Samedi 8 septembre 2007 à 18:12


On fit lire un jour à Monsieur Brume un étrange article.

- Je me demande qui a écrit ça, dit la personne qui avait apporté le texte.
- Et pourquoi ? répondit M. Brume. Cet article, il te met en cause ? il te        vise ? il te menace ?
- Non, mais il m'intrigue et j'aimerais bien avoir la clé du mystère.
- Cela t'importe donc tellement ?
- Bien sûr ! si je sais qui se cache derrière, tout s'éclairera, forcément.
- C'est ce que tu imagines, mais tu as tort.

Et alors Monsieur Brume se lança dans une curieuse théorie.
Le texte, dit-il, comme tout discours suppose en effet un sujet. Pas de discours, pas de texte, pas de parole sans sujet. Pourtant, ce serait une grave erreur que de confondre le sujet du texte avec une personne réelle. Le texte par sa texture même, par le jeu de tous ses constituants, renvoie l'interprète attentif et tenace à un point de convergence obscur, un peu vague, un lieu. Ce point de convergence est justement le sujet en question. S'il se situe toujours dans les parages de l'auteur, parfois tout près, parfois plus loin, jamais il  ne se confond avec lui. Le vrai sujet du discours est à la fois plus et autre chose que l'individu qui s'exprime. Identifier l'auteur d'un texte ne manque pas d'intérêt, mais cela ne nous porte jamais très loin.

On peut aller encore plus loin, pousser les chose aux limites du paradoxe, en disant que le discours n'est pas la production du sujet. D'une source, on ne dit pas qu'elle produit l'eau qui jaillit d'elle. Tout au contraire, c'est en remontant le cours du ruisseau qu'on identifie son point d'émergence. Le ruisseau fait la source. De même devons-nous dire que le discours produit son sujet, et même que le sujet n'est concevable que comme le produit de son discours.
Ne riez pas, dit Monsieur Brume. Je sais bien que le discours a un auteur et jamais je ne prétendrai que le discours crée l'individu qui le prononce. Ce serait absurde.
Mais la vérité devient toute simple si vous vous rappelez ce que je viens de vous dire : l'individu en chair et en os, l'auteur conscient de lui-même et sûr de ses intentions n'est que la cause du discours, il n'en est pas le sujet. Ce sont deux instances rigoureusement distinctes. Le sujet, d'une certaine manière gouverne l'individu, mais de l'un à l'autre, il y a une non-correspondance, un saut, une béance.
En prononçant le discours, en écrivant le texte, l'auteur s'en remet au langage ; il met en jeu tout un système producteur de sens, une texture organisée de signifiants. Ce processus le porte au-delà de lui-même. De ce fait, le dit va plus loin que vouloir-dire, apporte un surcroît de sens, renvoie l'auteur à la part de lui-même qu'il ne connaît pas.

Alors, si vraiment cet article te semble hors du commun, n'attache pas trop d'importance à la question de savoir qui l'a écrit. L'auteur aura beau t'expliquer ses intentions, ses raisons, ses scrupules, tu en sauras toujours moins par lui que par le texte lui-même.


Par coffre.a.mots le Samedi 8 septembre 2007 à 19:11
Ca m'a fait sourire au fil des paragraphes.

Merci.
Par Plaiethore le Dimanche 9 septembre 2007 à 14:28
Le dernier paragraphe...
Comme il me sied l'ami ;)
Par MavangElle le Mardi 11 septembre 2007 à 10:07
Ton blog est décidemment très intéressant. Cela change de l'ordinaire. Merci pour ces découvertes.
Par L-Emasculee-Conception le Dimanche 16 septembre 2007 à 2:06
j'aime beaucoup, même si j'avoue qu'en cette heure j'ai un peu de mal a me concentrer et que je suis sure que quelques choses m'auront échappées!
Quoi qu'il en soit, c'est une étude interessante, bien expliquée, clairement.
Le texte a t'il une voix propre, l'auteur n'en etant que le "porte voix"?
Rentre en compte la subjectivité du lecteur, ou du recepteur, ce qu'il y trouve. Donnons le même texte a 2personnes différentes, elles n'y verrons pas la même chose c'est certain. Jusqu'à quel point le lecteur prend-il part à la "voix" du texte, à sa signification?
Par monochrome.dream le Jeudi 10 mars 2011 à 16:03
"jeu de signifiants", m'as-tu fait souligner ce matin dans le premier paragraphe du "Par où commencer" de Barthes.
Ici, tout au long du développement, tu flirtes avec cette expression sans jamais l'écrire telle quelle. J'ai trouvé :
-"le jeu de tous ses constituants" (au texte)
-"il met en jeu tout un système producteur de sens, une texture organisée de signifiants."

:)
 

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