Pourtant, dans un blog, il faut aussi du vécu. Pour cela, j'ai décidé une fois de plus de convoquer un avatar ; je l'ai persuadé de bien vouloir vous raconter sa vie.
Ce sera :
Le journal de Barnabé
Mes parents ont décidé que je m'appellerais Barnabé.
Je n'aime pas ce prénom. Vous ne l'aimeriez pas non plus si vous étiez à ma place. Ce prénom me fâche, parce qu'il laisse entendre à mon sujet des choses qui sont fausses. Si jamais j'ai un vrai nom, un nom à moi, ce ne peut pas être Barnabé. Celui qui dit JE quand j'écris et quand je parle, il ne s'appelle certainement pas Barnabé.
Je suis né le 24 avril 1990 ; enfin, c'est ce qu'on m'a dit, parce que c'est écrit. Et puisque c'est écrit, je l'admets, j'admets ça comme le reste. J'admets donc aussi que j'ai seize ans.
On se moque de moi parce que je pose toujours des questions. On dit que ces questions sont absurdes et que je suis à côté de la plaque (c'est une façon de parler). On dit aussi que je suis mal intégré et que je n'ai pas d'amis. On dit ça et pourtant je fais des efforts énormes. Mon problème, c'est que j'ai beaucoup de peine à exister. Je me sens comme un litre d'eau. Si je n'ai pas tout autour de moi un récipient qui me retient et me donne une forme (par exemple, tous les litres de vin rouge ont la forme d'une bouteille), je me disperse complètement. J'ai alors toutes les peines du monde à reconstituer un personnage qui me permette d'exister à l'endroit où je me trouve sans que tout le monde se mette à crier et à faire du scandale. A la maison, je joue à être le fils de mes parents et le frère de ma petite sœur. A l'école, je fais l'élève. Je fais tout comme les professeurs le veulent ; avec les autres élèves, c'est plutôt la gueule que je fais. J'essaie de comprendre comment les autres me voient et je fais tout mon possible pour ressembler à ça.
Un jour, le prof m'a dit : " Barnabé, tu es vraiment trop crispé (c'était vrai) ; on dirait que tu joues un rôle (il avait compris !), mais tu es un mauvais acteur ; laisse-toi un peu aller, il faut être soi-même, sois toi-même ( ?) ! "
Alors, je me suis laissé aller ; j'étais content de l'occasion qu'il me donnait d'arrêter de faire semblant. Et c'est venu sans crier gare ; je me suis tourné vers le prof, et mon poing est parti tout seul, droit sur son nez ! Cela venait bien du fond de moi-même, mais alors vachement profond, et je ne sais pas comment. Je pense qu'il y avait là quelqu'un de très méchant, que je n'avais pas encore remarqué. Il y était et, je pourrais dire (je sais pourtant que c'est idiot), qu'il y était avant moi.
Je crois aussi qu'il y est toujours.
Bon, cela m'est arrivé il y a deux ans déjà et depuis, j'ai été renvoyé du collège. Certains ont même prétendu que c'était à cause de cette histoire. Je ne pense pas, parce c'était la faute du prof et que, lui, il y est toujours, dans ce collège.
Maintenant, j'y suis de nouveau, enfin dans un autre collège, enfin c'est un lycée. Je dois aussi discuter souvent et longtemps avec psychiatre dont je me méfie parce que c'est un hypocrite : il veut me faire croire – sans jamais le dire clairement - qu'il me connaît mieux que je ne me connais. Il ment, parce que je sais, moi, que je suis inconnaissable. La vérité, c'est qu'il me connaît juste assez pour que je corresponde à ce qu'il attend de moi.
C'est d'ailleurs exactement comme ça que je connais les autres. Les autres, ils ne m'intéressent pas beaucoup, alors il m'est très facile de les connaître : il y a les cons, et les peut-être pas cons, les dangereux et les inoffensifs, ceux qui me collent aux baskets (c'est une façon de parler) et ceux qui sont comme s'ils n'existaient pas.
Et puis trouve que le monde existe, qu'il existe beaucoup plus que moi je n'existe : il est trop plein d'objets durs, bruyants, laids, puants ; je me cogne tout le temps au monde, j'ai toujours trop chaud ou trop froid à cause du monde. La réalité ne veut pas me laisser tranquille.
Et puis, comme je suis à l'école pour apprendre, je lis énormément, je n'y comprends rien, mais cela n'a pas d'importance, parce que je m'en fous.