Brume sentit la main de Mirabelle sur son épaule. Il ne l'avait pas entendue s'approcher. Et elle demanda :
- Nébu, dis-moi, ce que l'on veut, ce que l'on pense, ce que l'on aime, est-ce qu'on peut jamais le savoir ? Je veux dire le savoir vraiment, avec certitude ?
- Mirabelle, tu me parles : tu as donc la volonté le faire ; et tu ne penses pas à rien en ce moment. Et puis moi, tu ne m'aimes pas ?
Mirabelle sourit, mais retira sa main de l'épaule de Brume.
- Bien sûr que je t'aime, mon vieux Nébu, mais ce n'est pas du tout la même chose. Non. Décidément, tu ne comprends pas ce que je veux dire.
Brume perçut dans cette dernière remarque ce ton de désespoir légèrement agressif auquel Mirabelle l'avait habitué. Pourtant, comme d'habitude, il avait très bien compris. Et comme d'habitude il n'était pas tout à fait d'accord.
- Ce que tu veux, ce que tu penses, ce que tu aimes, ma chère Mirabelle, jamais tu ne le sauras. Dans cette vie, il y a toujours quelque chose qui nous échappe et, comme par hasard, il s'agit de l'essentiel. Alors, ce que l'on veut vraiment, au-delà de tous nos petits vouloirs, ce que l'on pense vraiment, au-delà de tous nos fragments de pensées, ce que nous aimons vraiment, jamais nous ne le saurons. C'est le grand secret de notre vie. Il échappe complètement à celle ou celui qui aurait le plus de légitimité à le savoir.
- Ce n'est pas vrai. Tu mens. Il y a des gens qui le savent. Et toi aussi certainement. Je suis bien la seule à être aussi dispersée, aussi incertaine, aussi imprévisible, aussi désespérément faible quand je voudrais être forte, défiante envers ceux qui m'aiment, terrorisée sans motif, méchante quand je voudrais tellement être bonne.
- Décidément, Mirabelle, il y a toujours un moment où tu finis par me traiter de menteur. Pense-le, si tu veux. Tu sais, on peut facilement donner l'impression qu'on est fait tout d'une pièce, on peut assez facilement s'en convaincre soi-même. On devient alors une sorte de héros de bande dessinée. On se met en scène dans un monde qui n'est plus qu'un décor, où les autres ne sont plus que les faire-valoir de nos illusions.
- Mais alors dis-moi pourquoi, moi, je suis si malheureuse, tellement plus que tous les gens que je vois tout autour de moi.
- Qu'en sais-tu, Mirabelle ? Nous avons tous une plaie secrète. Mais à propos de ce secret, j'aimerais te raconter une histoire.
A suivre.