Mercredi 9 juillet 2008 à 12:03


Les hommes n'ont pas toujours été des hommes. Il y a bien longtemps, ils ont commencé par être des animaux comme les autres, des animaux très simples qui prospéraient là où ils trouvaient de quoi vivre et qui périssaient ailleurs. Pour leur malheur, bien plus souvent proies que prédateurs.
Un jour, donc, ces animaux devinrent des hommes. Ne me demande pas comment, mais on peut savoir qu'ils l'étaient devenus à cause de cet usage de la parole qu'ils s'étaient trouvé, et pas seulement pour communiquer entre eux. Bon, je dis « les hommes », mais ces hommes-là, ceux de mon récit, n'étaient pas tout à fait comme nous. Nos pensées, tu le sais, surgissent et stationnent bien au chaud, à l'intérieur de nous. Eux, ils portaient leur propre vérité écrite en toutes lettres sur leur corps.

Imagine ces corps couvert de signes : la peau presque invisible sous l'accumulation des mots. Commode, me diras-tu. Il leur suffisait de lire pour tout savoir. Eh bien non ! Ce n'était pas si simple. Essaie de te représenter les choses : quelle que soit la position qu'ils adoptaient, ils ne pouvaient jamais donner à lire la totalité de leur texte. D'ailleurs, ils n'avaient aucun intérêt à ce que ce soit possible. Alors, celui qui pouvait les voir lisait ce qui lui tombait sous les yeux et suppléait par l'imagination à ce qui manquait.
Et naturellement, s'il était difficile d'accéder au texte d'autrui, il l'était encore plus de se lire soi-même. On parvenait assez facilement à déchiffrer ce que l'on portait écrit sur son ventre mais pour le reste, le dos, les fesses, on n'arrivait à en apercevoir que des bouts, au prix d'invraisemblables contorsions. Et l'on ne pouvait pas se faire aider par son voisin, puisque chacun accommodait à sa propre sauce ce qu'il voyait.
Et je ne t'ai pas tout dit : sur la peau, les mots étaient souvent en désordre ; une phrase ne commençait pas forcément à la suite de celle qui la précédait logiquement ; certains mots étaient bizarrement écrits et l'on notait fréquemment d'étranges substitutions.
Enfin, pour corser le tout, personne ne naissait vierge de toute parole. En venant au monde, chacun portait déjà sur soi, comme une adresse sur un paquet, mais aussi comme un oracle mystérieux, quelques phrases définitives : la référence aux origines, la liste des appartenances, son propre nom et celui du Père, autant de marques indélébile d'une histoire qu'on n'a pas choisie et à laquelle on n'échappe pas.

Donc, pas question de tout effacer et tout reprendre à zéro, en s'inventant une histoire à sa convenance ! Toute parole nouvelle, même la plus habilement choisie, prenait forcément place dans le texte ancien, se mélangeait à lui et recevait de lui l'essentiel de son sens. Ce qui avait force de loi, c'était uniquement le texte complet, auquel personne n'avait accès, pour toutes les raisons que je t'ai données.
Voilà pourquoi, ma chère Mirabelle, ces hommes-là - qui vivaient pourtant pleinement leur vie - n'ont jamais pu savoir ce qu'il y avait vraiment à la racine de leurs pensées, ni connaître le véritable objet de leurs amours, ni vraiment comprendre le fond de leur désir. Et pourtant, tout était écrit sur leur peau !

Fin   


Par M le Jeudi 10 juillet 2008 à 1:08
Corps e(s)t langage.
Ce n'est pas la surface, mais les mots qui me manquent.
Ce que Mr Brume conte là donne un autre sens aux expressions "corps du texte" (c'est une expression, ou c'est une fabulation ?) et "le langage du corps", ou même... "peser ses mots".
J'y pense, il n'y a pas que Mirabelle. Christopher aurait peut être aussi traité Mr Brume de menteur, avec ses métaphores. Tu t'imagines un peu, sa difficulté à se représenter ces choses là ? J'avais beaucoup aimé quand il en parlait.
Il y a un autre personnage, Thomas je crois bien, il ne pouvait plus parler alors il écrivait tout ce qu'il voulait dire sur des cahiers, et il avait fait tatouer oui et non sur ses deux paumes. Mais le "Je ne sais pas", il n'y était pas.
Finalement, si je comprends bien... le savoir on l'a, mais on ne peut pas le lire. Si on pouvait se lire, si on pouvait se voir, on pourrait savoir ? Même pas, comme dit Mr Brume, ça se corse. L'image de ces inscriptions reste une image, déformée et morcelée, et en plus de ça, les inscriptions elles-mêmes ne sont pas "intactes", alors on ne saura jamais vraiment. Fin ? Il va falloir que je remballe ma curiosité alors, ce "désir de savoir", ou ce "savoir sur le désir" qui ne mènera pas plus loin qu'au bout de mon nez !
Cette histoire... Oui, elle m'a beaucoup plue. J'étais presque tristounette qu'il n'y ait pas plus d'épisodes. J'aurais voulu retarder cette Fin encore un peu, pour le plaisir de lire, parce que c'est tout de même épatant avec quelle facilité tes mots évoquent et prennent sens (jacky aurait dû prendre exemple sur toi :P), j'aurais voulu que cette vérité n'ait pas tant d'écho.
Suite dans un instant (moi je n'écris pas, mais je commente aussi par épisode ! sourire)
(plus assez de caractères)
(mais toujours trop de caractère paraissait-il ^^)
(bref!)
Par M le Jeudi 10 juillet 2008 à 1:17
Suite (toute aussi décousue):
Ah, et il y a deux phrases que j'ai adoré:
"Pour leur malheur, bien plus souvent proies que prédateurs." Elle sonne vraiment bien.
et aussi:
"mais aussi comme un oracle mystérieux, quelques phrases définitives : la référence aux origines, la liste des appartenances, son propre nom et celui du Père, autant de marques indélébile d'une histoire qu'on n'a pas choisie et à laquelle on n'échappe pas. "

Et le début m'a rappelé cette autre histoire que j'avais beaucoup aimé, sur l'homme qui n'est plus animal mais devient, par le langage, un semblable pour les habitants heureux de l'île (si ma mémoire ne me joue pas trop de mauvais tours!). Il faudrait que j'imprime cette histoire là.

Pour la conclusion, l' "entre tirets" : =) . C'est rassurant, s'ils vivaient pleinement leur vie, alors, on ne peut qu'espérer en faire autant ! Et même un peu plus que l'espérer. Le soleil se lèvera, et il brillera. Et il y aura des fraises. Et on sourira.

(Ça y est ! J'ai fini mon rommentaire décousu ! Tu sais tellement bien tricoter les mots que je suis sûre que tu trouveras quand même bien quelques phrases un tant soit peu sensées dans ce méli-mélo !)
Par monochrome.dream le Jeudi 10 juillet 2008 à 14:48
Je t'embête avec la "Boîte noire".
Le type inconscient a déliré, et une infirmière de garde a pris tout son délire en notes. Ce sont des fragments obscurs de lui-même qu'elle tend à l'amnésique à sa sortie de l'hôpital. Il les lit, il les recopie, les imprime, recouvre de ces impressions tous les murs de sa piaule, il surligne, prononce, cherche, cherche encore mais il ne trouve pas.
Il dit : "mon identité est sur ces murs... et je ne comprends pas !".
Ton article est passé au galop, a traversé le film alors que le gars s'épuisait, tournait en rond, cherchait en vain.
"Mon identité est en moi, et je ne saurai jamais." Il aurait tout aussi bien pu dire ça.
Par maud96 le Dimanche 13 juillet 2008 à 18:03
Une histoire qui fait méditer... çà me fait penser à un chaton, couleur perle, en bas de mon immeuble, qui découvre la vie et tente sans cesse d'attraper le bout de sa queue... mais trop courte, cette partie de son individu si remuante lui échappe sans cesse. Et le petit chat de se contorsionner, en vain !
L'homme réussira à décrypter son "donné" génétique... mais sans doute pas tout ce qui, enfoui, relève d'instincts et terreurs primitives. Dont l'esprit "clanique" ou racial..."Toute parole nouvelle, même la plus habilement choisie, prenait forcément place dans le texte ancien, se mélangeait à lui et recevait de lui l'essentiel de son sens. Ce qui avait force de loi, c'était uniquement le texte complet, auquel personne n'avait accès". Je suppose que c'est très vrai...
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