Lundi 22 décembre 2008 à 10:28


Quelques phrases traînant, incertaines, comme un reste de fumée dans l’air quand le fumeur est parti et qu’il ne reste plus de lui que cela.
Trois ou quatre filaments de brume sur les champs endormis, qu’on traverse en marchant et qu’on respire au passage. Vagues odeurs éveilleuses de pensées oubliées.
Je marche, je dis je, je crois savoir où je vais. Je veux.
Mais à chacun de mes pas, une phrase s’éveille, un souvenir revient, l’impensé se révèle, l’invécu appelle autres possibles. Et je ne sais plus où je suis, ni ce qui compte, si c’est folie ou bien raison.

Là où mes pas me conduisent, est-ce bien là que je pensais aller ?

Vendredi 21 novembre 2008 à 17:27


Parmi les nouveautés importante de la v3, j’apprécie la fin des illusions à propos du nombre des visites quotidiennes.
En effet, depuis la grande migration, ce blog ne compte guère plus d’une dizaine de visiteurs par jour, souvent moins, et c'est très bien. A cette échelle, un visiteur n'est en aucun cas une unité statistique, mais une personne et, probablement, neuf fois sur dix, une personne connue et reconnue, donc un(e) ami(e).
Fini le fantasme de l’ouverture à l’univers entier, l’illusion d’avoir un public ! Les vanités journalistique ou littéraire n’ont plus cours. C’est à des proches que je m’adresse, à vous, donc, puisqu’on ne parle pas à ses proches en disant « ils ».
J’en tire les conséquences : insister beaucoup plus sur l’échange, rendre plus explicites mes préoccupations et mes espérances, resserrer le propos sur l’essentiel.

L’essentiel, pour moi, c’est d’abord ceci :
Personne ne choisit de venir au monde. On est là, ça ne se discute pas, et quand on atteint l’âge d’en prendre conscience, on constate, c’est tout. On peut rester indéfiniment dans cet état d’esprit et subir la vie parce que tout le monde le fait, parce ça passe pour une obligation, mais on peut aussi faire autrement, tout reprendre à zéro et ne pas faire un pas de plus avant d’avoir clairement choisi : j’accepte ou je refuse. A partir de là, si je suis encore vivant, c’est bien que la vie bien que la vie est devenue un choix, libre et assumé.
L'humanité se laisse donc diviser en deux groupes bien distincts : ceux qui subissent la vie et ceux qui l’assument pleinement parce qu’ils en ont fait le choix. Ou trois groupes peut-être, si l’on tient compte de tous ceux qui, sans avoir encore vraiment choisi, expriment déjà clairement leur refus de subir.
Cela dit, un choix aussi radical dépend d’une condition préalable : on ne peut opter pour la vie sans s’être accordé de solides raisons d’être et de durer.
Où trouve-t-on cela ?
Je ne pense pas que les raisons de vivre nous attendent, toute faite, prête à l’usage, dans le monde tel est. C’est en soi-même qu’il faut les chercher et de manière assez paradoxale.
En effet, c’est quand nous devenons capable d’exiger plus de la vie que ce qu’elle peut nous offrir, de formuler une attente dépassant ce qui peut être obtenu, c’est quand nous accordons plus d’importance à cette attente qu’aux moyens que la vie nous offre pour y satisfaire, que nous commençons à comprendre à quoi peut ressembler une raison d’être. Et c'est toujours et forcément une raison de lutter.

Il m’arrive de percevoir des éclats de beauté extraordinaires dans le monde qui m’environne, mais je les entrevois seulement et souvent après coup, sur une photo que j’ai prise. En même temps, je vois que cette beauté est fragile et menacée. C’est toujours d’un océan de laideur qu’on doit l’extraire. En plus, les gens, le plus souvent, ne l’aperçoivent même pas, sous leurs yeux. N’empêche, ça donne envie de se battre pour elle. Voilà ce que j’appelle une raison d’être.

Il m’arrive d’avoir une intuition, une idée qui se forme alors que je ne la soupçonnais pas, qui me paraît vraie. Et aussitôt je me rend compte que toutes les idées vraies, toutes les pensées lucides, il faut les extraire d’une montagne de bêtise. Les discours humains sont comme les rivières et les fleuves : ils suivent la pente de la facilité, de la lâcheté, de la compromission. Cela me donne envie de me battre contre la bêtise et pour l’intelligence, démonter les supercheries, signaler les pièges et les désamorcer. Voilà une autre raison d’être.

Il m’arrive de croiser un regard humain, mais qu’il me semble rare et incertain parmi tous ces visages morts, qui n’expriment plus que le dégoût, la peur, la conscience de l’échec ! Et là, serais-je à la limite de l’épuisement, je me dis que je ne peux pas être comme cela, ni donner à voir aux autres une telle apparence. Partout, toujours, je dois rester vivant, soutenir ceux qui vivent encore et dire partout à qui voudra bien l’entendre : ne laissez pas filer votre humanité ! Encore une raison d’être.

Il m’arrive d’être profondément ému par quelques sons, par quelques mots, par quelques images venant souvent de très loin, qui n’ont pas été pensés pour moi et qui ne correspondent plus à notre époque. Des mots de poètes, de philosophes, d’écrivains, de subtils édifices sonores, des tableaux, des sculptures souvent mutilées. Mais ces fragments, c’est comme s’il fallait les récupérer au milieu des poubelles, ou dans les caniveaux, délaissés qu’ils sont par les écoles, ou négligés par tous ceux qui ne parviennent plus à en concevoir l’usage. Cela me donne envie de les donner à voir et d’en parler. Ô combien ! Ce n’est pas la moindre de mes raisons d’être.

Au fond, j’en conviens, toutes ces raisons d’être que je reconnais pour miennes définissent un personnage un peu pathétique : témoin marginal de ce qu’on parvient plus à voir, dépositaire pittoresque d’un héritage dont plus personne ne se soucie. Qu’importe !

Et puis, par bonheur, il y a mille autres façons de se construire, plus héroïques, plus exaltantes, plus évidemment altruistes. A chacun de trouver la sienne !


Vendredi 14 novembre 2008 à 0:37



Le temps passe, jusqu’au jour où l’on se sent comme au bord d’un gouffre. On se demande alors pourquoi on a tellement couru, en se posant si peu de questions.
Un homme, qui en était justement arrivé là, se tourna vers M. Brume et lui demanda tout de go :
« Vous sauriez me dire, vous, ce qui compte vraiment ? »
Brume réfléchit un moment puis hasarda une réponse :
«Le sens.
«Et d'abord l’attention portée à la beauté du monde, qui niche dans notre amour de la vie bien plus que dans le monde lui-même. Ainsi, un arbre fragile entre deux murs de béton gris, un visage humain, le ciel changeant, l’obscurité glaciale d’une nuit d’hiver, tout cela peut être magnifique. Voilà pour le présent.
« Ensuite, le souci de ne jamais se laisser abuser par l’évidence des institutions, la puissance de la technique, les impératifs de l’économie, le grand spectacle que le système se donne à lui-même. Tout cela n’est qu’habillage et seule compte la vie des hommes, acteurs d’une très courte aventure personnelle au coeur d’une histoire collective qui les dépasse prodigieusement. Libres de vivre notre vie, de chercher notre bonheur à notre guise, mais responsables aussi devant l’espèce humaine, de partager les ressources finies d’un monde fini avec tous ceux qui ne sont pas encore nés et qui hériteront de nous. Voilà pour le futur.
« Enfin, l’effort de garder en mémoire ces textes inutiles, ces langues mortes, ces mythes, ces récits, sans lesquels nous ne saurions plus d’où nous venons, ni d’où nous viennent ces mots que nous prononçons, ces symboles par lesquels nous déchiffrons le monde, ni même ces paysages qui sont les nôtres. On ne peut pas oublier que l’humanité s’est déclinée sous les formes de vie les plus diverses, aussi dignes et légitimes les unes que les autres, que toute civilisation, y compris la nôtre, est destinée à périr, et enfin que rien ne nous  force à suivre aveuglement toujours le même chemin. »

Mardi 4 novembre 2008 à 11:57


On ne s’arrête pas ! On continue ! On continue ! On avance !
Ça pousse de tous les côtés, ça tire aussi. On gicle dans tous les sens. On se prend des coups dans les tibias. Pas moyen de se mettre sur le bord pour respirer un peu. Les semaines bousculent les jours ; les heures compriment les minutes, les secondes explosent. Il faut parer au plus pressé et le reste après, s'il reste un après. 
Alors, ne va pas dire que tu t’ennuies, ne va pas dire que tu ne sais pas  quoi choisir. De toute manière, ça choisit pour toi.
Et puis dégage ! Tu crois qu’on est là pour rêver ? Tu n’es pas tout seul. Tu gênes à traîner comme ça au beau milieu de la piste ! Le temps passe… tu veux qu’il te passe dessus, le temps, et qu’il t’écrabouille ? Sauve ta peau ! Fais comme les autres. Cours ! Mais cours, bon sang !
Quoi ? Pourquoi ? Où ça mène ? Tu veux savoir pourquoi ? Tu veux savoir où ça mène ? Pas le temps d’expliquer. Pas le temps de savoir pourquoi. Pas le temps de savoir où ça mène. Pas le temps de comprendre. C’est comme ça.


Samedi 4 octobre 2008 à 11:36


La philosophie consiste à passer toutes les données de la vie au crible de la pensée, à cause de ce besoin que nous avons de nous dire  non seulement :  
« C'est là », mais encore : « Cela a un sens ».

Car du seul constat de l'être, il ne sort rien.

Ça y est, penses-tu, tout de suite les grands mots !
Rassure-toi, ce que je veux dire maintenant, c'est vraiment simple.


Un galet, par exemple, que tu ramasses au bord de la rivière et que tu poses sur une étagère parce que tu le trouves beau, il est. Sans aucun effort de sa part. Quand tu mourras, on videra ton appartement, on balancera ton caillou n'importe où, mais ce sera toujours le même caillou. Le caillou, vraiment, il ne lui faut presque rien pour persévérer dans son être des centaines, voire des milliers d'années.
Nous, en revanche, nous sommes vivants, donc incapables de demeurer ce que nous sommes seulement quelques heures sans faire toutes sortes de choses pour cela. Pour durer, la vie nécessite un effort constant, car elle penche spontanément vers la mort.
Mais ce n'est pas tout. Nous, les humains, nous sommes encore autre chose que de simples êtres vivants. A la différence de la quasi-totalité des plantes et des animaux, nous sommes incapables de nous satisfaire des actes minimaux garantissant la conservation de l'individu et la perpétuation de l'espèce. Ce minimum, qui convient à la palourde et peut-être au lièvre des champs, il ne nous suffit pas ; irrésistiblement, nous nous portons au-delà du nécessaire. Cela nous mène à cette fabuleuse sublimation du réel qu'est l'art, à cette fabuleuse sublimation de la communication qu'est la littérature, mais aussi à aux pires excès, à des gaspillages insensée, et probablement à une extinction prématurée.
L'homme se comporte comme s'il y avait autre chose.
Il se comporte comme si tout avait un sens, parce qu'il ne conçoit pas la vie sans qu'il y en ait un. Il est pris d'un tel vertige quand il se voit jeté là qu'il se dit : il y a forcément quelque chose là-derrière, quelque chose que je dois savoir.
L'homme possède une conception paranoïaque du monde. Il s'invente des histoires, se fait un roman de tout ce qui arrive.
Car ce fichu besoin de connaître relève bien de la paranoïa: le réel cache un projet ; le réel nous concerne ; tout ce qui est, forcément, existe en fonction de nous.
Longtemps les hommes se sont perçus eux-mêmes comme des personnages privilégiés impliqués dans un projet mystérieux ; ils se sont ingéniés à comprendre ce projet et en ont tiré toutes les mythologies ; plus tard, ils ont abordé le monde comme un grand livre à déchiffrer, sans se rendre compte que, ce livre, ils l'écrivait eux-mêmes tout en croyant le lire.
Par lui-même, le réel n'a pas de sens, il n'est pas humain, il est juste complexe. Tout ce que ce monde peut comporter de sens, c'est nous qui le créons, et ce fameux projet sur lequel nous cherchons notre appui, c'est à nous qu'il appartient de le trouver.
Ce monde humain que nous croyions étendu à tout l'univers ne concerne qu'une petite planète fragile au bord de l'asphyxie dont nous risquons fort de ne jamais pouvoir sortir .


Créer du sens, à l'échelle de l'espèce comme à celle de l'individu, c'est bien la tâche la plus urgente de nos jours.

Or, curieusement (cruelle ironie de ce destin que nous nous forgeons !), cette période-ci, où des périls extrêmes nous menacent, se trouve être également la plus antiphilosophique, celle du repli sur des ersatz de sens, celle de la confortable impuissance. C'est le moment de la grande démission - prétexte à toutes les compromissions - non plus devant le cours aveugle des choses, la nécessité des Anciens, mais devant la domination, plus sournoisement aveugle encore, des systèmes que nous avons nous-mêmes créés, processus sans sujet, échappant à tout contrôle.

Pas de chance !

Et comme la lucidité n'a rien d'agréable, retournons bien vite à nos illusions, en attendant la fin.


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