Mercredi 11 avril 2007 à 9:34

  

« Je me suis lassée de moi. » Elle avait dit ça, et elle le pensait bien, pensée définitive, cet après-midi-là, dans le métro, ligne 4, entre Raspail et Vavin. Alors, à l'instant même, cette part d'elle-même qui dit je sans être encore vraiment moi, tout le désir de soi, déçu, s'en alla comme fugue un adolescent incompris. Il ne restait plus sur la banquette que ce corps mal aimée, cette forme endormie aux allures de cadavre.
Est-ce possible ? C'est possible, hélas ! et cela arrive souvent. Chaque jour, dans la grande ville, des dizaines de corps délaissés par le désir qui les portait sont abandonnés comme des chiens, n'importe où. La flamme qui nous anime est fragile. Un mot de rupture, une pensée trop abrupte, et le désir s'en va tout d'un coup, petit nuage furtif qui se glisse entre les passants et s'évanouit on ne sait où. Les corps désertés perdent toute vigueur. Cela ne nous frappe pas, parce que, la plupart du temps, ces fragiles dépouilles restent présentes dans le décor de votre vie : on les croise sans les voir et leurs plaintes se fondent dans la rumeur du monde. La plupart, s'obstinant dans une routine mécanique, se meuvent vaille que vaille ; mais quelques-uns, trop profondément désabusés, chavirent dans une profonde léthargie, et, si personne ne prend à sa charge leur désir perdu, dérivent doucement vers la mort.

Cet après-midi-là, pourtant, il se passa quelque chose. Le cartable de la jeune fille glissa de ses genoux et répandit son contenu sur le sol. Juste en face d'elle, un jeune homme. Il la regardait depuis longtemps, il ne regardait qu'elle; il la voyait comme elle ne s'était jamais vue elle-même : tout simplement comme elle était, belle parce qu'elle était belle, forte d'une force qu'elle ne soupçonnait pas, importante, nécessaire. Il ramassa les cahiers qui traînaient, essaya d'attirer son attention, posa sa main sur son bras, la secoua, éleva la voix. Les passagers se tournèrent vers le jeune homme puis aperçurent la jeune fille endormie. Déjà l'on commentait la scène.
Elle entendit comme une rumeur, un appel qui venait du lointain pays qu'elle avait quitté. Elle avait froid. Elle voulut cesser d'entendre, mais elle ne sut résister à l'insistance d'une voix amie. Elle ouvrit les yeux. Elle vit le jeune homme qui souriait et lui tendait son cartable ; elle sourit à son tour, sentit comme un souffle tiède et reconnut la tendre chaleur de son désir revenu.
« Vous avez eu un malaise, je crois, Mademoiselle, dit le jeune homme. Je suis content que vous alliez mieux. Pardonnez-moi, j'ai aussi trouvé une photo de vous. Je l'ai gardée ; vous me devez bien ça. Au revoir! ici, je dois descendre.»
Gare de l'Est. Il saisit un sac à dos et sauta sur le quai au moment où la porte allait se refermer. Elle avait manqué son arrêt, depuis un bon moment. Il lui faudrait rester là jusqu'au terminus, Porte de Clignancourt. Au retour, elle descendrait à Saint-Michel.
Elle se rappela aussi qu'elle avait un téléphone à faire.



Par defouloir le Mercredi 11 avril 2007 à 9:51
Pour quelqu'un qui ne devait pas poster pendant 2 ou 3 jours, c'est réussi !
J'aimerai bien savoir écrire comme ça.
Par pudiquexhibition le Mercredi 11 avril 2007 à 10:44
c'est beau, c'est dit si simplement, j'aime vraiment, tes textes ont toujours ce charme d'être si simple, tout en retranscrivant pourtant toute la complexité du monde.
Par pudiquexhibition le Mercredi 11 avril 2007 à 10:45
au fait, je te mets un commentaire a part pour que tu puisses l'enlever, et pour t'éviter de relire, je te signale qu"il manque deux mots:
"des dizaines [de?] corps "
"sentit comme [un?] souffle tiède"
Par Calliope-deci-dela le Mercredi 11 avril 2007 à 19:29
"Gare de l'Est"." [J'ai] manqué [m]on arrêt" aussi. Et c'est tant mieux.
J'aurais bien voulu garder le silence plus longtemps, c'est peut etre la seule chose qui m' appartienne vraiment quelque part, mais la force de mon silence fait-elle assez le poids face à la force de ces mots qui sont les tiens, eux qui ne paraissent pas avoir été domptés mais si joliment apprivoisés. L'envie de commenter [très rare d'habitude ] a pris simplement le dessus pour une fois.
Je me demandais quelle sorte d'artiste pouvais tu bien être, quelqu'un qui retranscrirait l'authenticité de la Vie avec une sensibilité inouie peut-être ...même que ca serait un peu réducteur à mon avis.
je laisse la question en suspens, parce qu'on ne devrait pas essayer de cerner l'art des fois, juste se laisser envahir et s'ennivrer.
Je préfère de loin laisser place au plaisir des yeux et du coeur.
Vagabonder entre tes lignes.
Observer à distance les périples d'un penseur-aventurier.
Faire partie du voyage.
Juste un tout petit peu.
Je me retrouve un peu trop dans cette jeune fille léthargique avec son sac à dos et ce qu'il implique, cette "routine mécanique". Un peu faible et vite dévitalisée, je suis une piètre voyageuse comparé à toi.
Par Deux londonniennes ^^ le Mercredi 11 avril 2007 à 20:30
On a pense a toi en faisant du bateau a rames au milieu des herons. Londres est vachement multi culturelle!! Gros bisous a tous les quatre habitants de l'appartement!
(ps: les claviers anglais n'ont pas d'accents...)
Par emma-la-savate le Jeudi 12 avril 2007 à 16:04
Quant à moi, je lui aurais repris la photo. Une pugnacité toute latine sans doute.
Par a.fleur.de.curiosite le Vendredi 13 avril 2007 à 15:09
Dès la première phrase, tes mots m'ont touché. Ils ont fait vibrer la corde sensible. Quant au reste du texte, je lisais, sensiblement émue, et me sentait comme spectatrice d'une scène déjà vécue. A quelle place, je ne le sais.
Il y a des phrases que je voudrais pouvoir extraire, parce qu'elles sont vivantes, si belles, même si leur poésie se dégage aussi des mots qui les entourent. Tes mots m'Inspirent. Merci
Par maud96 le Vendredi 13 avril 2007 à 19:43
Une jolie histoire ! elle m'a relaxée (!) ..parce que je me sens un peu "désir de soi aux allures de cadavres", de temps en temps !
Je suis sûre qu'il a pas seulement piquée la photo, mais aussi le n° de téléphone, surtout si elle a souri
Par Ne.p4.pill0n le Vendredi 13 avril 2007 à 21:43
Rolala Jean. J'ai pas donné de nouvelles. Je suis pas en pleine forme. J'enchaine coups durs sur coups durs, déceptions sur déceptions, mais demain c'est les vacances et je pars directement en Ardèche jusqu'a 21, en espérant que ca me fera oublier tout ce mal ici. Par contre pour la flute ca va plutot bien. J'ai joué a 10h15 le samedi et je me suis pas mal débrouillée du tout. J'étais contente de mon jeu. Par contre je savais pas du tout comment les autres avaient joué donc doute profond. J'ai été prise pour le 2eme tour, sur 34 ils en ont gardé 9. Pour moi c'était le bonheur, et maintenant c'était plus que du bonus. Le dimanche j'étais nettement plus stressée. Il fallait quitter l'hotel pour midi, obligée de manger au McDo, pas top du tout. Je devais jouer a 15h mais les jurys étaient en retard, ce qui fait que j'ai joué a 16h30. La pression qui montait, j'ai un peu perdu mes moyens, j'avais le blues en plus. Jamais eu autant envie de rentrer a la maison. J'appelais Hélène et ma mutti, rolala. Bref j'étais pas convaincue de mon jeu. J'ai pas non plus entendu les autres jouer donc je savais pas non plus a quoi m'attendre. Mais pas trop d'espoir. Donc ils ont donné les résultats et j'étais pas dans les 3 premières, donc logiquement je suis entre la 4eme et la 9eme. Voila. C'est court, je suis fatiguée, un petit peu triste mais bon. Alors a dans une semaine Jean, et encore désolée pour le peu de nouvelles.
Par Ne.p4.pill0n le Vendredi 13 avril 2007 à 21:43
Ah et j'adore ce texte.
Par esprit-libre le Samedi 14 avril 2007 à 11:43
Merci.Vraiment.Je suis touché.C'est merveilleux.Si beau. Tes mots arrivent,courrent jusqu'à mon coeur,le fendille,et y rentrent.Pour ne plus en sortir. Pour me faire sourire.Encore. Je ne puis m'empêcher de relire encore. Je dois le redire: Merci pour ça, et pour tes mots, toujours laissés,qui m'aident toujours. Un téléphone à faire?
=)

Par thegrannysmith le Samedi 14 avril 2007 à 18:23
C'est vraiment très bien écrit. Le vent m'emporte vers une quasi idolation de ces proses. Bravo !
Par monochrome.dream le Mardi 8 mars 2011 à 14:40
Magie de la chaleur humaine :)
 

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