Lundi 6 novembre 2006 à 17:03


Je ne suis pas sûr que ma dernière histoire ait été bien comprise ; alors en voici une autre, en dix épisodes également, juste pour l'expliquer.


Comme cette histoire est éminemment métaphorique, je la dédie à une demoiselle capricieuse qui prétend n'avoir pas bien saisi en quoi consiste cette figure, ce qui est gênant quand on s'intéresse à la littérature, puisque la littérature tout entière n'est qu'une immense métaphore.

Pensez à un morceau de musique, puisqu'on va danser.


Dimanche 5 novembre 2006 à 19:16



La Terre si vaste semblait inépuisable. Puis elle fut tout entière explorée.  Maintenant qu'elle nous si aisément accessible, nous nous y sentons enfermés.

Les grands voyages à l'autre bout du monde ne donnent pas accès au monde, il l'abolissent. A force d'aller plus vite, on ne s'est pas avisé que la distance, c'est d'abord du temps et que réduire le temps qu'il faut pour faire le tour du monde, c'est réduire le monde lui-même.
Il est impérieux de renouer avec la lenteur, de reconquérir les intervalles, de nous perdre entre les escales. Mais surtout, il importe de retourner comme un gant le grand véhicule et d'entreprendre enfin le voyage intérieur.
Tout ce que nous situons hors de vous, par le seul fait que nous en parlons, nous le portons en nous. Dormant, ouvrons-nous au rêve ; éveillés fermons plus souvent les yeux, fuyons le spectacle et cherchons du sens.

« Nous rêvons de voyages à travers l'univers ; l'univers n'est-il donc pas en nous ? Les profondeurs de notre esprit nous sont inconnues. Le chemin mystérieux va vers l'intérieur. C'est en nous, sinon nulle part qu'est l'éternité avec ses mondes, le passé et l'avenir. »
                                                    Novalis (cité par Albert Béguin)

« L'espace n'existe pas, il faut le créer. »
                                                    Giacometti (cité par Alain Jouffroy)
                                                   


Dimanche 5 novembre 2006 à 11:49


Plusieurs jours ont passé depuis le verdict. Plusieurs nuits surtout, interminables, à m'agiter sans pouvoir fermer l'œil.
Hier soir, seulement, vaincu, épuisé, j'avais enfin cédé au sommeil, un sommeil massif, pétrifiant. Et soudain, j'ai senti qu'on m'appelait. On me secouait, énergiquement mais sans méchanceté. C'était le moment. La pendule indiquait quatre heures du matin. Il y avait déjà trois personnes dans ma cellule. On m'a fait passer des vêtements propres, j'étais abattu. On m'a conduit dans les couloirs de la prison. Je n'ai pas résisté, mais j'étais si faible qu'on devait me soutenir. Une porte s'est ouverte et j'ai découvert mon bourreau. Il se tenait debout, le regard vague. J'ai tout de suite reconnu ses yeux bleus, son demi-sourire, son complet noir, et j'ai compris.

                                      
                                                                        Terminé.



Samedi 4 novembre 2006 à 17:52


Pendant toute la durée des interrogatoires, je n'ai pas vu un seul homme en noir.
Au procès non plus. Ils semblaient avoir disparu. Et lorsque j'en parlais, personne ne me croyait, comme si cela n'avait jamais existé. Le procès a été particulièrement pénible. Mes amis m'avaient complètement abandonné. Le tribunal était rempli d'inconnus. On ne parlait que de Sébastien Berthelot, ce père de famille, cet homme si bon et si dévoué, et du monstre qui l'avait si lâchement assassiné, sans aucun motif. L'un et l'autre m'étaient devenus complètement étrangers. Et mon avocat, qui ne cessait de me répéter : « Ne vous faites pas de souci, tout ira bien ! » Une bataille de mots insensée se déroulait par-dessus ma tête. Je les laissais tous débiter leurs fantaisies. Une fois de plus, tout était vrai, tout était faux. Mon avocat défendait sans trop se fatiguer la cause d'une sorte d'inconnu qui m'était indifférent.

Le verdict est tombé : j'étais condamné à la peine de mort.
Cette annonce absurde m'a réveillé d'un coup : « Ce n'est pas possible ! La peine de mort a été abolie depuis plus de vingt ans dans ce pays ! » Mon avocat a mis sa main sur mon épaule et m'a dit, pour la dixième fois au moins : « Ne vous faites pas de souci, tout ira bien ! » Il me parlait comme à un demeuré, comme à un enfant…


Samedi 4 novembre 2006 à 0:00


Et alors, tout s'est passé très vite. J'ai senti qu'on m'attrapait, qu'on me jetait à terre. J'ai reçu plusieurs coups de pied et j'ai perdu connaissance. Je me suis réveillé dans une cellule. Presque aussitôt, on est venu me chercher pour m'interroger. Il n'y avait pas d'hommes en noir. On m'a assis sur une chaise, j'avais des menottes. Un grand type s'est approché, il a demandé qu'on m'enlève les menottes, on lui a répondu que j'étais dangereux, on m'a laissé mes menottes. Ces choses-là dépassent l'imagination ! Les questions étaient toujours les mêmes. On me demandait si je connaissais Monsieur Sébastien Berthelot; je disais que non, et invariablement on me demandait si c'était moi qui l'avais sauvagement attaqué et balancé sur les rails au moment où la rame arrivait… Tout était vrai, et tout était faux : j'avais bien poussé un homme sur la voie mais je n'avais rien à voir avec la description insensée qu'on faisait de moi. Et pourtant, ils étaient bien réels, ces interrogatoires interminables, l'odeur de sueur et de cigarette de ce bureau, la moiteur de mes vêtements crasseux, le goût du sang dans ma bouche !

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