Mercredi 17 janvier 2007 à 23:48


Je fais assez souvent le rêve de monter par erreur dans un train, de sentir qu'il se met en marche, d'être empêché d'en redescendre et de me trouver embarqué sans ticket, dans une course sans retour.

Ce rêve plonge naturellement ses racinces bien loin dans l'enfance. Il faut dire que, pour rentrer de l'école à la maison familiale, très tôt dans ma vie j'ai eu affaire aux transports publics.

Ma mère avait une vision assez personnelle de l'éducation. Quand j'ai eu cinq ans, à l'occasion de ma première rentrée en maternelle, elle m'a accompagné jusqu'à l'école, s'est arrêtée devant un groupe de gamins qui sanglotaient et m'a tout de suite annoncé la couleur: « Toi, tu ne feras pas comme eux ! »
Ensuite, elle m'a livré à la maîresse comme un paquet – heureusement, la maîtresse était gentille – puis, la transmission des pouvoirs étant accomplie une fois pour toutes, elle a pris congé : « Maintenant, tu connais le chemin. A tout à l'heure et ne traîne pas en route ! »  Personne, depuis lors, ne l'a jamais revue aux abords de l'école.

Sur le moment, cela ne m'a pas frappé: c'était parfaitement normal, puisque c'était elle; au demeurant, j'étais parfaitement heureux.

Tout de même, de la maison jusqu'à l'école, cela faisait en gros deux kilomètres à travers un territoire mal pacifié, peuplé de chiens aboyeurs, de voleurs de goûter et d'escamoteurs de bonnet (en hiver). Par chance, assez rapidement j'ai obtenu le privilège exorbitant de rentrer en train pour la modique somme de dix centimes (à n'égarer sous aucun prétexte !), dans ces petits wagons de troisième classe aux banquettes de bois qui empestaient le cigare.

Il importait d'être à l'heure sur le quai (qu'est-ce que j'ai pu courir!); mais surtout, le trajet accompli, de ne pas oublier de descendre, parce que, trois cents mètres après la station, la voie faisait un virage mystérieux où les trains disparaissaient irrémédiablement : la locomotive d'abord, puis les petits wagons verts, et enfin le fourgon qui fermait la marche, avec sa lanterne rouge.
 
Mon angoisse, ce n'était pas de manquer l'arrêt, mais d'être retenu à bord pour une raison inconnue, paralysé comme dans les cauchemars. Le pire aurait été d'oublier dans le wagon mes gants ou mon écharpe, tous deux amoureusement tricotés par maman. Il m'aurait alors fallu remonter en catastrophe dans le train, qui se serait aussitôt remis en marche, me propulsant vers l'inconnu, et sans ticket ! Et il aurait fallu échapper au contrôleur, descendre à la station suivante qui devait se trouver à cent kilomètres au moins, puis rentrer à pied… par quel chemin ? grands dieux ! Rien que d'y penser tout le long du trajet, je m'angoissais tellement que là, du coup, je me trouvais bien à deux doigts… d'oublier de descendre !

Puis le temps a passé ; les choses se sont arrangées. J'ai fini par savoir ce qu'il y avait au-delà du fameux virage, j'y suis même allé parfois, délibérément, puis j'ai complètement cessé d'y faire attention. Au fil des ans, mon univers personnel a gagné en étendue et en uniformité; il est devenu prévisible et a perdu tout mystère. Des trains plus imposants m'ont emmené quotidiennement du bourg à la ville et de la ville au bourg. Les petits wagons verts sont partis à la ferraille et j'ai fini par m'établir bien loin du chemin de fer. Seuls les rêves me sont restés.


Par defouloir le Jeudi 18 janvier 2007 à 9:52
Malheureusement, le monde perd souvent de son mystère, une fois qu'on grandit... Je ne savais pas ce qu'il y avait de l'autre côté du Rhone avant ce week end... aujourd'hui je sais...
Par mahe le Jeudi 18 janvier 2007 à 13:40
Je voudrais bien qu'ils nous laissent quelques trains qu'on pourra prendre avec plaisir, au lieu de les tranformer en space moutain.
Prendre le train c'est comme boire du café, ça fait grand et un peu ciseau.
Par mahe le Jeudi 18 janvier 2007 à 13:42
*transformer, je m'excuse.
Par run.a.mile le Jeudi 18 janvier 2007 à 15:57
C'est dans ces moments la qu'on se rend compte combien notre monde évolue, progresse et perd sa fantaisie. "Seuls les rêves me sont restés"... J'aime beaucoup cette phrase. Va savoir pourquoi, aucune idée. Peut être parce que ça résume beaucoup de choses. Quand on passe à l'age adulte, c'est sous un autre angle qu'on aborde la réalité, et je dois dire que beaucoup de nos reves partent en fumée. Heureusement qu'il y a le rêve pour nous faire voyager et nous rappeler de cette enfance si lointaine. Le texte quant à lui est joli... Oui empreint de nostalgie... ça m'a aussi rappelé mon enfance, courir jusqu'a la maison pour etre au chaud et se regarder les dessins animés de l'après midi lol Moi je n'ai jamais pris le train mais je m'en serais bien passé... LA gare a perdu de son charme, ça pollue et on se bouscule sans arret ! enfin, on est jamais content hein?
Dsl j'ai raconté ma vie ^^'
Par run.a.mile le Jeudi 18 janvier 2007 à 15:59
en plus je me suis mal exprimée... Je voulais dire que je n'ai jamais pris le train étant petite, mais désormais, j'y suis obligée pour me rendre a ma prépa ... Voila ^^'
Par maud96 le Vendredi 19 janvier 2007 à 21:43
Un escamoteur de bonnet (de "tuques") ici au Canada, il se ferait condamner à la prison à vie !
Et... le petit train (j'adore sa description... et celle des craintes enfantines) , avec son bruit de ferrailles et de crachements et sa fumée, çà devait être tout un poème !
Par defouloir le Vendredi 19 janvier 2007 à 23:27
Oui, mais comme j'me fais l'avocat du diable, ça passe. :')
Par defouloir le Vendredi 19 janvier 2007 à 23:27
Oui, mais comme j'me fais l'avocat du diable, ça passe. :')
Par Breves le Samedi 20 janvier 2007 à 17:14
J'aime bien ces retombées en enfance, nostalgie oui et puis une sorte d'autodérision oui ca me plait sans concessions. Et puis la peur d'oulbier dans les transports en commun ca touche mon ressenti, la peur de s'endormri le long du bercement des rails, l'envie d'aller voir plus loin aussi celle qu'on remet a plus tard.
Alors la je souris des reminescences et te remercie pour l'agreabla ^^
Par soft-snow le Samedi 20 janvier 2007 à 18:38
Tu as raison de tout faire pour garder en vie le gamin qui découvre les trains. L'émerveillement face aux choses de la vie, c'est une force incommensurable que tout le monde n'est pas capable de conserver ! Ne jamais laisser l'habitude prendre le pas sur le rêve...jamais hein !
:)
Par Plaiethore le Dimanche 21 janvier 2007 à 12:48
Heureusement que ce rêve perdure, sinon la fin du texte serait trop triste :)
Il y a bien une part d'enfance qui subsiste au fond de toi, et c'est cela qui me réjouit.
Jean, un jour, il faudra que je raconte MON rêve, dont l'arrêt en signerait un autre. Tu y trouverais des similitudes...
A + l'ami.
Par Ne.p4.pill0n le Dimanche 21 janvier 2007 à 22:33
Honte a moi je crois que j'ai loupé ce texte. Je reviendrai le lire demain ou peut etre mardi. Quand j'aurai le temps. Tu voulais connaitre les morceaux pour avril. Donc l'épreuve éliminatoire, c'est un morceau imposé : la Fantaisie, de GAUBERT. Et pour le second tour, c'est un morceau parmi 4 au choix, j'ai choisi le 6eme solo de Demersseman. Fais signe si tu veux que je t'envoie un mail avec les morceaux en pièces jointes. Je trouve que ce sont deux morceaux fantastiques et quand je les joue j'ai des frissons. Ils me font de l'effet, et dans le bon sens, tant mieux. Je ne suis pas tellement sure de moi pour ce concours, c'est un peu l'aventure, j'appréhende même. M'enfin, il faut bien se lancer hein. Direction Paris début avril ! Bonne soirée Jean.
Par lemoudujnou le Vendredi 26 janvier 2007 à 13:36
Si l'adulte perd cette impression d'un monde plein de mystères, il réussi bien souvent à la retrouver dans son troisième âge par la grâce de l'alzheimer ( personnellement je préfére utiliser la grâce du gros coup de rouge )
Par a.fleur.de.curiosite le Dimanche 11 novembre 2007 à 11:14
Les chiens aboyeurs, voleurs de goûter et autres escamoteurs de bonnet m'ont fait largement sourire.
Quant au reste, ils m'ont fait pensé à Conversation en Sicile, son voyage en train m'a marqué.
Par monochrome.dream le Mardi 8 mars 2011 à 10:52
C'est comme la vie, en fait. On ne sait pas trop ce qu'il y a derrière le virage après l'arrivée, mais on s'y dirige sans ticket.
 

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