« Giboyeux », mot rare, qui saute aux yeux, comme un signe convenu. Cette « nuit giboyeuse » de Michel Deguy (né en 1930) nous renvoie sans aucun doute possible à « La Pluie giboyeuse », titre d'un recueil de René Char (1907 – 1988) et, probablement, à « Possessions extérieures », bref poème tiré de ce recueil.
Seuil
Le soir quand j'entre dans la forêt de mon sommeil, lunettes d'ombre aux yeux chargés, écartant des buissons de lueurs, par d'obscurs sentiers cheminant vers la source des larmes, les faisceaux de la nuit me précèdent. Ce qui persiste du jour s'avance vers les yeux immobiles.
Nuit giboyeuse, ne sait-elle pas lier les mains du poème ? Et je voudrais t'aimer deviendrait je t'aime…
Mais veille plutôt ! car la terre est le grand vestige.
Défouis l'origine qu'elle garde, la grande trace où l'absence se fige. L'espérance confie que t'attend un pays dont cet amour d'écrire est l'acte de naissance.
Michel Deguy, Fragments du cadastre, 1960
Possessions extérieures
Parmi tout ce qui s'écrit hors de notre attention, l'infini du ciel, avec ses défis, son roulement, ses mots innombrables, n'est qu'une phrase un peu plus longue, un peu plus haletante que les autres.
Nous la lisons en chemin, par fragments, avec des yeux usés ou naissants, et donnons à son sens ce qui nous semble irrésolu et en suspens dans notre propre signification. Ainsi trouvons-nous la nuit différente, hors de sa chair et de la nôtre, enfin solidairement endormie et rayonnante de nos rêves. Ceux-ci s'attendent, se dispersent sans se souffrir enchaînés. Ils ne cessent point de l'être.
René Char, Dans la Pluie giboyeuse,
vers 1966
Evidemment, les dates m'ont alerté et il a bien fallu admettre que Deguy, le plus jeune, avait parlé le premier.