Mardi 7 novembre 2006 à 17:35


En hommage à une superbe plume
de 8 ou de 100 ans (c'est selon),
pour la remercier
de m'avoir pris dans ses liens.


Métaphorique, la littérature. C'est en cela qu'elle se distingue radicalement de tout discours régi par la rigueur démonstrative.
Certes, la science et les techniques bouleversent l'ordre du monde et changent certains aspects de la vie ; tout cela, oui, mais rien de plus. Certes, la philosophie dresse l'état des questions indécidables ;  mais elle s'arrête prudemment au seuil du délire. Certes, la religion fait le saut, affirme des réponses, propose un destin, mais ses dogmes ne sauraient satisfaire sans autre un esprit libre (même profondément religieux).
La question de l'expérience de soi, du sens que nous pouvons lui donner reste donc entière, quoi qu'on y fasse.
Bien sûr, puisque la vie nous est donnée nous pouvons nous contenter de subir la loi du temps, de vivre sans penser, d'attendre que la dégradation de notre corps nous traîne à la mort par petites étapes ; mais nous pouvons aussi aspirer à quelque dignité et nous offrir le luxe d'un destin.
Mais tout cela relève de la part non objectivable du réel, et ne peut être pris en charge sur le mode géométrique. En cette matière, nous sommes donc contraints de dire : c'est comme si… , cela ressemble à … , je vais vous raconter une histoire qui dit la même chose…, d'où la métaphore.

Par exemple, j'ai besoin de penser, de croire qu'une Muse parle directement au poète sans passer ni par ses yeux ni par son oreille, qu'elle verse son filet de vérité à la source de la source, là où germent des mots n'ont pas encore pris forme. J'ai besoin de penser cela si je veux prendre la mesure d'une parole qui vaut plus que celle ou celui qui la porte.
Ce n'est point là une théorie démontrée de la création littéraire, mais seulement une tentative de rendre compte d'un processus qui a bien lieu, qui est vital, mais dont le fond nous échappe.
Je ne suis pas exigeant en matière de croyance. Peu m'importe que cette Muse soit de celles qui dansent la nuit autour des fontaines de l'Hélicon et saisissent l'âme des bergers pour en faire des poètes, ou simplement une part brûlante de nous-mêmes, plus profonde que tout ce que nous pourrons jamais savoir de nous-mêmes.

La littérature est par essence et tout entière métaphore, parce qu'elle produit des formes dans lesquelles nous pouvons nous situer, nous reconnaître, voire nous constituer dans le refus de ces formes ou l'affirmation d'autres formes.
C'est particulièrement vrai de la poésie, qui ne dit pas n'importe quoi, qui n'a rien à voir avec le souci de « faire joli ». Le poète s'efforce de dire les choses les plus difficiles à dire, les plus imperceptibles ou les plus proches de l'indicible, à la manière d'un malade qui essaie d'expliquer ce qu'il ressent, à ceci près que le poète n'est pas forcément malade (sauf à assimiler la condition humaine à une pathologie) et qu'il est un explicateur génial (c'est pour cela qu'il est poète).

Lisez Artaud, par exemple, ses écrits de 1947. A la première lecture, vous prendrez le textes dans la figure comme un immense coup de poing et vous aurez envie de tout laisser tomber ; pourtant, ne vous laissez pas faire, persévérez, et à la longue vous verrez surgir une vérité improbable mais brûlante, formulée en des termes dont la science ou même la philosophie n'ont que faire, parce qu'elle se situe bien au-delà de ce que peut maîtriser la science ou effleurer la philosophie : au cœur de l'expérience humaine. La lecture de ces texte provoque une secousse extraordinaire. Et la vérité, ici, est à chercher non pas dans les mots du texte, mais dans l'expérience de vie à laquelle sa lecture nous donne accès.


Par Marko.N.A le Mardi 7 novembre 2006 à 19:42
Ca donne envie de découvrir cet Antonin Artaud, déjà promu par Jules,
notre Plaiethore bien aimé, cuvée 47 donc, je passe chez mon libraire ...
Par Plaiethore le Mardi 7 novembre 2006 à 20:19
Je suis sûr de ne pas me tromper en disant que cet hommage est destiné à Margritis, notre écorcheuse d'âme, et l'avant-dernier paragraphe de ton texte colle particulièrement à ce que représente pour moi sa plume.
Et puis, superbe parallèle fait avec l'écriture de Artaud.
Ces deux tracés spirituels et sauvages relèvent de l'indicible. Je ne serai jamais assez proche de la réalité pour les dire.
Mais tu en a parlé très bien.
Par Margritis le Mercredi 8 novembre 2006 à 0:40
Charles Bukowski, disait dans l'une de ses lettres : " Ne prenez jamais la littérature pour un miroir bénit. Il y a beaucoup d’appelés mais peu d’élus. "

- La plume se jette à l'assaut de la vie. Comme une sorte d'acide salvateur.
L'ivresse produite à la naissance des mots prend forme et se situe au delà de l'imagination, du ressenti.

Tu as tout dit. Ici. La métaphore, la plume, le temps, la réalité, la pensée, la création, l'indicible, la poésie. La vie.

Plus qu'un hommage, je prends tes mots comme une douce reconaissance.
- Que j'ai 8 ou 100 ans ... -
Tu as su, à travers mes textes, saisir ce que peu de lecteurs savent comprendre.
Tu as tout simplement été sincère face à mes écorchures.

C'est peu dire,
Je suis touchée.

~ Avec toute mon amitié.
Bonne nuit. Jean ...
Par monochrome.dream le Lundi 6 décembre 2010 à 22:02
Margritis, elle a la plume flamboyante et la brûlure passe dans ses mots.
Par monochrome.dream le Lundi 6 décembre 2010 à 22:10
(Je n'ai jamais lu Artaud)

Par contre, je ne suis pas d'accord avec toi pour la philosophie. Il y a des philosophies qui frisent le poème, des mots qui prétendent décrire "ce qui est", qui croient parler du monde mais qui parlent de nous beaucoup plus que de leur objet officiel. Et c'est même le cas de la plus austère des philosophies qui soient (celle de la connaissance, je trouve), et même de l'a priori plus superficielle qui soit (celle de l'esthétique). Je suis sensible à certaines philosophies comme à des poèmes, elles me ramènent à des instants de vie très forts, exactement comme tu le dis, elles rendent dicible ce qui m'a toujours grouillé en fond de pensées.
Ce que j'ai toujours préféré, c'est lorsqu'il est question de la conscience et de l'inconscience. C'a été le premier cours de philosophie de ma vie, sur ce sujet, et peutêtre l'impulsion qui m'a prise aux filets de cette discipline. J'ai eu l'impression que d'autres avaient ressenti à l'évocation de certains mots, le même genre de fébrilité que moi. J'ai faille tomber dans les pommes, durant ce premier cours, à cause de l'évocation de l'inconscience. C'était extrêmement fort, à cause des mots employés.
De la même façon, l'esthétique m'a passionnée d'emblée, car plus qu'une étude de l'apparence, j'y voyais une recherche sur le sentiment d'harmonie. Un monde qui ne crisse plus. Le beau, c'est ça, pour moi. Quand tout va bien. Le sentiment du beau est rassurant.
J'avais encore des choses à dire, mais te voilà sur msn. Alors j'arrête.
Merci pour ce blog.
 

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