Vendredi 29 septembre 2006 à 17:45

Communiqué du 29 septembre 2015 émanant du Grand Conseil de l'Univocité,
destiné aux établissements de formation aux compétences
(« écoles » selon l'ancienne terminologie)


Il a été décidé(1) que désormais les mots n'auront qu'une seule signification et que sera bannie toute formulation ambiguë, à double ou triple sens. Les métaphores notamment seront proscrite en raison de leur caractère fallacieux. Certaines figures de style dont la liste sera publiée ultérieurement sont tolérées, mais seulement pour faire joli, et à condition que le sens auquel le texte répond ne subisse aucune altération.

Il a été décidé que l'étude universitaire des textes (dans les Instituts de linguistique) aura désormais pour objectif unique de fixer leur sens une fois pour toutes. On escompte que dans un délai d'une dizaine d'année, le sens de chaque texte sera suffisamment établi (sur le modèle des quatrièmes de couverture), pour pouvoir être édité séparément. Lesdits textes deviendront donc superflus et, d'ici quelques années, nous pourrons faire l'économie de l'étude, fastidieuse et inutile, de la littérature.

Les œuvres littéraires inscrites au patrimoine, seront copiées sur des supports indestructibles et rangées dans des abris souterrains à l'épreuve des tremblements de terre et des bombes atomiques.
Rappelons que c'est déjà le cas pour les œuvres d'art qui ont été déposées dans les  chambres fortes des principales banques. Leurs valeurs aux cours du marché restent cependant affichéees dans les musées. (Il en est résulté une simplification si considérable des études d'histoire de l'art, que celles-ci, à l'instar de la philosophie, ont été intégrées au  programme des Ecoles de commerce.)

Les seuls livres admis seront les manuels scolaires, les ouvrages techniques et scientifiques traduits de l'anglais, les modes d'emploi, les textes législatifs, les publications destinées au formatage du comportement (diététique, activités physique, santé, sécurité, interprétation des rêves), au rappel des croyances tolérables (religions monothéistes, athéisme respectueux, ésotérisme inoffensif et croyances farfelues), à la gestion raisonnée du temps libre (bricolage, cuisine, musique et nature) et à la connaissance du monde (bons et mauvais mode de vie, mœurs pittoresques des temps historiques, interprétations légales du passé).

Un taux incompressible d'ambiguïté est considéré comme inévitable, voire utile, par les spécialistes de la régulation sociale. Une part de n'importe quoi sera donc tolérée, à condition toutefois d'être entièrement prise en charge par l'industrie de l'audiovisuel et du divertissement et d'être dûment étiquetée : « marchandise » ou « merde en pot».
Le marché du roman est laissé libre ; la tendance à la médiocrité qui le caractérise est le meilleur gage de l'évolution du genre vers le récit de vie cucul la praline et le roman de gare inoffensif, avant sa complète extinction.

            Publication contrôlée par la Commission de l'Univocité.
               Contenu validé par sondage d'opinion selon le critère d'indifférence
               (91,87 % d'indifférents).


(1) Formule tenue pour suffisante (Loi du 29 février 2012 visant à la promotion des processus sans sujet et à la passivation des énoncés).


Lundi 25 septembre 2006 à 18:41

Je suis un souvenir. Je ne suis plus qu'un souvenir. Il y a longtemps que j'ai perdu ma place sous la lumière du soleil, au milieu les hommes les bêtes et les chose. Je ne suis plus qu'une ombre tout au fond de ta tête : parfois comme devant un rideau, parfois derrière. Je suis là, je ne bouge pas, d'année en année plus floue, plus transparente et tu ne m'aperçois pas souvent. Je me demande même si tu cherches encore à me voir. Lorsque par hasard je croise ton regard intérieur, je ne parviens plus à savoir ce qu'il signifie. Parfois, même, j'ai peur pour moi, car je ne me reconnais pas dans cette pauvre image que tu entretiens si mal et qui balance entre l'icône et la caricature. Mes traits se défont et le grain de ma voix s'est définitivement perdu.
Je n'ai connu auprès de toi qu'un bref instant de gloire, il y a si longtemps ! Et je n'en ai retiré que le difficile privilège de végéter dans ta mémoire.  Rappelle-toi, je m'appelle Sonia ; j'ai les cheveux châtains ; depuis lors et pour toujours, je les porte courts. Tu ne sais même plus la véritable couleur de mes yeux : tu les vois gris, alors qu'ils étaient verts. Tu adorais mon sourire. Je suis tout ce qu'il te reste de Sonia.

Tu t'es bien peu soucié du sort de la Sonia de chair et d'os. Ce n'est plus ton histoire, ni la sienne d'ailleurs. Et dans le territoire étriqué que tu hantes, quelle importance ?
Souviens-toi, je marchais sur le trottoir à côté de toi. J'attendais que tu me dises « je t'aime », je n'attendais que cela, tu le savais, tu m'aimais, et tu es resté silencieux.


Lundi 18 septembre 2006 à 22:05

- Moi, je vois le monde tel qu'il est.
- Certainement pas ! La seule chose que tu puisses dire, c'est que tu vois le monde comme tu le vois. Il y a donc encore de l'espoir.


Dimanche 17 septembre 2006 à 16:31

Je vous écris du futur (oh ! quelques années seulement), pour vous faire part d'une avancée technologique extraordinaire : la télépathie.
LA TELEPATHIE, ENFIN !
Pour quelques euros, vous vous faites implanter sans douleur une puce microscopique dans le cerveau et hop ! vous entrez en communication directe avec l'âme de n'importe qui, sur cette planète et même au-delà (je vous écris du futur).
C'est génial !
Enfin, ce serait génial… s'il n'y avait pas la pub !
Je pense tendrement à ma voisine, elle pense tendrement à moi, nos pensées s'apprêtent à former un délicieux entrelacs et… pouf ! « Rabais exceptionnels sur tous les DVD ! Une seule adresse : Xzwchnnk ! »
Je suis en retard, le bus s'arrête cinquante mètres devant moi ; je cours et me concentre sur le chauffeur pour le supplier de patienter, mais tout ce qui vient, c'est : « En attente des données provenant de api.gestionpubpointcom… » Le portes du bus se referment, je cours comme un dératé : « En attente des données provenant de api.gestionpubpointcom… » Il démarre et je reste seul à l'arrêt : « Le délai de connexion avec api.gestionpubpointcom est dépassé ».
Et comme si cela ne suffisait pas, des fenêtres popup multicolores explosent sans crier gare dans les conversations les plus banales, au cœur des réflexions les plus intimes et même dans les rêves !
Bien sûr, la parade existe ; tout a été prévu. Si vous y mettez le prix, vous pouvez dédommager les annonceurs et obtenir un contrat de location garantissant une jouissance à peu près complète de votre espace intérieur, mais cela ne marche pas toujours. Cela dit, comme on n'arrête pas le progrès des avantages extraordinaires sont inclus dans la même offre : un fond musical, à choisir parmi soixante tubes à la mode, des couleurs à vous retrousser la peau du dos et même quelques odeurs plus ou moins subtiles. Le guili-guili est à l'étude.

Alors, arrêtons de râler pour tout et n'importe quoi ! Nous vivons une époque formidable.

                         Cervelle de consommateur
                      
                                                          (On distigue quelques impacts publicitaires)

Mercredi 13 septembre 2006 à 19:57

Quelqu'un a pris le calendrier de ma vie et a mélangé toutes les pages. Depuis, c'est l'enfer. Quand je m'endors, je n'ai plus aucune idée de la date à laquelle je me réveillerai le lendemain matin. De temps en temps, je me retrouve dans les endroits les plus invraisemblables, sans aucun souvenir commun avec des inconnus qui me harcèlent et se prétendent mes petits enfants ou mon vieux copain Bernard ; le lendemain je n'ai plus que dix ans, je suis tout chose dans ma chambre et j'ai la trouille, car je sais que, ce jour-là, justement, je vais me prendre la fessée de ma vie. Et la fois où je me suis retrouvé devant la porte du dentiste, à ne pas oser sonner, avec une joue en ballon de football ! Quand ça remonte dans le passé, je m'en tire à peu près, quoique ma mémoire me trahisse parfois. Mais quand je me retrouve propulsé n'importe quand dans l'avenir, c'est tout simplement l'horreur. Alzheimer, c'est peut-être simplement ça : des pauvres diables qui atterrissent au hasard de leurs jours, incapables de savoir ce qui s'est passé la veille, puisqu'ils ne l'ont même pas vécue, au milieu de fantômes méconnaissables parce qu'on n'a pas pu les voir changer. Bref, je ne sais plus ce que c'est que le présent, je ne sais plus ce que c'est que la vie.
Bien sûr vous allez me dire : « Tu as de la chance de revenir en arrière, tu peux bidouiller l'histoire, te fabriquer un avenir aux petits oignons ». Eh bien non ! Ca ne marche pas du tout. Le passé doit toujours être reproduit à l'identique : on n'échappe pas à son destin. Il n'y a que dans la tête que tout est bouleversé. J'ai bien essayé, une fois, d'ouvrir l'armoire à secrets de famille dans le bureau de mon père : impossible, l'armoire n'était qu'un bloc de bois. J'ai bien essayé de tourner à droite avec mon vélo le jour où une voiture m'avait renversé parce que j'étais tourné à gauche. Eh bien, non seulement je n'ai pas échappé à la voiture, mais encore, juste avant je me suis éclaté la figure contre un mur invisible.

J'attends avec angoisse le jour, demain peut-être, où le hasard me fera tomber… sur la dernière feuille du calendrier !


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