Mardi 3 octobre 2006 à 19:43

Je vous ai déjà dit que mon existence ne présente pas un grand intérêt. Vous décrire mes activités de la journée, le temps qu'il fait (en ce moment : pluie et vent violent)… Non, vraiment, très peu pour moi.
Pourtant, dans un blog, il faut aussi du vécu. Pour cela, j'ai décidé une fois de plus de convoquer un avatar ; je l'ai persuadé de bien vouloir vous raconter sa vie.
Ce sera :

Le journal de Barnabé

Mes parents ont décidé que je m'appellerais Barnabé.
Je n'aime pas ce prénom. Vous ne l'aimeriez pas non plus si vous étiez à ma place. Ce prénom me fâche, parce qu'il laisse entendre à mon sujet des choses qui sont fausses.  Si jamais j'ai un vrai nom, un nom à moi, ce ne peut pas être Barnabé. Celui qui dit JE quand j'écris et quand je parle, il ne s'appelle certainement pas Barnabé.

Je suis né le 24 avril 1990 ; enfin, c'est ce qu'on m'a dit, parce que c'est écrit. Et puisque c'est écrit, je l'admets, j'admets ça comme le reste. J'admets donc aussi que j'ai seize ans.

On se moque de moi parce que je pose toujours des questions. On dit que  ces questions sont absurdes et que je suis à côté de la plaque (c'est une façon de parler). On dit aussi que je suis mal intégré et que je n'ai pas d'amis. On dit ça et pourtant je fais des efforts énormes. Mon problème, c'est que j'ai beaucoup de peine à exister. Je me sens comme un litre d'eau. Si je n'ai pas tout autour de moi un récipient qui me retient et me donne une forme (par exemple, tous les litres de vin rouge ont la forme d'une bouteille), je me disperse complètement. J'ai alors toutes les peines du monde à reconstituer un personnage qui me permette d'exister à l'endroit où je me trouve sans que tout le monde se mette à crier et à faire du scandale. A la maison, je joue à être le fils de mes parents et le frère de ma petite sœur. A l'école, je fais l'élève. Je fais tout comme les professeurs le veulent ; avec les autres élèves, c'est plutôt la gueule que je fais. J'essaie de comprendre comment les autres me voient et je fais tout mon possible pour ressembler à ça.
Un jour, le prof m'a dit : " Barnabé, tu es vraiment trop crispé (c'était vrai) ; on dirait que tu joues un rôle (il avait compris !), mais tu es un mauvais acteur ; laisse-toi un peu aller, il faut être soi-même, sois toi-même ( ?) ! "
Alors, je me suis laissé aller ; j'étais content de l'occasion qu'il me donnait d'arrêter de faire semblant. Et c'est venu sans crier gare ; je me suis tourné vers le prof, et mon poing est parti tout seul, droit sur son nez ! Cela venait bien du fond de moi-même, mais alors vachement profond, et je ne sais pas comment. Je pense qu'il y avait là quelqu'un de très méchant, que je n'avais pas encore remarqué. Il y était et, je pourrais dire (je sais pourtant que c'est idiot), qu'il y était avant moi.
Je crois aussi qu'il y est toujours.

Bon, cela m'est arrivé il y a deux ans déjà et depuis, j'ai été renvoyé du collège. Certains ont même prétendu que c'était à cause de cette histoire. Je ne pense pas, parce c'était la faute du prof et que, lui, il y est toujours, dans ce collège.
Maintenant, j'y suis de nouveau, enfin dans un autre collège, enfin c'est un lycée. Je dois aussi discuter souvent et longtemps avec psychiatre dont je me méfie parce que c'est un hypocrite : il veut me faire croire – sans jamais le dire clairement - qu'il me connaît mieux que je ne me connais. Il ment, parce que je sais, moi, que je suis inconnaissable. La vérité, c'est qu'il me connaît juste assez pour que je corresponde à ce qu'il attend de moi.
C'est d'ailleurs exactement comme ça que je connais les autres. Les autres, ils ne m'intéressent pas beaucoup, alors il m'est très facile de les connaître : il y a les cons, et les peut-être pas cons, les dangereux et les inoffensifs, ceux qui me collent aux baskets (c'est une façon de parler) et ceux qui sont comme s'ils n'existaient pas.

Et puis trouve que le monde existe, qu'il existe beaucoup plus que moi je n'existe : il est trop plein d'objets durs, bruyants, laids, puants ; je me cogne tout le temps au monde, j'ai toujours trop chaud ou trop froid à cause du monde. La réalité ne veut pas me laisser tranquille.

Et puis, comme je suis à l'école pour apprendre, je lis énormément, je n'y comprends rien, mais cela n'a pas d'importance, parce que je m'en fous.



Lundi 2 octobre 2006 à 18:08


« D'un fruit qu'on laisse pourrir à terre, il peut encore sortir un nouvel arbre. De cet arbre, des fruits nouveaux par centaines.
« Mais si le poème est un fruit, le poète n'est pas un arbre. Il vous demande de prendre ses paroles et de les manger sur-le-champ. Car il ne peut, à lui tout seul, produire son fruit. Il faut être deux pour faire un poème. Celui qui parle est le père, celui qui écoute est la mère, le poème est leur enfant. Le poème qui n'est pas écouté est une semence perdue. Ou encore : celui qui parle est la mère, le poème est l'œuf et celui qui écoute est le fécondateur de l'œuf. Le poème qui n'est pas écouté devient un œuf pourri. »

                                                            René Daumal 1908 - 1944


Dimanche 1er octobre 2006 à 12:48

Peut-on citer le contenu d'un blog comme on citerait un article de presse ou un livre ?

A première vue oui, puisque le contenu d'un blog est visible sur la toile. Mais dans les faits, c'est beaucoup plus compliqué que cela. Même s'il est accessible (« accessible » ne veut pas dire « diffusé »), le blog émane le plus souvent de la sphère intime. Certains semblent même réservés à quelques personnes seulement, et témoignent parfois du souci paradoxal de n'être pas reconnu : je suis là mais je ne veux pas qu' « on » me retrouve.
Rien d'étonnant à cela ; ces blogs répondent au désir contradictoire qui fonde tout journal intime : livrer à quelques-uns, des inconnus de préférence, un contenu qui cependant reste confidentiel.

J'aimerais bien pouvoir citer certains blogs, mais je m'y refuse. J'ai le sentiment que ce serait une forme de violence, comme si la lecture sur place était la seule admissible, comme si en me laissant y aller voir, on me donnait accès à un secret que je n'aurais pas le droit de divulguer.

Jusqu'ici, j'ai renoncé à mentionner des sites, à mettre des liens, à citer des articles, je pense le faire néanmoins, mais pas sans l'autorisation explicite des intéressés.

A part ça, une remarque qui n'a presque rien à voir : j'ai beaucoup de peine à me faire à ce mot « blog » que je trouve bien laid ; « blogue » ne sonne pas mieux et me fait penser à « blague ».


Samedi 30 septembre 2006 à 12:01

Juste une ombre




Vendredi 29 septembre 2006 à 17:45

Communiqué du 29 septembre 2015 émanant du Grand Conseil de l'Univocité,
destiné aux établissements de formation aux compétences
(« écoles » selon l'ancienne terminologie)


Il a été décidé(1) que désormais les mots n'auront qu'une seule signification et que sera bannie toute formulation ambiguë, à double ou triple sens. Les métaphores notamment seront proscrite en raison de leur caractère fallacieux. Certaines figures de style dont la liste sera publiée ultérieurement sont tolérées, mais seulement pour faire joli, et à condition que le sens auquel le texte répond ne subisse aucune altération.

Il a été décidé que l'étude universitaire des textes (dans les Instituts de linguistique) aura désormais pour objectif unique de fixer leur sens une fois pour toutes. On escompte que dans un délai d'une dizaine d'année, le sens de chaque texte sera suffisamment établi (sur le modèle des quatrièmes de couverture), pour pouvoir être édité séparément. Lesdits textes deviendront donc superflus et, d'ici quelques années, nous pourrons faire l'économie de l'étude, fastidieuse et inutile, de la littérature.

Les œuvres littéraires inscrites au patrimoine, seront copiées sur des supports indestructibles et rangées dans des abris souterrains à l'épreuve des tremblements de terre et des bombes atomiques.
Rappelons que c'est déjà le cas pour les œuvres d'art qui ont été déposées dans les  chambres fortes des principales banques. Leurs valeurs aux cours du marché restent cependant affichéees dans les musées. (Il en est résulté une simplification si considérable des études d'histoire de l'art, que celles-ci, à l'instar de la philosophie, ont été intégrées au  programme des Ecoles de commerce.)

Les seuls livres admis seront les manuels scolaires, les ouvrages techniques et scientifiques traduits de l'anglais, les modes d'emploi, les textes législatifs, les publications destinées au formatage du comportement (diététique, activités physique, santé, sécurité, interprétation des rêves), au rappel des croyances tolérables (religions monothéistes, athéisme respectueux, ésotérisme inoffensif et croyances farfelues), à la gestion raisonnée du temps libre (bricolage, cuisine, musique et nature) et à la connaissance du monde (bons et mauvais mode de vie, mœurs pittoresques des temps historiques, interprétations légales du passé).

Un taux incompressible d'ambiguïté est considéré comme inévitable, voire utile, par les spécialistes de la régulation sociale. Une part de n'importe quoi sera donc tolérée, à condition toutefois d'être entièrement prise en charge par l'industrie de l'audiovisuel et du divertissement et d'être dûment étiquetée : « marchandise » ou « merde en pot».
Le marché du roman est laissé libre ; la tendance à la médiocrité qui le caractérise est le meilleur gage de l'évolution du genre vers le récit de vie cucul la praline et le roman de gare inoffensif, avant sa complète extinction.

            Publication contrôlée par la Commission de l'Univocité.
               Contenu validé par sondage d'opinion selon le critère d'indifférence
               (91,87 % d'indifférents).


(1) Formule tenue pour suffisante (Loi du 29 février 2012 visant à la promotion des processus sans sujet et à la passivation des énoncés).


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