Mardi 31 octobre 2006 à 23:06


Ces apparitions commençaient à me troubler, d'autant plus que je semblais être le seul à les remarquer ou, du moins, à les trouver bizarres. Elles continuaient. Je savais qu'ils étaient plusieurs, au moins trois, peut-être plus. Le même costume, la même taille, la même démarche, et surtout le même visage vague, inexpressif, hors du réel. Je ne pouvais pas sortir de chez moi sans tomber sur l'un de ces personnages. Il fallait que je fasse quelque chose.

J'ai décidé d'en arrêter un et de lui demander qui il était et ce qu'il faisait là. Pour moi, ce n'était pas si facile: je suis plutôt timide. Je n'ai pas attendu longemps. J'en aperçois un, je l'aborde : « Excusez-moi, Monsieur… » Il s'immobilise un instant, tourne la tête vers moi, sans dire un mot. Je vois ses yeux bleus qui flottent dans le vide. Soudain il accroche mon regard, fronce légèrement les sourcils, esquisse un petit sourire, et reprend son chemin. J'avais l'air malin en lui courant après et en criant : « Monsieur ! Monsieur ! ». Les passants me regardaient. Oui, c'était moi qu'ils regardaient, étonnés.


Lundi 30 octobre 2006 à 22:37


Finalement, le stage prévu n'a pas eu lieu. J'avais encore une journée devant moi et il faisait toujours beau. J'avais donné rendez-vous à une copine. Nous voulions boire un verre avant d'aller au cinéma. En entrant dans le café, j'ai revu l'homme : il était assis à une table tout au fond, il regardait droit devant lui. Il n'y avait aucune consommation sur la table. Mais je l'ai vu aussi sur le trottoir, une fraction de seconde. J'ai compris alors : ils étaient deux. Et le voilà qui revient ; il passe devant la vitre, je dis à ma copine : « Tu vois ce type derrière la vitre ? » Elle me demande : « Lequel ? » Il est vrai qu'il passait beaucoup de monde sur le trottoir… « Le type en noir, avec un chapeau… Retourne-toi discrètement, il y a le même assis à la table du fond…» Elle se retourne : « Il n'y a personne à la table du fond ».

Lundi 30 octobre 2006 à 9:33


J'aurais donc oublié l'incident si, le lendemain, au moment de traverser la ville en quête de quelque papier insignifiant et pourtant nécessaire à mon nouveau stage, je n'avais revu cet homme. J'allais arriver sur le quai du métro, la rame était déjà là. Trop tard pour moi. Le coup de klaxon habituel retentit, les portes vont se fermer, et je l'aperçois qui monte, sans se presser. La rame s'éclipse, je reste seul sur le quai. La rame suivante est arrivée peu après. J'appuie pour ouvrir la porte et je le vois qui descend, bien droit. A travers la vitre, je l'ai suivi un instant du regard : toujours le même port de tête, toujours la même démarche. C'était bien lui. Je venais d'assister à un événement impossible.

Dimanche 29 octobre 2006 à 21:53


Il me reste dix minutes à vivre. Je vais essayer de vous raconter mon histoire. En dix minutes : c'est promis.


Je croyais que j'allais suivre mon petit bonhomme de chemin sans faire de vagues, je me trompais ; je croyais que le monde n'était ni amical ni hostile, je me trompais.

Je me sentais comme en vacances ce jour-là, je venais d'être libéré d'un stage ennuyeux et attendais sans enthousiasme le début du suivant, trois jours plus tard. Il faisait beau, j'avais décidé de marcher un peu. Je vous passe les détails. Une promenade au soleil dans une ville où il pleut trois jours sur quatre, par une température agréable alors que l'hiver n'est pas encore terminé, c'est un plaisir qu'on ne se refuse pas. Mais c'est un plaisir si simple, si banal, qu'on n'éprouve pas le besoin d'en parler. Or, tout d'un coup j'ai vu arriver sur le trottoir un homme qui a tout de suite attiré mon attention. Un peu plus grand que la moyenne, maigre, marchant assez lentement, mais très droit, la tête haute, comme s'il fixait un point situé légèrement au-dessus de la tête des passants. Il était habillé d'un complet sombre, vraiment démodé. Il avait aussi un chapeau noir comme on n'en porte plus. Il allait son chemin, parfaitement à l'aise au milieu de tous ces gens si différents de lui, comme s'il était sûr de passer inaperçu, et cela ne le rendait que plus voyant. Je l'ai croisé, j'ai continué mon chemin, et aurais oublié l'incident si…


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