Samedi 7 juin 2008 à 11:42


Mirabelle était tantôt charmante tantôt effondrée, fragile et dure, faite de sable et de cristal.

Avec Mirabelle, Brume ne pouvait jamais vraiment savoir.
Et souvent, il s'interrogeait. Est-ce qu'elle m'aime ? Est-ce qu'elle me déteste? Les deux probablement.
Bien des doutes, bien des souffrances agitaient Mirabelle, qui avait le don d'en projeter les débris à l'extérieur comme autant d'éclats de verre brisés. Brume portait déjà quelques belles cicatrices…
Mais c'était son amie. Depuis le jour où ils en avaient pris conscience, c'était fait. Mirabelle avait poussé quelques racines dans l'âme de Brume et Brume avait fait de même. L'amitié, la vraie, c'est une fois pour toutes, on ne revient jamais dessus. Alors, on assume, et avec plaisir. Brume ne détestait pas cette présence remuante, attachante et si souvent merveilleuse à ses côtés. Parce qu'en plus, Mirabelle, c'est une perle de lucidité et d'intelligence.

Un jour, elle surgit, selon son habitude, derrière le dos de Brume, qui ne trouva même pas le temps de la saluer. Aussitôt, elle passa à l'attaque : « Dis donc, Nébu, tu es vraiment heureux ou bien tu fais semblant ? Parce que, autant te le dire tout de suite, pour moi, ce n'est pas du tout la même chose!»

Comme d'habitude, il y avait toujours dans les remarques abruptes de Mirabelle une ou deux implications secrètes et vaguement menaçantes que Brume décelait rarement du premier coup d'œil, ce qui lui avait déjà dû quelques beaux retours de manivelle.

Alors, surtout, ne pas répondre trop vite. Eviter à tout prix la remarque maladroite qui déclencherait le piège redoutable du : « Tiens donc, il y a cinq mois et quatorze jours, tu m'as soutenu exactement le contraire ». (Elle a une mémoire infaillible, Mirabelle.)

Choquante, cette idée qu'il faisait semblant. Il ne trichait pas, Brume, ni avec les autres, ni avec lui-même. Et pourtant… pouvait-il vraiment jurer qu'il ne faisait pas semblant ?
Alors, faute de mieux, il lâcha : « Les deux ».

« J'en étais sûre, s'exclama Mirabelle, mortifiée et triomphante. Tu sais que tu as un côté charlatan, toi ? Si tu arrêtais de jouer avec les sentiments des gens… »
Brume savait que Mirabelle avait raison. Quoi qu'elle puisse dire, on trouvait toujours un côté par lequelle elle avait raison. Et dans le cas précis, elle avait profondément raison de ne pas laisser Brume endormir son monde et s'endormir lui-même avec de trop belles phrases.
Alors il réfléchit, et, remuant le pour et le contre, finit par trouver ceci :
« Le bonheur, il n'est jamais donné. On ne le trouve pas comme ça, dans la nature, au coin d'un dépliant touristique ou dans un coffre de banque. Il faut le fabriquer, et tous les jours. Et pour être en état de le fabriquer, il est nécessaire d'y croire. Eh oui, le bonheur est une affaire de croyance, comme le Bon Dieu ou le Père Noël. Croire, c'est faire semblant, parce que la divinité est absente.
« Mais, et c'est là que l'affaire se corse, si l'on ne peut jamais savoir si Dieu existe, on a la certitude que le bonheur, lui, n'existe pas. On doit le créer.  Et pour y arriver, il faut commencer par se comporter vaille que vaille en humain heureux. Dans ces conditions, et dans ces conditions seulement, le miracle s'opère, parfois et pendant de courts instants, mais, comme disait mon grand-père, c'est déjà ça. »
La démonstration était assez laborieuse, mais Brume n'en était pas trop mécontent.
La réponse de Mirabelle fut instantanée :
« Sacré Nébu, quel bavard tu fais! Pour le raisonnement, toutes mes félicitations ! Mais pour le bonheur, j'ai compris, pas besoin de me faire un dessin : faudra que je me débrouille toute seule, comme d'habitude ! »


Par lagrandemymy le Samedi 7 juin 2008 à 14:50
J'ai l'impression que. Bref. Chut. Merci.
Par maud96 le Samedi 14 juin 2008 à 19:59
Apologue très profond, comme à ton habitude... Evidemment, je me sens un peu Mirabelle, mais aussi beaucoup, dans sa réponse, M. Brume. Le bonheur, des petits moments arrachés à la grisaille des jours, des petites lucioles dans l'obscur ? Mais, quand on a encore l'illlusion de la jeunesse, je suppose qu'on croit encore au miracle ! Sans doute est-ce çà aussi le bonheur : au nom d'une infinité de "futurs possibles", de croire aux belles histoires !
 

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