Mercredi 8 novembre 2006 à 18:15


Blaise fit trois pas en direction de la terrasse. Il s'étonna de n'apercevoir aucune voiture. Beaucoup trop nombreux pour habiter tous dans ce hameau, ces gens semblaient être venus à pied.
Le soleil allait se coucher ; l'air se chargeait d'or ; les arbres verts encore s'illuminaient avant de virer au noir ; sur le sol, les premières feuilles mortes annonçaient l'automne. Ainsi les saisons s'enchevêtrent-elles quelque temps avant que la plus ancienne ne cède la place à la plus jeune.
Il régnait un calme surprenant en ce lieu. La fête se déroulait sans micro et sans sono ; la musique de l'accordéon faisait comme une légère brume sonore sous les marronniers, les gens parlaient doucement. Blaise sentit remonter quelque chose du fond de lui-même, comme si cette fête était beaucoup plus que cet événement imprévu : un souvenir d'enfance. Oh, non pas le souvenir d'un événement réel, mais le souvenir absolu, idéal, d'un bonheur tout près duquel il serait passé sans l'atteindre et qu'il aurait laissé derrière lui une fois pour toutes.

Mardi 7 novembre 2006 à 17:01


Blaise consulta sa montre, hésita une seconde car il se faisait tard, puis s'engagea sur le chemin. C'était d'ailleurs mieux qu'un chemin; la voie semblait carrossable et d'une facture plutôt soignée. Elle menait droit au fleuve. Blaise pensait savoir où. Un peu plus loin, en effet devait se trouver un groupe de trois ou quatre maisons construite à proximité d'un vieux moulin. A cet endroit, autrefois, un homme faisait passer le fleuve sur sa barque. Le chemin que Blaise suivait devait être celui qu'empruntaient les chars qui portaient le grain et revenaient ensuite avec la farine. Il y avait si longtemps de cela !

Il allait arriver à l'emplacement du moulin. Il pensait n'y trouver que des ruines broussailleuses et fut surpris de longer un verger, un jardin enclos et soigneusement entretenu, puis des bâtiments assez vieux mais nullement délabrés. Il avisa même une vieille pièce de cinq francs d'avant l'euro, égarée sur le chemin. Il la ramassa et la rangea dans sa poche.
Il parvint enfin à la hauteur d'une auberge, tout à fait inattendue. Sur la terrasse, justement, on donnait une fête. Les tables de fer avaient été rangées en fer à cheval sous la marronniers. Elles étaient toutes occupées. Juste à côté, une piste de danse : un accordéoniste jouait sur une petite estrade, quatre ou cinq couples dansaient, presque immobiles. De l'autre côté du chemin, le fleuve.  Une barque était amarrée. Tout de même pas celle du passeur ! Le fleuve était gris et paraissait froid.





Lundi 6 novembre 2006 à 17:08



Septembre, septembre sans brouillards, chaud, amical et superbe. L'été lançait un dernier cri avant de se dissoudre dans les fumées de l'automne.

Au déclin de l'après-midi, Blaise s'en allait d'un bon pas à travers la campagne. Tous les jours, depuis cinq ans, il marchait vigoureusement une heure ou deux par les bois, le long des champs, sur les berges du fleuve : astreinte quotidienne visant à restaurer peu à peu son cœur foudroyé. Puisant sa respiration dans le vent, il ne sentait plus passer les années, il marchait plus droit, plus vite, plus longtemps et joyeux. Mais surtout, il avait enfin découvert ce qu'il savait pourtant sans avoir réussi à le vivre jusque-là : le monde était beau, d'une beauté innocente et proche !
Ce jour-là, ivre de lumière et de silence, il avait porté ses pas un peu au-delà des limites ordinaires. Il suivait la route des hauts qui domine le fleuve, quand il aperçut sur sa droite un chemin empierré qui s'inclinait en direction la berge. Chemin inconnu, vieille route abandonnée, débarrassée de ses ronces, garnie de gros pavés ronds. Avait-elle toujours été là sans qu'il l'ait jamais remarquée ?


Lundi 6 novembre 2006 à 17:03


Je ne suis pas sûr que ma dernière histoire ait été bien comprise ; alors en voici une autre, en dix épisodes également, juste pour l'expliquer.


Comme cette histoire est éminemment métaphorique, je la dédie à une demoiselle capricieuse qui prétend n'avoir pas bien saisi en quoi consiste cette figure, ce qui est gênant quand on s'intéresse à la littérature, puisque la littérature tout entière n'est qu'une immense métaphore.

Pensez à un morceau de musique, puisqu'on va danser.


Dimanche 5 novembre 2006 à 11:49


Plusieurs jours ont passé depuis le verdict. Plusieurs nuits surtout, interminables, à m'agiter sans pouvoir fermer l'œil.
Hier soir, seulement, vaincu, épuisé, j'avais enfin cédé au sommeil, un sommeil massif, pétrifiant. Et soudain, j'ai senti qu'on m'appelait. On me secouait, énergiquement mais sans méchanceté. C'était le moment. La pendule indiquait quatre heures du matin. Il y avait déjà trois personnes dans ma cellule. On m'a fait passer des vêtements propres, j'étais abattu. On m'a conduit dans les couloirs de la prison. Je n'ai pas résisté, mais j'étais si faible qu'on devait me soutenir. Une porte s'est ouverte et j'ai découvert mon bourreau. Il se tenait debout, le regard vague. J'ai tout de suite reconnu ses yeux bleus, son demi-sourire, son complet noir, et j'ai compris.

                                      
                                                                        Terminé.



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