Mardi 19 septembre 2006 à 23:44

Vous aimez les textes un peu glauques ? Voici justement une petite histoire de vampires, qui nous vient de l'Antiquité romaine (pourquoi pas ?).
Son auteur : Apulée de Madaure (près d'Annaba, en Algérie). Il a vécu au 2e siècle de notre ère et sa prose n'a (presque) pas vieilli.

Je vous livre ce bref récit en 6 épisodes, au fil de la traduction. (Métamorphoses, livre I, 5 – 19)
Les événements se déroulent en Grèce. Le narrateur s'adresse à ses compagnons de voyage.

1. Un SDF

Avant toute chose, je jure à la face du soleil, au-dessus de vous, le dieu qui voit tout, que j'ai bien vécu les faits que je vais rapporter. Si jamais vous avez des doutes, ils seront balayés si vous allez voir dans la ville de Thessalie la plus proche : on ne parle que de ça, ces événements sont devenus une affaire publique.
Mais d'abord, je me présente : Aristomène, d'Egium. Je vis du commerce du miel, du fromage et de quelques denrées du même style que je vends aux aubergistes, un peu partout par la Thessalie, l'Etolie et la Béotie.
J'avais appris qu'à Hypata, la ville la plus importante de Thessalie, on allait vendre un lot de fromages frais, goûteux, et pas chers. J'y ai foncé pour tout acheter, mais, comme c'est souvent le cas, je m'étais levé du pied gauche ce jour-là et mes espoirs de gain sont tombés à l'eau. Lupus, le grossiste, avait tout raflé la veille.
J'en avais jusque-là d'avoir voyagé si vite pour des prunes que, le soir venu, je suis allé aux bains.
Et là, je tombe sur Socrate, un copain. Il était assis par terre, à moitié habillé d'un manteau déchiré, presque méconnaissable tant il était pâle, défiguré par sa maigreur misérable, comme un de ces rebutés de la vie qui mendient aux carrefours.
J'hésitais ; il m'était tellement proche, je le connaissais si bien, mais tout de même… Finalement, je l'ai abordé :
- Oh ! mon pauvre Socrate, qu'est-ce que ça veut dire ? Quelle allure tu as ! la honte ! Chez toi on te pleure, on t'a déclaré mort, tes enfants ont été placés sous la tutelle de la province ; ta femme t'a rendu les honneurs funèbres, elle a passé ses jours à te regretter, elle a épuisé ses yeux à force de larmes ; maintenant, ses parents l'obligent à se remarier sous prétexte de remettre un peu de gaîté dans ta maison. Et toi, tu es ici, honte suprême, comme une larve, à jouer les fantômes !
- Aristomène, qu'il me dit, tu ignores tout – ça se voit ! – aux coups tordus du Destin. Il attaque sans prévenir, et je te pousse dans un sens, et ça repart dans l'autre ! 
Tout en parlant, il se voile la face de son haillon rapiécé, tant il avait honte, découvrant du même coup son ventre et tout le reste. Ce spectacle, cette misère, c'était trop. Je lui ai tendu la main, je voulais qu'il se lève.
Mais lui, restait tel qu'il était, la tête couverte :
- Laisse-moi tranquille, laisse-moi, que le Destin puisse jouir jusqu'au bout du monument qu'il s'est offert !
Je fais néanmoins en sorte qu'il me suive.
J'enlève l'une de mes deux tuniques, je l'en habille vite fait, ou plutôt je l'abrite dessous. Je l'emmène au bain illico. Et je le frotte d'huile ! Je l'essuie ! Je racle l'énorme couche de crasse qui le couvre !
Quand il a été soigneusement récuré, complètement crevé moi-même, je conduis l'homme tout ramolli jusqu'à l'auberge, le soutenant à grand peine. Je lui procure un lit pour se réchauffer, le nourris d'un repas, le réconforte d'un verre de vin et le distrais en lui racontant des histoires.


Lundi 18 septembre 2006 à 22:05

- Moi, je vois le monde tel qu'il est.
- Certainement pas ! La seule chose que tu puisses dire, c'est que tu vois le monde comme tu le vois. Il y a donc encore de l'espoir.


Dimanche 17 septembre 2006 à 16:31

Je vous écris du futur (oh ! quelques années seulement), pour vous faire part d'une avancée technologique extraordinaire : la télépathie.
LA TELEPATHIE, ENFIN !
Pour quelques euros, vous vous faites implanter sans douleur une puce microscopique dans le cerveau et hop ! vous entrez en communication directe avec l'âme de n'importe qui, sur cette planète et même au-delà (je vous écris du futur).
C'est génial !
Enfin, ce serait génial… s'il n'y avait pas la pub !
Je pense tendrement à ma voisine, elle pense tendrement à moi, nos pensées s'apprêtent à former un délicieux entrelacs et… pouf ! « Rabais exceptionnels sur tous les DVD ! Une seule adresse : Xzwchnnk ! »
Je suis en retard, le bus s'arrête cinquante mètres devant moi ; je cours et me concentre sur le chauffeur pour le supplier de patienter, mais tout ce qui vient, c'est : « En attente des données provenant de api.gestionpubpointcom… » Le portes du bus se referment, je cours comme un dératé : « En attente des données provenant de api.gestionpubpointcom… » Il démarre et je reste seul à l'arrêt : « Le délai de connexion avec api.gestionpubpointcom est dépassé ».
Et comme si cela ne suffisait pas, des fenêtres popup multicolores explosent sans crier gare dans les conversations les plus banales, au cœur des réflexions les plus intimes et même dans les rêves !
Bien sûr, la parade existe ; tout a été prévu. Si vous y mettez le prix, vous pouvez dédommager les annonceurs et obtenir un contrat de location garantissant une jouissance à peu près complète de votre espace intérieur, mais cela ne marche pas toujours. Cela dit, comme on n'arrête pas le progrès des avantages extraordinaires sont inclus dans la même offre : un fond musical, à choisir parmi soixante tubes à la mode, des couleurs à vous retrousser la peau du dos et même quelques odeurs plus ou moins subtiles. Le guili-guili est à l'étude.

Alors, arrêtons de râler pour tout et n'importe quoi ! Nous vivons une époque formidable.

                         Cervelle de consommateur
                      
                                                          (On distigue quelques impacts publicitaires)

Vendredi 15 septembre 2006 à 14:34

Tu n'es qu'un sale type, Ulysse !
Qu'est-ce qu'ils ont tous à tant t'aimer ?
Mielleux, fourbe, et lâche,
Loup, chasseur nocturne,
Tueur de bêtes malades et de proies endormies.

A cause de toi, le grand Ajax s'est tué,
Le constant, le fidèle, celui qui n'a jamais manqué,
Il valait cent fois mieux que toi,
Qui n'as jamais été digne des armes d'Achille.

A cause de toi, les Phéaciens ont disparu,
Qui se tenaient droits sans avoir jamais appris à le faire,
Noueurs de liens, grands ravaudeurs de monde.
Ce sont eux qui nous manquent aujourd'hui.
Pas toi !

Tu n'es que manque, vide, dispensateur de vide.
Tu engloutis les forces vives qui te soutiennent.
Tu as perdu tes compagnons.
Tu dévores la jeunesse d'Ithaque,
Et tu ne fais que passer !

Tu n'es qu'un sale type, Ulysse !
Laisse la place à ton fils,
Enterre ton père,
Laisse Pénélope tranquille,
Et va-t'en !


Vendredi 15 septembre 2006 à 14:31


De vers en vers et d'un pied léger, j'accomplis ce vaste parcours de quinze mille six cent quatre-vingt-huit fois six pas dansants.
Au terme, le tombeau d'Hector - ma limite - me ramène à la colère d'Achille - ma démesure - pour un nouveau voyage immobile.

Homère, beau nom, beau rideau de fumée. Qui t'écarte peut entendre la parole indéfiniment répétée de la bouche fertile à l'oreille attentive, la consigne majeure, transmise à la porte du camp de sentinelle en sentinelle:
« Mortel ! »


Un scribe stoppa ce flux d'un trait de plume et pétrifia la source.

Nous reste le poème, machine presque parfaite, palais de pierre percé de vastes fenêtres et de puits insondables, dont les miroirs de bronze me renvoient ma propre figure comme une énigme.

Bien peu aujourd'hui récurent tes pavages et huilent tes paliers, car ce temps se veut obstinément sans mémoire.
Et bientôt, sur les rayons de quelques bibliothèques ne subsistera qu'une clé de papier désormais sans serrure.




<< Page précédente | 71 | 72 | 73 | 74 | 75 | 76 | 77 | 78 | 79 | 80 | Page suivante >>

Créer un podcast