Jeudi 28 septembre 2006 à 18:59


Je ne suis pas là pour vendre des poèmes. Je ne chercherai pas à faire croire que la poésie est désirable, que le premier poème venu sautera à la figure du lecteur comme une panthère et lui griffera le fond de l'âme. Oh non ! et par-dessus tout, je ne dirai pas que la poésie est agréable, qu'elle fait du bien, qu'elle est d'un abord facile, ou même rigolote. Bien au contraire, la poésie est souvent peu gratifiante, revêche, voire carrément pénible ; et s'il lui arrive de rire, c'est que le gouffre n'est pas loin.


Et puis, on se tromperait du tout au tout en réduisant la poésie aux œuvres des poètes. La poésie est avant toute chose une dimension de nous-mêmes : la conscience du vide; les poèmes traduisent une part de la rumeur que rend ce vide.

Le cycle indéfiniment recommencé de la vie quotidienne se referme toujours sur lui-même ; il se nourrit de sa propre substance et ne nous pousse jamais au-delà de nous-mêmes ; mais il arrive que les machines à distraire cessent de fonctionner, que l'assommoir ferme. La peau fragile du réel se fend, le vide devient visible sous la surface des choses, sous nos pieds, en nous-mêmes. Est lucide celui sait le voir et garde les yeux ouverts ; la fonction première de la poésie est de traduire cela en mots.

Le langage dont nous sommes saturés, qui nous conforte dans nos certitudes, qui nous rassure, est le langage du plein, qui prétend ne rien laisser au hasard, rendre compte de tout. Il prétend même nous connaître et modèle nos envie. Infirme cependant : accumulation de vérités partielles, il réduit le monde à une part ou à une dimension de lui-même. Discours irréfutable, mais de surface seulement, beau verni ou hideuse barbouille.

A l'opposé, la poésie est le discours du vide, de l'absence, du désir ; elle est la douleur absolue qui suinte par toutes les failles de notre vie calibrée, la jubilation absolue, soupçonnée seulement, comme la biche au seuil de l'aurore. Toujours expression de la fragilité, du déséquilibre, de l'incertitude, de l'attente.
Une parole qui se refuse à expliquer le monde mais traduit avec la plus grande rigueur les aspects les plus vertigineux de notre expérience du monde. Parole des confins, au contact de l'indicible. Parole à l'état natif, qui sourd bien en deçà de ce que nous savons de nous-même, encore incertaine de son sexe, n'ayant pas encore choisi entre le bien et le mal, sans pudeur ni morale, en toute innocence beauté sublime ou monstre grimaçant.

Cette parole brute, hâtive, une fois dite, se déplace comme le vent, s'accroche aux branches, caresse la face de l'homme debout, s'insinue dans toutes les failles, fait claquer les portes ; il se peut aussi qu'elle se retourne contre nous et nous crache au visage.


Par a.fleur.de.curiosite le Samedi 22 septembre 2007 à 15:23
Cette lucidité.
Ce quatrième paragraphe... "beau verni ou hideuse barbouille".
Cette opposition entre vide et plein.
Cette incompréhension.
Cette "beauté sublime ou monstre grimaçant".
Cette sorte de double langage.

Je reste sans voix.
Par monochrome.dream le Mardi 30 novembre 2010 à 21:52
Un peu comme ce texte. A sa lecture, l'âme devient poreuse et l'on sent quelque chose circuler entre elle et l'extérieur, sans pouvoir dire si cela entre ou sort. Tout ce dont on est sûr, c'est que l'insaisissable et le vertigineux ont leur cabane en Poésie.

(Tu me lis, tu fronces les sourcils, tu te demandes : "on ?"
Ben oui, "on". C'est écrit comme c'est venu mais tu peux remplacer par "je".)
 

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