Mercredi 13 septembre 2006 à 22:42


Le Programme en quelques siècles

On supprimera la Foi
Au nom de la Lumière,
Puis on supprimera la lumière.

On supprimera l'Âme
Au nom de la Raison,
Puis on supprimera la raison.

On supprimera la Charité
Au nom de la Justice,
Puis on supprimera la justice.

On supprimera l'Amour
Au nom de la Fraternité,
Puis on supprimera la fraternité.

On supprimera l'Esprit de Vérité
Au nom de l'Esprit critique,
Puis on supprimera l'esprit critique.

On supprimera le Sens du Mot
Au nom du Sens des mots,
Puis on supprimera le sens des mots.

On supprimera le Sublime
Au nom de l'Art,
Puis on supprimera l'art.

On supprimera les Ecrits,
Au nom des Commentaires,
Puis on suprimera les commentaires.

On supprimera le Saint
Au nom du Génie,
Puis on supprimera le génie.

On supprimera le Prophète
Au nom du Poète,
Puis on supprimera le poète.

On supprimera l'Esprit
Au nom de la Matière,
Puis on supprimera la matière.

AU NOM DE RIEN ON SUPPRIMERA L'HOMME,
ON SUPPRIMERA LE NOM DE L'HOMME ;
IL N'Y AURA PLUS DE NOM.
NOUS Y SOMMES.

Armand Robin (1912 – 1961)


Mercredi 13 septembre 2006 à 19:57

Quelqu'un a pris le calendrier de ma vie et a mélangé toutes les pages. Depuis, c'est l'enfer. Quand je m'endors, je n'ai plus aucune idée de la date à laquelle je me réveillerai le lendemain matin. De temps en temps, je me retrouve dans les endroits les plus invraisemblables, sans aucun souvenir commun avec des inconnus qui me harcèlent et se prétendent mes petits enfants ou mon vieux copain Bernard ; le lendemain je n'ai plus que dix ans, je suis tout chose dans ma chambre et j'ai la trouille, car je sais que, ce jour-là, justement, je vais me prendre la fessée de ma vie. Et la fois où je me suis retrouvé devant la porte du dentiste, à ne pas oser sonner, avec une joue en ballon de football ! Quand ça remonte dans le passé, je m'en tire à peu près, quoique ma mémoire me trahisse parfois. Mais quand je me retrouve propulsé n'importe quand dans l'avenir, c'est tout simplement l'horreur. Alzheimer, c'est peut-être simplement ça : des pauvres diables qui atterrissent au hasard de leurs jours, incapables de savoir ce qui s'est passé la veille, puisqu'ils ne l'ont même pas vécue, au milieu de fantômes méconnaissables parce qu'on n'a pas pu les voir changer. Bref, je ne sais plus ce que c'est que le présent, je ne sais plus ce que c'est que la vie.
Bien sûr vous allez me dire : « Tu as de la chance de revenir en arrière, tu peux bidouiller l'histoire, te fabriquer un avenir aux petits oignons ». Eh bien non ! Ca ne marche pas du tout. Le passé doit toujours être reproduit à l'identique : on n'échappe pas à son destin. Il n'y a que dans la tête que tout est bouleversé. J'ai bien essayé, une fois, d'ouvrir l'armoire à secrets de famille dans le bureau de mon père : impossible, l'armoire n'était qu'un bloc de bois. J'ai bien essayé de tourner à droite avec mon vélo le jour où une voiture m'avait renversé parce que j'étais tourné à gauche. Eh bien, non seulement je n'ai pas échappé à la voiture, mais encore, juste avant je me suis éclaté la figure contre un mur invisible.

J'attends avec angoisse le jour, demain peut-être, où le hasard me fera tomber… sur la dernière feuille du calendrier !


Mercredi 13 septembre 2006 à 19:51

Ici, dans un sens, je ne parle pas de moi.

Je ne dis pas ce que je fais le matin, l'après-midi, le soir ; je ne me mets pas en scène dans l'espace et dans le temps. C'est que pour moi comme pour vous, cela n'a aucune importance, aucun intérêt.
Passé l'âge des choix dramatiques, une fois qu'on a appris à maîtriser un peu ses émotions, on ne se voit plus comme le héros d'un roman ou d'une bande dessinée. Le personnage que l'on est perd de son intérêt ou paraît même un peu ridicule. Ce qui compte, en revanche, c'est ce qui a fini par emplir et, dans une certaine mesure, structurer le monde intérieur ; c'est ce qu'on a reçu et qu'on n'a pas le droit de garder pour soi. C'est pourquoi, ici, on trouvera très peu de « vécu », mais beaucoup de pensées tâtonnantes, quelques bizarreries, et surtout des citations, des textes, des poèmes, qui sont autant de signes, de poteaux indicateurs invitant aller voir plus loin.
En écrivant ainsi, je fais ce qu'il y a de plus « authentique » à mes yeux. C'est ce qui me définit le mieux, c'est ce que je suis.

Ici, en fin de compte, je ne parle que de moi.




Mardi 12 septembre 2006 à 7:14

        matin matin
        matin scellé de cristal et de larves
        matin de pain cuit
        matin de vantaux en folie
        matin gardien d'écurie
        matin d'écureuils et de polisseurs de vitres fraîches à la
            rivière

        matin qui sent bon
        haleine attachée aux stries de l'iris

                                                        Tristan Tzara

                                                         L'Homme approximatif

Lundi 11 septembre 2006 à 22:15

Si vous dites qu'on ne peut vivre sans manger, sans boire, ou sans amour, vous énoncez une évidence que personne ne peut contester. Si vous affirmez que la musique vous est nécessaire, on vous comprend aisément : tout le monde sait à peu près en quoi consiste l'expérience musicale, même si certains s'en affranchissent complètement.
En revanche, si vous affirmez, candide, que la lecture est vitale pour vous, sans compter l'écriture, vous entrez dans le domaine des affirmations paradoxales et on vous soupçonne aussitôt des tares les plus inavouables :
 « Vous ne seriez pas prof, par hasard ? Vous avez donc si peur de vous frotter au monde réel ? Vous ne travaillez donc pas ? »

Pire encore, on vous soupçonne de vouloir faire l'intéressant, d'afficher votre particularisme par pur snobisme, par pur mépris des autres.
En effet, tout semble prouver le contraire aujourd'hui : on peut être diplômé de l'Université, bien installé dans la vie, fabuleusement riche, ou mieux président d'un très grand pays sans avoir jamais ouvert un livre.
Bref, si vous affirmez que la lecture et l'écriture sont pour vous comme une respiration, vous risquerez fort de passer pour un excentrique.
Quel chemin parcouru en deux ou trois générations ! Dans la belle ville de Piogre où je passai mon enfance et mon adolescence, tout candidat à des études secondaires standard était assujetti au latin et l'on ne sortait pas du bahut sans avoir mordillé un peu partout le grand fromage de la littérature, sans avoir appris à tenir honnêtement la plume. Un festival d'activités austères, souvent ennuyeuses (ne me prenez pas pour un nostalgique), mais, surtout, absolument, délibérément, triomphalement I-NU-TI-LE S au regard les critères actuels.
Aujourd'hui, les études secondaires ont perdu leur caractère généraliste et, surtout, leur ancrage dans la littérature. De ce fait, la lecture n'est plus perçue comme une activité formatrice de base, mais avant tout comme un loisir, un moyen assez rébarbatif de se distraire, largement supplanté par le film ou le DVD. (Au Luna Park, on apprécie les chevaux de bois, mais c'est sur le train de la mort qu'on s'éclate. )

Or, l'écriture et la lecture sont indissociables. Les mots qui viennent sous la plume ne surgissent pas du néant ; il ne naissent pas en nous ; pour qu'ils intègrent notre propre substance, il faut d'abord qu'ils nous parviennent du dehors; ce qui nous est propre, c'est seulement l'élan qui les mobilise. Les mots et, plus que les mots, les liens qui les unissent, ne nous sont disponibles que parce qu'ils circulent en permanence entre nous. Et le circuit le plus fécond en matière de langage, le plus exigeant, c'est la littérature.
L'inspiration est la conjonction du désir inconscient et du flux de mots, de phrases, de représentations qui passe par nous.
Les blogs sont une extraordinaire manifestation du désir de s'exprimer et en particulier d'écrire ; ils illustrent bien la vocation première de toute écriture qui est le déchiffrement de l'expérience humaine et du monde ; pourtant ils gagneraient à être reliés plus étroitement au grand flux de la littérature, ce qui suppose une fréquentation assidue, intime de nos écrivains et de nos poètes.
J'y reviendrai.


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