Barnabé a très froid aux pieds, parce qu'il est dehors et que, dehors, il fait froid. Le ciel est bouché, la bise souffle. Mais Barnabé devait absolument aller dehors, et ses pieds, il s'en fout. Il ne passe pas son temps à peser le pour et le contre. Ce n'est pas pour ses pieds qu'il est dehors, mais pour écouter. Rien que pour écouter. Pour écouter comment ça parle aujourd'hui. Parce ça parle tout le temps dehors, et presque jamais quand on est dedans, seul, enfermé entre quatre murs, un plancher et un plafond, la porte close, les rideaux baissés, dans cet air tiédasse, vaguement fétide, qui alourdit la tête. Là, ça ne parle pas. C'est mort. Tandis que dehors, malgré novembre, la bise, le ciel bouché, le jour qui ne parvient pas à se faire et cette lumière de crépuscule qui traîne jusque vers les midi, Barnabé se retrouve dans les nuages, dans les arbres, et, dans la quasi-absence des hommes, se recompose.
Il est vrai qu'ils sont rares, les passants, et pas heureux du tout de se les geler tellement. Alors pour se réchauffer un peu, parce que de se moquer, ça réchauffe, ils lui demandent, le sourire en coin : « Barnabé, pourquoi regardes-tu les nuages ? »
Et il répond : « Je ne regarde pas, j'écoute écoute, avec les yeux et pas seulement avec les yeux. Ça parle ».
Alors, les gens, rassurés, peuvent se dire : « Il est fou, ce Barnabé ! »
Mais il ne l'est pas, enfin pas comme on peut le penser.
Ce temps de novembre, c'est juste ce qui lui faut pour aérer son vague à l'âme et rafraîchir sa tristesse, à l'image de toutes ces belles choses du dehors qui portent sur elles tout à la fois la beauté et la tristesse. Il sait bien que les nuages ne parlent pas, ni les arbres, et qu'ils ne sont ni gais ni tristes. En revanche il sait que cette grosse concrétion mots agglomérés qui pèse dans sa poitrine a besoin de quelques nuages, de quelques arbres, d'une brassée de feuilles sèches pour se défaire. Barnabé, à la lumière de sa joie ou à l'ombre de son chagrin, sait aller trouver ses propres arbres et les nuages qui lui conviennent.
En écoutant la Sonate no 3 pour piano et violon, op. 108
de Johannes Brahms
Par Johanna Martzy
Enregistrement du 22.10.1953
de Johannes Brahms
Par Johanna Martzy
Enregistrement du 22.10.1953
Et les mots circulent comme ça, ils sortent du mondent, essaient de le peindre, s'échappent, reviennent. Ils sont fous les mots, il faut rester sage pour les attraper. S'agenouiller, leur tendre la main, comme quand on tend du pain aux marmottes, qu'on reste une heure accroupis dans l'herbe le bras tendu, fourbus, crampus et tout en attendant que le jeune mammifère parcoure les dix mètres qui le séparent de nous. Il faut les apprivoiser, voilà. Comme le renard du Petit Prince.
Parfois, il y a un problème : c'est la peur. La peur du discours qui se trame dehors. On préfère le mort de l'intérieur et personne ne comprend. Les mots se tarissent en plus, alors comment expliquer ?
Bref, c'était un très joli texte. Et puis il m'a fait penser, alors...