Jeudi 3 juillet 2008 à 10:25


Brume songeait, laissant son esprit vagabonder comme un poisson glisse entre deux eaux. Il formulait de brèves questions du bout des doigts et les réponses d'un interlocuteur invisible s'enchaînaient sous ses yeux, comme de noirs  filaments de souffrance.
Les gens portent ça en eux. Et quand ils entrouvrent  les placards de leur vie, ça sort. Ce n'est pas mortel. Certains prétendent même que c'est seulement dans la tête : un petit effort et on n'en parle plus.
C'est juste une entrave qui freine un peu la vie...
Mais d'invisibles mâchoires, y sont embusquées qui mordent au hasard.


Sous les yeux de Brume, donc, se formait une parole silencieuse et sans visage. Sous l'alignement des mots sans voix se disait le dit :
- Quelles sont ces mâchoires qui me lacèrent ? Quels sont ces corps froids qui me frôlent ? Et pourquoi ne puis-je jamais me tourner du côté de mes blessures ni même les effleurer du doigt ?
- Quelles blessures ? Allons, allons, tout va bien. Qui pourrait dire le contraire ? Le soleil brille dans le ciel, tu prospères. Rien qui puisse faire un malheur légitime. Si tu savais ce qu'ils endurent ceux qui sont vraiment malheureux, comme tu aurais honte de te plaindre !
- Et pourtant, et pourtant… Soit. Je veux bien te croire, je veux bien faire un effort. Voilà. C'est ça le bonheur, oui, c'est ça le bonheur, c'est ça le bonheur, c'est ça le bonheur, c'est ça le bonheur, c'est ça… Vois comme je danse, vois comme je danse !
- Oui, songeait Brume, tu danses, belle jeune fille, mais je vois tes  pieds qui saignent.

Epuisé Brume alla se coucher. Il dormit sans rêve. Ou plutôt, il n'en fit qu'un.
Les quatre cent mille éclats du monde s'étaient encore éloignés de quelques centimètres et bientôt on ne pourrait plus sauter de l'un à l'autre.
Le lendemain, bien que le soleil levant fût beau comme jamais, il était comme vidé de sa substance et sentait derrière ses yeux le poids des larmes.


Par lagrandemymy le Jeudi 3 juillet 2008 à 10:40
"Oui, songeait Brume, tu danses, belle jeune fille, mais je vois tes pieds qui saignent." c'est tout à fait ça. A un point tel...
Par maud96 le Jeudi 3 juillet 2008 à 10:44
On ne peut pas mieux évoquer la souffrance silencieuse, physique ou morale, que nous portons en chacun de nous. Cet article est doux et cruel à la fois. Les ersatz de danse et de fête peuvent nous illusionner d'une vie communautaire factice... mais la souffrance est souvent solitaire, individuelle et nous ramène chacun à la solitude de son destin... En tout cas, c'est ce que j'ai lu dans la tête de M. Brume...
Notizie Flavie=0... 2 hanches à la fois ! ma tante de Paris qui a subi l'une et l'autre hanches à deux ans de distance chacune m'a dit que la rééducation serait douloureuse et longue... et que les chirurgiens refusaient en général de faire la double opération, à cause de cette difficile "double" rééducation...
Par QUEENDIES le Jeudi 3 juillet 2008 à 11:51
et ça épouse parfaitement Nat King Cole.
Par suspendue le Jeudi 3 juillet 2008 à 23:05
Tristement beau. Tristement vrai. Tristement vrai.
Par M le Jeudi 10 juillet 2008 à 1:19
Au fait ! Cette phrase: "Les quatre cent mille éclats du monde s'étaient encore éloignés de quelques centimètres et bientôt on ne pourrait plus sauter de l'un à l'autre.", elle m'intrigue vraiment ! J'ai le droit, de savoir ? ; )
 

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