Dimanche 25 novembre 2007 à 18:48


Un jour, M. Brume se réveilla content. Il ignorait pourquoi, ne se trouvant à première vue aucune raison évidente de l'être.

« Il y a de l'allégresse dans l'air ce matin, se dit-il ; c'est un bonheur, et une énigme. Cherchons la solution de l'énigme, mais, pour autant, ne boudons pas notre bonheur. »

Tout s'éclaircit rapidement. Un vieux malentendu qui traînait depuis des années venait de se dissiper. Cela s'était fait à son insu dans les coulisses de son être. Hier, il ne voyait même pas le problème et, ce matin, le voilà résolu ; il en prenait tout juste conscience, que le fond de son être exprimait déjà sa gratitude. Comme quoi bien des choses nous arrivent sans qu'on ait besoin de se plier en quatre pour les obtenir.

Il s'agissait d'un malentendu pesant, bien ancré dans sa vie, qu'il subissait sans le savoir depuis des années et des années. Un malentendu touchant une personne qui lui était extrêmement proche, qui vivait dans son propre appartement, partageait son quotidien, lisait ses livres, pillait son réfrigérateur, puisait allègrement dans sa bourse, buvait son café…

Cette personne, qu'il croyait si bien connaître, n'était pas celle qu'il imaginait, mais alors pas du tout.

Depuis qu'il la fréquentait – et ça faisait longtemps - , il s'était donné d'elle une image familière, commode, qui avait dissipé toute interrogation à son sujet, une représentation précise et stable, qu'il tenait pour définitive, parce qu'elle flattait sa paresse. Mais tout cela, il venait de s'en rendre compte, sans être absolument faux, n'était pourtant pas la vérité.

Comment donc ? me direz-vous, ce pauvre Brume serait-il victime d'un imposteur vivant à ses crochets, abusé dans sa bienveillance ou, osons le dire, sa candeur ?

Non pas. Aucune escroquerie, rien que la Loi ou la morale réprouve.

Un cas de personnalité multiple, alors ? L'hôte si familier de M. Brume mènerait-il une double vie ?

Pas plus. Simplement, celui-ci n'était pas celui qu'on croyait ; plus encore, il se prenait lui-même pour un autre. Quand solennellement il retournait son index contre sa poitrine à l'occasion d'un théâtral  « Moi, je sais ! », d'un profond « Moi, je pense ! » ou d'un sévère « Moi, je veux!", il croyait se livrer, tel qu'en lui-même, franc comme l'or. Grave erreur !

Alors, Brume se tourna vers le grand miroir du vestibule, sourit et dit à son reflet : "Bas les masques ! Tu m'as bien eu, pendant toutes ces années, mais c'est terminé. Sacré moi, je vais crever ta bulle et savoir une bonne fois où je me trouve vraiment et ce que je suis. »

Ce moi auquel on s'arrête, cette construction de bric et de broc, n'était qu'un mirage : toutes les apparences d'une réalité, mais rien de vrai. Il se trouva profondément soulagé de l'avoir compris; il savait pourquoi il s'était réveillé si content et savait surtout que sa joie était fondée.

Ce visage, ce corps, où si souvent il avait cru se reconnaître; mais aussi cette réputation, cette identité sociale, ce personnage dont il prononçait les répliques, n'étaient qu'un écran de fumée. Ce que vraiment il était, c'était encore tout autre chose.
Pas question pourtant de renier ce corps, cette voix, ce moi tellement haïssable. Cette apparence, il se l'était construire, et il devrait bien s'en accommoder, mais il venait de se rendre compte qu'il avait été trop loin, qu'il s'y était laissé enfermer et qu'il y végétait prisonnier, depuis des années.

Mais cela protestait, sourdement, quelque part, jusqu'à la nausée, jusqu'à la rupture. Cette prison trop étroite, le temps était venu de s'en extraire, pour se déployer enfin et partir en quête du sujet véritable de ses paroles et de ses actes : celui qui agit, qui parle, mais ne montre point de visage, la source de son désir, son désir même.



Par monochrome.dream le Lundi 26 novembre 2007 à 10:39
Un certain Arthur Schopenhauer aurait répondu à Mr Brume que c'est une illusion que de se sentir coupé des choses. En toute chose la même racine, aurait-il sans doute énoncé : cette racine étant la volonté de vivre. Il n'y a aucune opposition entre le sujet et le monde selon cet homme, et après un long épluchage, je t'ai même retrouvé l'extrait que m'a rappelé ton texte. Je cite :
"Aux yeux de la plupart des hommes, l'idée qui domine, c'est celle d'une profonde différence entre le moi et le reste. Au contraire le propre de l'homme bon est de connaître d'une façon immédiate et sans raisonner, que la volonté de vivre, qui constitue l'essence de toute chose, est la même en lui qu'en autrui, que notre vrai moi ne réside pas dans notre seule personne, mais bien dans tout ce qui vit. Pour lui, l'illusion du principe d'individuation s'est dissipée. [...] De là cette sérénité calme, insouciante, que porte en elle l'âme vertueuse. L'égoïste se sent entouré de phénomènes étrangers et ennemis, l'homme bon vit dans un monde de phénomène amis ; le bien de chacun est son propre bien."
(dans Le Monde comme volonté et comme représentation)

Quand tu dis qu'on est prisonniers d'une identité en kit qu'on se crée au fil des attitudes, c'est une évidente scission que tu opères entre le moi et le monde, via celle que tu invoques, la scission du moi et de l'apparence, c'est pour ça que j'ai pensé à cet extrait, qui m'avait bien marquée.
Par Ch0u.Fleur le Mardi 27 novembre 2007 à 18:56
« Cherchons la solution de l'énigme, mais, pour autant, ne boudons pas notre bonheur. »
Je crois que je devrais y réfléchir.
Par lagrandemymy le Mercredi 5 décembre 2007 à 15:09
Parce que j'ai envie de t'expliquer un peu sans être forcément vue par toute la populasse qui passe ici...

J'ai été "chassée", j'ai quitté plutôt un groupe d'amis qui m'accusait d'avoir fait un truc dégeulasse (je ne donne pas de détails, ça me débecte toujours autant) et le 3 décembre 2007 c'était l'anniversaire de notre première rencontre. Je me suis retrouvée habillée comme ce jour là et ça m'a fait rire parce que je parviens peu à peu à m'en détacher.
Et ce jour là je suis tombée sur un dessin de l'un d'entre eux, une caricature de ma personne vais-je dire. Voilà tout. c'était un article de quoi me défouler et faire comprendre à ces gens qui passent encore sur mon blog que c'est bien terminée.
Par lagrandemymy le Mercredi 5 décembre 2007 à 15:09
(désolée pour les fautes, je tape en étant couchée et ne me relis pas :s)

gros bisous
 

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