Samedi 21 octobre 2006 à 7:48
Fermé jusqu'au 30 octobre
A bientôt !
Jeudi 19 octobre 2006 à 17:27
Chaque fois que je m'endormais et que je rêvais, c'étaient toujours des rêves différents et ça me plaisait. Mais chaque fois que je me réveillais, c'était la même réalité et on m'appelait toujours Barnabé : ça, vraiment, ça me déplaisait. Je commençais à en avoir marre. Je voulais être ailleurs et pas ici, j'en avais assez d'être toujours maintenant, mais surtout, j'en avais marre de ce crétin de Barnabé, de ce grand corps flasque et de cette mentalité d'imbécile. Pour le temps et l'espace, je ne pouvais pas faire grand-chose (je suis de plus en plus sûr que cela ne dépend pas de moi). En revanche, pour Barnabé, j'avais une toute petite marge de manœuvre. Je me cachais dans un coin de sa cervelle et l'apostrophais au moment où il ne s'y attendait pas trop. Je le toisais et lui lançais : « On va bien voir qui a le droit de dire JE ici!». J'avais presque toujours le dessus ; je poussais alors Barnabé dans ses derniers retranchements, c'est-à-dire dans un coin perdu de son psychisme, par exemple le gros orteil gauche, et je fermais la porte tant bien que mal (il n'y a pas de serrure). Bon débarras ! Je devenais le maître des lieux le temps qu'il reprenne ses esprits, qu'il se perde un bon moment dans ses organes et qu'il retrouve le chemin de son petit cerveau. J'en avais bien chaque fois pour quelques minutes. Et alors, je me marrais en tirant au hasard sur tous les leviers, en pressant tous les boutons, en psychédélisant les communications. Si quelqu'un appelait Barnabé, je ne répondais surtout pas, ou alors n'importe quoi. La personne se fâchait, et je lui répondais : « JE m'en fous, de toute façon JE ne suis pas Barnabé ! » Alors la personne se fâchait encore plus en disant : « Arrête tes conneries, je sais bien que tu es Barnabé ! » Je pouvais aussi me cacher dans l'armoire, m'enfermer dans la salle de bains ou sous un lit. La personne devenait hystérique : « Barnabé ! Tu n'es plus un gamin, sors de là tout de suite ! » Et ça tombait pile sur le moment où cet imbécile de Barnabé réapparaissait à la porte de son encéphale, tout essoufflé par la montée et plus niais que jamais. Il s'empressait de dire : « C'est moi ! Je suis là ! » Et alors il se faisait encore plus engueuler, et n'y comprenait rien, parce qu'il avait loupé la meilleure partie de l'histoire…
Bon ! Ca, c'était avant la catastrophe.
Je me doutais bien de quelque chose. Je flairais une présence, j'entendais des bruits bizarres, des pas à l'étage au-dessous, des bruits de chasse d'eau, des grondements sourds parfois. J'étais à peu près certains que, ce crétin de Barnabé et moi, nous n'étions plus seuls dans la carcasse. C'était d'ailleurs bien plus qu'une présence : une sourde et mystérieuse menace. Barnabé n'était pas seulement un imbécile, il était aussi hanté. Le comble !
Un jour que j'allais l'attraper par le collet pour le renvoyer dans son orteil, je me suis pris un énorme coup de massue par derrière. Quand j'ai repris conscience, je ne savais même pas où j'étais, et à peine qui j'étais. Il m'a fallu une éternité pour retrouver mon chemin. La porte de l'encéphale était fermée à double tour ; j'ai dû ruser et passer par la fenêtre des toilettes. Et alors, misère! L'âme de Barnabé était dans un coin, en torchon, à moitié déchirée et attachée au radiateur. L'Autre était aux commandes, un balèze que je n'avais encore jamais vu, une horreur de type, une bête plutôt. Il était armé jusqu'au dents. Il avait pris le contrôle du corps de ce pauvre Barnabé, enfin de mon corps, et il le forçait à courir… Jamais Barnabé n'avait couru si vite et je l'entendais hurler : « Bonzaaaaaïïïïïï ! » Et vlam ! LE choc ! Ah ! ce bruit de verre brisé…
Je me réveille lentement. Horreur ! le corps, notre corps, mon corps, ce corps! Cabossé, des fuites de sang dans tous les coins, des flaques puantes sur le plancher, des morceaux d'os un peu partout et plus aucun contact visuel avec le monde extérieur.
Ca sent la perfusion, les médicaments, le désinfectant et la merde. Pas de doute, nous sommes à l'hôpital. J'entends un peu de bruit outre-peau. Je colle mon oreille à la paroi fendue et déformée du crâne, je saisis quelques bribes de conversation :
« … coma … insensé, un dingue … on aurait dû l'interner depuis longtemps … incompréhensible … les deux cabines téléphoniques du carrefour … en plein dedans, bille en tête … aurait pu les éviter, on ne voit qu'elles … oui, une dame et son chien, écrasé, coupé en deux, le toutou … et la dame? non, pas grand-chose … Barnabé … des séquelles irréversible et vous savez … déjà pas terrible avant … un coup de folie … mais pourquoi ces deux cabines téléphoniques ? pourquoi les deux à la fois ? pourquoi ? pourquoi ?»