Mercredi 13 septembre 2006 à 19:57

Quelqu'un a pris le calendrier de ma vie et a mélangé toutes les pages. Depuis, c'est l'enfer. Quand je m'endors, je n'ai plus aucune idée de la date à laquelle je me réveillerai le lendemain matin. De temps en temps, je me retrouve dans les endroits les plus invraisemblables, sans aucun souvenir commun avec des inconnus qui me harcèlent et se prétendent mes petits enfants ou mon vieux copain Bernard ; le lendemain je n'ai plus que dix ans, je suis tout chose dans ma chambre et j'ai la trouille, car je sais que, ce jour-là, justement, je vais me prendre la fessée de ma vie. Et la fois où je me suis retrouvé devant la porte du dentiste, à ne pas oser sonner, avec une joue en ballon de football ! Quand ça remonte dans le passé, je m'en tire à peu près, quoique ma mémoire me trahisse parfois. Mais quand je me retrouve propulsé n'importe quand dans l'avenir, c'est tout simplement l'horreur. Alzheimer, c'est peut-être simplement ça : des pauvres diables qui atterrissent au hasard de leurs jours, incapables de savoir ce qui s'est passé la veille, puisqu'ils ne l'ont même pas vécue, au milieu de fantômes méconnaissables parce qu'on n'a pas pu les voir changer. Bref, je ne sais plus ce que c'est que le présent, je ne sais plus ce que c'est que la vie.
Bien sûr vous allez me dire : « Tu as de la chance de revenir en arrière, tu peux bidouiller l'histoire, te fabriquer un avenir aux petits oignons ». Eh bien non ! Ca ne marche pas du tout. Le passé doit toujours être reproduit à l'identique : on n'échappe pas à son destin. Il n'y a que dans la tête que tout est bouleversé. J'ai bien essayé, une fois, d'ouvrir l'armoire à secrets de famille dans le bureau de mon père : impossible, l'armoire n'était qu'un bloc de bois. J'ai bien essayé de tourner à droite avec mon vélo le jour où une voiture m'avait renversé parce que j'étais tourné à gauche. Eh bien, non seulement je n'ai pas échappé à la voiture, mais encore, juste avant je me suis éclaté la figure contre un mur invisible.

J'attends avec angoisse le jour, demain peut-être, où le hasard me fera tomber… sur la dernière feuille du calendrier !


Par capric3-dun-j0ur le Mercredi 13 septembre 2006 à 20:55
Si on echape pas a son destin, alors laissons le agir...
Par LaPetiteSarthoise le Mercredi 13 septembre 2006 à 21:28
je vais quand même pas l'écrire à chaque article, hein, mais... j'aime !
Par soft-snow le Samedi 11 novembre 2006 à 22:55
Angoissant ce texte. On ne sait pas si c'est du vécu ou de l'empathie. On redoute la première option, admire la seconde. Et puis...ça me refait penser à cette actrice atteinte d'Alzeimer.
Et aussi à une phrase de mon professeur de philosophie. "On ne vit que ce que notre âme est capable de supporter". Pour Alzeimer comme bien d'autres syndrômes, il faut une sacrée force. Vraiment.
Par monochrome.dream le Lundi 13 septembre 2010 à 21:27
J'ai tapé "angoisse" dans le moteur de recherche de ton blog (donc finalement, comme tu peux le voir, je ne lis pas dans l'ordre ; ce n'est pas parce qu'on lit un livre qu'on n'a pas le droit de feuilleter au hasard). Neuf résultats seulement, pour angoisse.
Un texte perturbant. On sait que l'on va vers la mort, on vit son temps à l'aveuglette, et chaque jour pourrait bien être le dernier, on n'en sait rien, aucune probabilité ne peut prendre en compte le besoin (bourré d'illusions) d'anticiper son propre trépas, de se ménager une zone de vie sécurisée, de repousser le risque de mourir derrière des raisons physiques et considérations temporelles. Lorsque l'on n'a plus d'âge, on ne peut plus se dire : "j'ai fait mon temps". On n'est jamais au bout de sa vie, il reste toujours tout à réaliser. La dimension perturbante de ton texte vient alors de l'imprévisibilité de la fin. Comme si je te bandais les yeux, que tu devais marcher tout en sachant qu'un jour, immanquablement, tu tomberas dans un trou dont tu ne te relèveras plus. Ca oui, c'est angoissant. Mais c'est plus réaliste.
Par monochrome.dream le Lundi 13 septembre 2010 à 21:31
PS : en relisant mes anciens commentaires, j'ai la réaction de quelqu'un qui se verrait sur une très vieille photo affublée d'une coiffure totalement démodée. Cette soft-snow quelle grosse cruche.
 

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