Vendredi 7 septembre 2007 à 19:39



Cet après-midi, j'ai acheté un livre*. Il commence par ces mots :


« Lire, c'est laisser rêver un texte. Des images insolites, des thèmes insistants alors émergent dont on ne saura jamais à qui ils appartiennent vraiment, à l'auteur ou au lecteur. Peu importe, puisque l'on est devenu le sujet du rêve. »

Il me faudra du temps pour épuiser le sens de ces trois phrases. Si le reste de l'ouvrage tient la promesse de cet éblouissant début, les deux jours qui viennent seront à marquer d'une pierre blanche.
Je vous tiens au courant.

*Max Dorra, La Syncope de Champollion, Connaissance de l'inconscient, Gallimard

Mardi 19 juin 2007 à 23:36



Je viens de lire un bel article ; il y est question du rossignol. Et, sous mes yeux, j'ai la Sylvie de Gérard de Nerval, que je reprends si souvent, tellement je l'aime. Le lien se fait tout seul : ces trente pages légères, douloureuses et tendres ont exactement la légèreté, la douleur et la tendresse du chant du rossignol.

Sylvie,
de Gérard de Nerval.
Ne manquez pas ce frêle roman.
Et merci à toi, pour le rossignol et pour l'idée.


Dimanche 17 juin 2007 à 22:47


Vers après vers, ligne après ligne, on suit le cours du poème ; sa chanson roule dans la tête; on y fait attention tant qu'on peut; elle danse, légère, tire sa révérence et verse dans l'oubli pour faire place à la suivante. Ainsi va la lecture, jusqu'à cet instant, rare et intensément attendu, où trois mots, deux phrases, une strophe désignent au regard une vérité présente depuis toujours qu'on n'avait su percevoir. Dans un éclair de pure magie, un réseau de lignes s'établit qui rend soudain visible la forme sous-jacente. Les mots s'emparent de l'âme comme la vie même.
Rare, très rare expérience, qui justifie la lecture de centaines et de centaines de pages.
Quand elle survient, vous savez que ces mots qui vous brûlent ont été écrits pour vous, et qu'ils vous attendaient. Ils entrent en vous comme ils pourraient jaillir de vous, si vraiment vous étiez poète.
     « Les mots qui vont surgir savent de nous ce que nous ignorons d'eux. »
                                                          René Char, Chants de la Balandrane


Lundi 28 mai 2007 à 20:08



Chaque jour me porte un peu au-delà de ce que j'imaginais au départ. Je croyais pourvoir me contenter de bavarder aimablement et faire coucou sur la toile. Et maintenant, me voilà engagé, coincé, forcé d'aller plus loin, encore plus loin.

Plus cela va, plus j'ai le sentiment de l'urgence, et moins cela me semble facile. Cela se presse dans mon dos, je me sens bousculé par un flot d'idées : qui me crient : « Et moi encore ! et moi ! » Je ne devrais pas me plaindre ; mais, tout compte fait, ce n'est pas vraiment de la jubilation ; cela ne me flatte pas tellement. Ce fichu blog m'a conduit à mettre au jour bien des choses qui auraient pu attendre indéfiniment… Un peu naïfs, vous pensez que dans mon coin, bien sagement, j'écris mes articles. Eh bien non, je ne les écris pas. J'ai plutôt l'impression qu'ils s'évadent du souterrain ou ils erraient, forcent la paroi de mon crâne et s'échappent par l'extrémité de mes doigts.
A tout moment, je suis requis devant mon clavier pour noter, comme un secrétaire. « Attends, tu allais m'oublier ! » dit l'idée qui se presse au portillon.

C'est tout à fait sérieux, ces histoires de langage ; la littérature crève sous nos yeux et ceux qui devraient le moins s'en foutre s'en foutent justement parce que ce n'est que de la littérature. « Littérature », un mot suspect, un grand mot qui sent l'élite à plein nez. Un mot paravent qui finit par cacher cela même qu'il est censé désigner. Un mot qui fait fuir ceux-là même qui devraient y trouver leur appui.

Il n'est pas obscène en effet de dire que la vie est indissociable de la littérature, parce que la littérature est ce que la vie a de mieux pour se dire. Elle est le procès-verbal de la condition humaine, et le seul probablement. C'est une illusion de croire qu'il suffit de prendre la vie comme elle vient. Une vie humaine n'est possible qu'à ceux qui savent qu'ils vivent, qui sont capables de penser cette vie et de lui donner un sens. Et cela passe forcément par les mots, ceux de la littérature. On peut vivre, ignorant du fait même de sa propre vie, en suivant la pente, le mouvement des autres, l'air du temps, de la naissance à la mort. Mais vous vous contenteriez de cela, vous ?

Qu'est-ce que vous voulez, je suis compliqué, moi. J'ai besoin des traces écrites, de tous les : « Il n'y a pas que cela… », « Cherchons autre chose … », « Allons au-delà ! »,  « Pensons autrement ! ».  J'ai besoin de tous ces témoignages accumulés, de ces interrogations, ces cris, qui me disent que je ne suis pas seul sur mon chemin et que d'autres ont buté sur ces questions qu'à mon tour je rencontre. Je ne suis pas sage au point de pouvoir m'asseoir dans un coin, les jambes croisées sous moi (ce qui fait horriblement mal) et trouver tout seul le sens de la vie. J'ai besoin de m'appuyer sur tous ceux qui ont laissé une trace de leur passage ; ce sont eux qui m'aident à trouver ma route : « Ainsi est la vie des hommes, mais dis-toi toujours qu'elle pourrait être autre ; ainsi apparaissent les choses, mais cherche encore, car leur sens est inépuisable ».

Alors, s'il est encore temps, arrachons au plus vite quelques lambeaux de littérature aux griffes de ceux qui l'étouffent ou la bradent ; reprenons-la aux cuistres qui veulent la tirer hors du monde, sauvons-la des commerçants qui veulent nous persuader qu'elle doit se plier aux données du marketing, répondre aux attentes du public, être plaisante et se cantonner au « créneau porteur » de la distraction et du loisir.
Il faut apprivoiser les textes austères qui se dérobent et que nous sommes portés à  délaisser avant qu'ils aient fait entendre leur voix inimitable ; il faut apprendre à distinguer une écriture vraie de la bouillie pour les chats, des romans putassiers et racoleurs.

Mais surtout, la littérature, pour qu'elle vive, il faut la continuer et ce n'est pas seulement la tâche des écrivains consacrés. Il nous faut reconquérir un art d'écrire qui se perd, le dégager des marécages de la communication, de la langue de bois, du bourrage de crâne. Où apprend-on à écrire aujourd'hui ?
Chaque jour, sur les blogs, j'en vois aux prises avec eux-mêmes, alternant plaisir et douleur d'écrire, espoir et frustration. Soucieux de se trouver un langage. Je leur dis : Courage !
Certains, après s'être beaucoup fatigués, retomberont sur le versant d'où ils viennent, sécheront leurs larmes et passeront à autre chose, mais à coup sûr d'autres franchiront le pas.
Vous qui vous battez avec les mots, qui tentez de donner forme aux pensées indomptées et parfois mordantes qui se présentent à vous, persévérez. Cette pression anarchique, c'est la littérature de demain qui tente de percer et, qui sait, peut-être serez-vous de ceux qui la feront éclore.

                                Cet article, j'aimerais le dédier à ...  elle.



Mardi 22 mai 2007 à 20:13



J'ai un peu perdu le fil de mon écriture ces temps-ci, alors je me rattrape avec quelques photos.

C'est assez bizarre pour moi, la photo. Avant de créer ce blog, je n'en faisais qu'un tout petit peu, comme tout le monde : photos de famille et souvenirs de voyage. Autant dire que pour la technique je suis parfaitement nul. Mais j'ai un bon appareil. Si « mes » photos vous plaisent, pensez à lui, car c'est lui qui fait presque tout le travail.
Quand j'ai commencé ce blog, je me suis très vite rendu compte que je ne pouvais me borner à aligner des textes les uns après les autres, alors je me suis un peu forcé. Et là, il s'est passé quelque chose : une découverte à laquelle je ne m'attendais pas du tout. Je croyais avoir en main un simple capteur de lumière, un enregistreur de réalité ; et j'ai découvert un instrument capable de métamorphoser le regard, un œil intentionnel et désirant. La photo est devenue bien plus qu'une image : le support d'une émotion rendue perceptible par la stimulation du regard.
A la surface des choses le regard photographique relève des signes, mais ces signes renvoient à une expérience intime; c'est vers le monde intérieur qu'est tourné l'objectif du photographe.
Je ne sais pas très bien comment dire cela, mais je distingue nettement deux états du regard. Le premier enregistre passivement les caractéristiques de l'espace environnant, il nous évite de tomber dans les trous, de nous cogner aux arbre, de nous faire renverser par les voitures. Le second, mû par une certaine excitation intérieure, est continuellement en quête de correspondances, de solidarités entre le dedans et le dehors, par lesquelles ce monde où nous sommes devient profondément, intensément, notre monde.
Quand je me promène, pas trop vite, sur mon vélo, je laisse flotter mon désir et je me rend disponible à tout ce qui peut faire signe. Je fais semblant de rien, mais je demeure attentif, et presque toujours quelque chose finit par m'accrocher : un parterre de fleurs, un nuage, une flaque d'eau, un jeu de couleurs, un arbre. Je m'arrête.  Effectivement, je découvre là comme le miroir d'une émotion. Je capture le reflet, calmement.
Ensuite, en retrouvant la photo sur mon écran, je revis l'émotion originelle, et je peux tenter de la comprendre.
Pas besoin de réfléchir longtemps pour se rendre compte qu'il y a un rapport étroit entre cet état du regard et l'écriture. Sur le même chemin, l'écriture prend le relais du regard désirant et pousse plus loin le voyage. La photographie recueille des signes ; l'écriture recompose le monde. Mais leur référent essentiel à toutes deux, ce sur quoi elles reposent et ce qu'elle disent en fin de compte, c'est quelque chose que nous cherchons au fond de nous.

Bon, c'est très bien tout ça. Je suis très content que vous aimiez mes photos, mais n'exagérons pas : elles sont peu audacieuses et très conventionnelles. Je me sens nettement plus à l'aise avec les mots.
Et puis, je serais tout de même vexé si l'illustration finissait par éclipser le texte !


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