Lundi 26 novembre 2007 à 16:06


















































Dimanche 25 novembre 2007 à 18:48


Un jour, M. Brume se réveilla content. Il ignorait pourquoi, ne se trouvant à première vue aucune raison évidente de l'être.

« Il y a de l'allégresse dans l'air ce matin, se dit-il ; c'est un bonheur, et une énigme. Cherchons la solution de l'énigme, mais, pour autant, ne boudons pas notre bonheur. »

Tout s'éclaircit rapidement. Un vieux malentendu qui traînait depuis des années venait de se dissiper. Cela s'était fait à son insu dans les coulisses de son être. Hier, il ne voyait même pas le problème et, ce matin, le voilà résolu ; il en prenait tout juste conscience, que le fond de son être exprimait déjà sa gratitude. Comme quoi bien des choses nous arrivent sans qu'on ait besoin de se plier en quatre pour les obtenir.

Il s'agissait d'un malentendu pesant, bien ancré dans sa vie, qu'il subissait sans le savoir depuis des années et des années. Un malentendu touchant une personne qui lui était extrêmement proche, qui vivait dans son propre appartement, partageait son quotidien, lisait ses livres, pillait son réfrigérateur, puisait allègrement dans sa bourse, buvait son café…

Cette personne, qu'il croyait si bien connaître, n'était pas celle qu'il imaginait, mais alors pas du tout.

Depuis qu'il la fréquentait – et ça faisait longtemps - , il s'était donné d'elle une image familière, commode, qui avait dissipé toute interrogation à son sujet, une représentation précise et stable, qu'il tenait pour définitive, parce qu'elle flattait sa paresse. Mais tout cela, il venait de s'en rendre compte, sans être absolument faux, n'était pourtant pas la vérité.

Comment donc ? me direz-vous, ce pauvre Brume serait-il victime d'un imposteur vivant à ses crochets, abusé dans sa bienveillance ou, osons le dire, sa candeur ?

Non pas. Aucune escroquerie, rien que la Loi ou la morale réprouve.

Un cas de personnalité multiple, alors ? L'hôte si familier de M. Brume mènerait-il une double vie ?

Pas plus. Simplement, celui-ci n'était pas celui qu'on croyait ; plus encore, il se prenait lui-même pour un autre. Quand solennellement il retournait son index contre sa poitrine à l'occasion d'un théâtral  « Moi, je sais ! », d'un profond « Moi, je pense ! » ou d'un sévère « Moi, je veux!", il croyait se livrer, tel qu'en lui-même, franc comme l'or. Grave erreur !

Alors, Brume se tourna vers le grand miroir du vestibule, sourit et dit à son reflet : "Bas les masques ! Tu m'as bien eu, pendant toutes ces années, mais c'est terminé. Sacré moi, je vais crever ta bulle et savoir une bonne fois où je me trouve vraiment et ce que je suis. »

Ce moi auquel on s'arrête, cette construction de bric et de broc, n'était qu'un mirage : toutes les apparences d'une réalité, mais rien de vrai. Il se trouva profondément soulagé de l'avoir compris; il savait pourquoi il s'était réveillé si content et savait surtout que sa joie était fondée.

Ce visage, ce corps, où si souvent il avait cru se reconnaître; mais aussi cette réputation, cette identité sociale, ce personnage dont il prononçait les répliques, n'étaient qu'un écran de fumée. Ce que vraiment il était, c'était encore tout autre chose.
Pas question pourtant de renier ce corps, cette voix, ce moi tellement haïssable. Cette apparence, il se l'était construire, et il devrait bien s'en accommoder, mais il venait de se rendre compte qu'il avait été trop loin, qu'il s'y était laissé enfermer et qu'il y végétait prisonnier, depuis des années.

Mais cela protestait, sourdement, quelque part, jusqu'à la nausée, jusqu'à la rupture. Cette prison trop étroite, le temps était venu de s'en extraire, pour se déployer enfin et partir en quête du sujet véritable de ses paroles et de ses actes : celui qui agit, qui parle, mais ne montre point de visage, la source de son désir, son désir même.



Vendredi 23 novembre 2007 à 10:45





Ça faisait longtemps qu'on n'avait pas pu profiter d'un vrai mois de novembre !

Juste une toute petite minute de soleil, je suis allé me crotter pour vous la cueillir  :



Lundi 19 novembre 2007 à 17:48




Vendredi 16 novembre 2007 à 16:53


Barnabé a très froid aux pieds, parce qu'il est dehors et que, dehors, il fait froid. Le ciel est bouché, la bise souffle. Mais Barnabé devait absolument aller dehors, et ses pieds, il s'en fout. Il ne passe pas son temps à peser le pour et le contre. Ce n'est pas pour ses pieds qu'il est dehors, mais pour écouter. Rien que pour écouter. Pour écouter comment ça parle aujourd'hui. Parce ça parle tout le temps dehors, et presque jamais quand on est dedans, seul, enfermé entre quatre murs, un plancher et un plafond, la porte close, les rideaux baissés, dans cet air tiédasse, vaguement fétide, qui alourdit la tête. Là, ça ne parle pas. C'est mort. Tandis que dehors, malgré novembre, la bise, le ciel bouché, le jour qui ne parvient pas à se faire et cette lumière de crépuscule qui traîne jusque vers les midi, Barnabé se retrouve dans les nuages, dans les arbres, et, dans la quasi-absence des hommes, se recompose.
Il est vrai qu'ils sont rares, les passants, et pas heureux du tout de se les geler tellement. Alors pour se réchauffer un peu, parce que de se moquer, ça réchauffe, ils lui demandent, le sourire en coin : « Barnabé, pourquoi regardes-tu les nuages ? »
Et il répond : « Je ne regarde pas, j'écoute écoute, avec les yeux et pas seulement avec les yeux. Ça parle ».
Alors, les gens, rassurés, peuvent se dire : « Il est fou, ce Barnabé ! »
Mais il ne l'est pas, enfin pas comme on peut le penser.
Ce temps de novembre, c'est juste ce qui lui faut pour aérer son vague à l'âme et rafraîchir sa tristesse, à l'image de toutes ces belles choses du dehors qui portent sur elles tout à la fois la beauté et la tristesse. Il sait bien que les nuages ne parlent pas, ni les arbres, et qu'ils ne sont ni gais ni tristes. En revanche il sait que cette grosse concrétion mots agglomérés qui pèse dans sa poitrine a besoin de quelques nuages, de quelques arbres, d'une brassée de feuilles sèches pour se défaire. Barnabé, à la lumière de sa joie ou à l'ombre de son chagrin, sait aller trouver ses propres arbres et les nuages qui lui conviennent.

En écoutant la Sonate no 3 pour piano et violon, op. 108
de Johannes Brahms
Par Johanna Martzy
Enregistrement du
22.10.1953



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