de seconde et tout cela ne semble plus qu'une immense plaisanterie, une accumulation fortuite de rognures. Rien ne tient plus à rien, le ciel bleu n'est plus qu'un rideau sale, le paysage un décor miteux, les gens des pions et Brume un parfait inconnu.
Eh oui ! Monsieur Brume, l'impeccable employé du gaz, le déchiffreur passionné de grimoires, le grand amateur de théories absconces, le citoyen discret d'une nation grandiose n'était plus à ses propres yeux qu'un mirage tremblotant, un miroir brisé.
Et s'il n'était en fin de compte que la pensée d'un autre ? Si les mots qu'il croyait siens n'étaient que les répliques d'une pièce absurde écrite par un fou ? Si le monde qui nous fascine n'était que le décor d'un théâtre de sous-préfecture ? S'il était un autre ? S'il n'était personne ? Où trouverait-il un lieu pour s'asseoir, une raison d'être ?
Il vacillait un moment au bord du gouffre, puis son visage s'éclairait :
"Il me resterait encore la musique !"
Commentaires
Par Mercredi 12 septembre 2007 à 22:27
le Touchée, parce que j'y pense, parfois, à cette possible illusion. Elle me fait frémir, et pourtant je ris. Dérision, je crois, alors que je détestais le théâtre de l'absurde. Peut-être que je devrais en relire, histoire de voir comment j'évolue. Je ris, à l'idée que ce monde est faux, qu'il n'est qu'une image floue et incertaine. Un peu comme la théorie de la grotte, à l'Antiquité. Qui en parlait donc? Platon ? Je ne sais plus. Mes cours sont à revoir.
Et la musique, échappatoire.
Et la musique, échappatoire.
Par Jeudi 13 septembre 2007 à 20:18
le J'aime cette chute.
Par Vendredi 21 septembre 2007 à 15:02
le Il a compris beaucoup de choses, Mr Brume. Ou n'a-t-il rien compris que l'essentiel, du moins sa surface qui n'a rien à voir avec l'effort humain dont tu parles (et toutefois la musique n'existe que parce que la passion a su motiver cet effort). J'aime beaucoup la sensibilité de ce texte...
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Drôle d'ambiance avec ce Mr Brume.
Et mes Lambeaux m'attendent.
Bonne soirée :-)