Quatrième épisode
Walt Blogdown, de Grubbs, Arkansas : tel était le nom de l'aviateur calamiteux qui s'était écrasé là, au terme d'un prodigieux enchaînement d'erreurs de navigation et d'incidents techniques. Il ne lui fallut pas longtemps pour comprendre qu'il était le premier voyageur à mettre le pied sur ce petit monde perdu et qu'aucun être civilisé n'aurait l'esprit assez tordu pour venir le récupérer ici. Il n'avait plus qu'à prendre son mal en patience.
Ce n'est pas peu dire, car depuis son arrivée les choses allaient de mal en pis. Certes, il avait hurlé de joie quand, de son appareil en flammes, il avait vu surgir cette île providentielle à l'horizon ; mais cette île n'était qu'une prison. Certes, il avait survécu à un atterrissage plutôt mouvementé ; mais son appareil avait coulé à pic avec tout ce qu'il contenait. Certes, les habitants de l'île ne l'avaient ni massacré ni maltraité ; mais leur indifférence hautaine, leur obstination à le traiter comme une sorte d'animal de compagnie, le mortifiaient. Pouvait-il supporter, lui, le rejeton de l'Amérique, le civilisé, le détenteur des valeurs occidentales, d'être snobé à journée faite par des sauvages pouilleux, pas même capables de s'habiller, de se brosser les dents ou de se laver les mains avant de passer à table ? Cette île l'exaspérait, en dépit ou peut-être justement à cause de ses palmiers majestueux, ses plages de rêve, ses couchers de soleil à couper le souffle. C'était le Paradis, à n'en pas douter; mais, que voulez-vous, le Paradis, c'est pour les morts. Les vivants n'ont rien à y faire. On ne vit pas dans le monde comme un nénuphar sur un étang ; un monde, c'est fait pour être transformé par l'homme, retourné, défriché, foré, malaxé, bétonné, civilisé, quoi !
Les semaines passèrent puis les mois. Et ce fut la première année, puis la deuxième… Walt Blogdown, s'en allait tantôt vers le Nord, tantôt vers le Sud, quand ce n'était pas vers l'Est ou l'Ouest, ou alors il tournait en rond, ou s'installait dans un coin pour faire la leçon aux arbres ou parler tout seul.
L'île tout entière n'était qu'une vaste forêt, une prolifération d'espèces végétales variées. Des arbres étranges produisaient des fruits étonnants : des gros, des petits, des jaunes, des rouges, des verts, des succulents qui vous flanquaient la diarrhée, des moins bons qui faisaient bien grandir les enfants, des poisons qui vous liquidaient en moins de deux et même des rigolos qui ne servaient à rien.
Soyons juste, Blogdown ne perdit pas tout à fait son temps. Passant de village en village. Il apprit à distinguer les fruits que les habitants mangeaient et ceux qu'ils délaissaient et se familiarisa avec les quarante-trois façons de faire la sieste. Mais surtout, il apprit la langue des Hommes. Longtemps, celle-ci lui sembla incompréhensible; mais, à force d'observer les indigènes et d'écouter les conversations, il saisit quelques expressions. Prudemment, il demeura discret sur ses acquisitions, jusqu'au jour où, se sentant prêt, il se rendit sous l'arbre où somnolaient quelques vieillards repus. Il les aborda en ces termes : « Salut à vous, Anciens vénérables, il fait bien chaud aujourd'hui, vous ne trouvez pas ? » Brusquement ébranlés dans leurs certitudes, les vieux débris se redressèrent d'un coup. Ce fut une belle confusion dans les esprits ! Elo pouvait parler, il était en train de devenir humain, peut-être, au fond, l'était-il déjà.
Progressivement, la condition de Blogdown évolua ; il passa du statut de chien errant à celui de spectacle vivant ou d'idiot du village. Un idiot irritant pour les plus âgés, un fou fascinant pour les plus jeunes.
Blogdown prit l'habitude de discuter longuement avec adolescents qui traînaient sur la plage.
Il comprit que tout le monde ici n'avait qu'une idée en tête, un seul but, une seule espérance : foutre le camp. C'était exactement ce qu'il lui fallait. Une belle nuit de pleine lune, Blogdown réunit les jeunes les plus vigoureux, les plus impatients, les plus dingues, et leur exposa son plan.
Il est tard ce soir, je n'ai plus l'éveil suffisant pour me lancer dans les aventures de Walt Blogdown, mais
ce n'est que partie remise.
Je sors de quelques galères de télécom, mais aujourd'hui tout a fini par trouver sa solution, comme quoi
il ne faut jamais désespérer.
Bonne nuit.