Dimanche 16 décembre 2007 à 13:04


M. Brume, enfant, n'appréciait pas du tout d'être cloué au sol, alors que même les mouches peuvent voler. Cela lui paraissait parfaitement anormal. Il était si beau de batifoler dans les airs que les rampants ne pouvaient être tels que par erreur. C'était juste qu'ils n'avaient pas réussi à trouver le truc.
Cette fâcheuse tendance à coller au parquet, si contraire à nos aspirations véritables, n'était probablement qu'une mauvaise habitude et les mauvaises habitudes, répétait Mme Brume mère à journée faite, on les corrige. M. Brume, enfant, réfléchit prodigieusement et son cerveau accoucha d'une théorie très simple.
Quand on saute en l'air, on retombe, c'est vrai, mais ça prend toujours un certain temps. Alors si l'on fait vraiment très vite…
Bref! Tu lèves la jambe gauche (ou la droite, peu importe) comme pour poser le pied sur le premier barreau d'une échelle et, tout de suite, mais alors tout de suite, avant d'avoir eu le temps de retomber, tu lèves très vite la l'autre jambe au niveau du deuxième échelon. Puis, toujours à la vitesse de l'éclair, tu recommences. Si tu es suffisamment rapide, forcément, tu monteras. La théorie était des plus simples. Elle présentait juste deux points problématiques : c'est très fatigant de monter comme ça, alors comment parvient-on à rester en l'air quand on est crevé ;  mais surtout, une fois arrivé tout en haut, comment peut-on bien redescendre sans se casser la figure ?
Comme on le voit, dans sa prime jeunesse, M. Brume était nettement plus doué pour le rêve que pour la physique !
Il s'exerça longtemps, en vain. Oh, la raison de l'échec était très simple et ne mettait pas vraiment en cause sa belle théorie : il n'était jamais assez rapide pour prendre son corps de vitesse et compenser l'obstination que celui-ci manifestait à rejoindre le sol.
De guerre lasse, un beau jour, il mit un terme provisoire à ses essais et décida d'oublier sa théorie : c'était encore la meilleure manière de la tenir à l'abri d'un démenti formel.

Mais, hier, soir, aux environs de 21 heures, il s'en souvint. D'abord, il en sourit : on n'est pas sérieux quand on a cinq ans ! Mais, sur le point d'en rire tout à fait, il eut une soudaine révélation qui le laissa perplexe. D'accord, pour voler comme les oiseaux, sa théorie ne valait pas un sou. Pourtant, reléguée dans le coin le plus perdu de sa mémoire, elle n'avait jamais cessé d'opérer. Plus encore – c'était là ce qu'il venait de comprendre -  elle gouvernait sa vie. Ce n'est pas ainsi qu'on fait l'oiseau, mais c'est ainsi qu'il avait vécu, tout simplement.
On lance une idée, une parole, une espérance, comme une volute de fumée dans l'air, et juste avant qu'elle se dissipe, on s'y accroche, juste le temps d'en lancer une autre un peu plus loin : comme une fusée dans la nuit; juste avant qu'elle ne s'éteigne, on en lance une autre, c'est un pied de nez au néant. Dans un univers mental ou tout point d'appui flotte dans le vide, c'est ainsi qu'on se meut. Et si ça fait rire, tant mieux : c'est bien qu'on en rie.
Et tant pis si l'on tombe, puisque le vide est partout: Tu dis que je tombe et moi je prétends que je vole. Où est la différence ? Quant à la chute finale, vous la connaissez, et, comme Brume, j'ose l'espérer, vous vous en foutez complètement.


Samedi 8 décembre 2007 à 12:21


On lui avait appris, à Barnabé, qu'il était lui, Barnabé, de la plante des pieds jusqu'au sommet du crâne et de la pointe des fesse jusqu'au bout du nez. Ça, c'était Barnabé. Et plus loin, ce n'était plus Barnabé. Vous voyez ce que je veux dire ? Ça vous paraît assez simple à comprendre, avouez-le.

Eh bien, même ça, Barnabé, il n'avait jamais réussi à s'y faire.

« Pourquoi est-ce que je serais si petit, si moche, si tassé dans un coin : le plus gros dans le pantalon et la chemise, le reste dans les chaussettes et sous le bonnet ? Bon. Il y a de ça, mais tout de même pas seulement. » Quand Barnabé songeait, imaginait, parlait (rarement) ou simplement tentait de comprendre, son je n'avait plus du tout besoin de cette forme-là, il n'était pas forcément assigné à résidence dans cet étrange objet. Le corps, c'est tout à fait nécessaire et utile pour marcher, danser, faire le beau, cacher son jeu, etc. , mais pour tout le reste, c'est juste un point d'appui, un tabouret pour accéder à la grande fenêtre du monde. Bref, Barnabé débordait un peu des catégories ordinaires.
 

Un jour qu'il avait encore râlé en disant : « Tu me marches sur l'escalier ! Tu me fais mal à l'arbre ! Arrête de me déambuler sur le trottoir ! » sa mère en a eu marre. Elle l'a attrapé par la manche de sa chemise et traîné devant le grand miroir de la salle de bains.
« Tu vois, Barnabé… Non mais regarde, non ! pas là ! le miroir ! c'est toi, Barnabé. A l'intérieur des vêtements et sous ta tignasse – Quand iras-tu chez le coiffeur ! - c'est Barnabé. Mais à l'extérieur, ce n'est plus Barnabé. Si tu mets tes mains dans tes poches, c'est très bien. Si tu les mets dans les miennes, ça ne va plus, mais alors plus du tout. »

Un temps d'arrêt.

« Tu comprends ? »

Oui, répondait machinalement Barnabé, mais en réalité il pensait non.
Lui, Barnabé, il ne parvenait pas à voir les choses ainsi.
Dans le miroir, ce n'était pas lui, mais juste un individu opaque. Et même pas un individu : un corps. Et même pas un corps : une image.
Prendre l'image pour la chose, c'était déjà une grosse erreur ; et là-dessus, prendre une chose – à tout prendre, le corps n'est qu'une chose – pour une personne, c'était une nouvelle erreur par-dessus la première. Et grave.
Tout ça, se disait Barnabé, c'est juste une ruse, la plus perverse des ruses pour que lui, Barnabé (qui savait très bien, d'ailleurs, ne pas s'appeler Barnabé), ne parvienne jamais à la compréhension de lui-même, ni du monde par la même occasion.
L'individu Barnabé, c'est juste une invention commode de ceux qui aiment à compter les gens, à les grouper, à les classer, à les additionner, à les soustraire, à les multiplier par toutes sortes de données économiques, et à les diviser entre eux.
L'individu, ce n'est qu'une frontière pour vous isoler du monde, une coupure entre soi et soi. Barnabé ? un individu ? Et pourquoi pas un « vous, là-bas », un consommateur, un numéro de sécurité sociale, une… ressource humaine ?
Barnabé ne voulait pas que le regard des autres décide de qui il était et même de l'endroit où il se trouvait. Qu'est-ce qui l'empêchait, après avoir fait acte de présence au lycée, c'est-à-dire largué son corps sur une chaise en témoignage de son passage, de prendre son envol pour se répandre aux quatre points cardinaux de la pensée, s'accrocher au fil du langage, remodeler à sa manière la totalité du monde ?

Mais la réalité, mon pauvre Barnabé, qu'est-ce que tu fais de la réalité ?

La réalité, il ne la méconnaissait pas, Barnabé. Il savait comment la trouver. Il lui suffisait de fermer les yeux et de foncer en courant droit devant lui. En moins de temps qu'il ne faut pour le dire, la réalité se manifestait dans toute sa... réalité. Il n'en doutait pas un seul instant, de la réalité, Barnabé. Il voulait juste qu'elle demeure à sa place. Il détestait courir les yeux fermés. Il voulait les garder ouverts sur le grand escalier de l'imaginaire ou la grande architecture du langage, qui vous prenait ce putain de réel à revers, vous le faisait parler, vous l'humanisait en moins de deux, vous le rendait intelligible, émouvant, souvent sublime.
Ayant percé le mur des apparence où on voulait l'enfermer, Barnabé s'en allait tranquille sur le chemin de la vie.



Mardi 4 décembre 2007 à 17:48




Lundi 3 décembre 2007 à 9:07


Au détour d'une conversation, Monsieur Brume capta au vol une étrange réplique : « Tes paroles, disait quelqu'un à je ne sais qui, seront toujours plus solides que toi ». Paradoxale affirmation. Mais, vous l'avez peut-être déjà remarqué, si certains paradoxes sont de purs effets de style, d'autres, sans cesser de surprendre, sans rien livrer de leur mystère, sonnent étonnamment juste. C'était le cas. Brume décida donc de conserver cette étonnante proposition dans un coin de sa mémoire pour pouvoir y penser un jour et, peut-être, y voir plus clair.

Mais le lendemain déjà, il était fixé, comme si les mots eux-mêmes, pendant son sommeil, s'étaient donné… le mot. Oh oui ! de plusieurs côtés, tout à coup, ça lui parlait, et fort clairement.
A la radio, à l'heure du café matinal, un homme très savant –René Girard – lança incidemment ce constat que seuls les humains connaissent la vengeance. Affirmation qui fit sens aussitôt. La vengeance lui apparut d'un coup telle qu'elle était : cristallisation du ressentiment dans une parole, une parole née d'une offense, d'un événement ponctuel et susceptible d'être oublié si grave soit-il, mais qui, une fois prononcée, investit qui l'a énoncée, lui survit et se transmet de génération en génération, bien au-delà des limites ordinaires de l'oubli.
Les hommes d'autrefois n'avaient pas tort de se méfier des mots et de leur pouvoir.
Il se souvint aussi de ce philologue qui prétendait que les héros de l'épopée antique sont d'abord - et peut-être seulement - des noms, dont leur histoire, si riche soit-elle en épisodes divers, ne serait que l'illustration et le développement.
Et il s'avisa aussi de la sourde efficace de la parole qu'on cache, du poids écrasant des secrets de famille, du retour cauchemardesque de phrases qu'on supposait murées. Présence soudaine et torturante des morts ! Un fantôme, c'est cela, ce n'est que cela : le travail des mots dans le remords ou le deuil impossible.

Mais Brume comprit aussi une chose que l'homme de la conversation n'avait pas dite, mais qui découlait logiquement de son affirmation: Nous sommes plus faibles que nos paroles. Et c'est peu dire, pensa Brume.

La cohérence de notre organisme est toute provisoire. Le corps n'est qu'un agrégat de cellules qu'une règle tient ensemble et qu'une autre pousse à la dissolution. Ce corps que l'on voit, que l'on prend pour soi, alors qu'il n'est qu'une manifestation de soi parmi d'autres. Beau corps, belle image : moi. Mais cela, qui le dit ? Certainement pas le corps !

Et il comprit encore autre chose – décidément, cette pensée était féconde - : la parole n'est pas une simple émanation de l'individu. Par les règles qui seules peuvent lui conférer un sens, par la langue, elle est d'emblée historique et commune. On ne dit jamais n'importe quoi et, la plupart du temps, quoi qu'on dise, ce qu'on dit vraiment, on l'ignore. Les individus que nous pensons être ne sont que des relais dans la circulation d'un sens qui naît dans l'entre-deux, évolue dans l'entre-tous, et nous échappe.


Samedi 1er décembre 2007 à 12:25


Et voici les chiffres du mois de novembre

Nombre total des blogs figurant au répertoire :

30 août :              19357
30 septembre :    17859
31 octobre :         17037
  1er décembre :   16063


Le 30 novembre, par ordre d'ancienneté, la population de Cowblog se répartissait de la manière suivante :

- Blogs créés avant le 1er novembre 2006 (un an ou plus) : 3165 (19.7 %) ;
- Blogs créés entre le 1er novembre 2006 et le 30 avril 2007 (de six         mois à un an) : 3229 (20.1 %) ;
- Blogs créés entre le 1er mai et le 31 octobre 2007 : (six mois) : 7764      (48.3 %) ;
- Blogs créés depuis le 1er novembre : 1905 (11.8 %).


Gains et les pertes pendant le mois de novembre :

a) 1905 blogs nouveaux se sont ajoutés au répertoire (En réalité, il s'en est créé plus, car plusieurs ont très vite disparu.) ;
b) mais 2878 blogs créés avant le 1er novembre 2007 ont disparu de la circulation ;
c) C'est parmi les blogs créés entre le 30 avril et le 1er novembre que la diminution est la plus forte : 2163, soit 30.4 % de la population considérée (20.8 % le mois dernier pour une population comparable) ;
d) Parmi les blogs créés entre le 1er novembre 2006 et le 30 avril 2007, la diminution est de 450 unités, soit 12.2 % de la population considérée (11.6 % le mois dernier) ;
e) Parmi les blogs créés avant le 1er novembre 2006 : 265 disparus, soit 7.7 % (7.2 % le mois dernier)

Si l'on considère les choses dans la durée, les chiffres sont impressionnants.
Depuis le 31 août, en trois mois donc (en ne considérant chaque fois que les blogs ayant plus d'un mois d'existence pour ne pas avoir à tenir un bilan journalier), on constate la disparition de 9674 blogs anciens, compensée partiellement par la création de 6380 nouveaux.

Pour ceux que cela intéresse, voici la procédure que j'applique depuis le début du mois de septembre.
- Je me réfère à la liste des blogs classés par ordre de création.
- Je considère d'abord le total des blogs recensés, que je relève tous les deux ou trois jours pour repérer une éventuelle inversion de tendance.
- Je choisis les trois derniers blogs (trois pour être sûr qu'il en subsiste au moins un à la fin du mois) créés pile douze mois plus tôt et note leur rang dans la liste.
- Je fais de même pour les trois derniers blogs créés six mois plus tôt et pour les trois derniers blogs de la liste relevés à minuit le premier jour du mois.
- La différence de rangs de ces différents blogs entre le début et la fin du mois me fournit l'évolution de l'ensemble de la population considérée : blogs d'un an et plus, blogs de six mois à un an, blogs d'un mois à six mois, blogs de moins d'un mois.

Prochain bilan, le 1er janvier.


<< Page précédente | 22 | 23 | 24 | 25 | 26 | 27 | 28 | 29 | 30 | 31 | Page suivante >>

Créer un podcast