Mardi 28 novembre 2006 à 23:02


Il quitta enfin la forêt et parvint aux abords du sommet, un bien modeste sommet, deux mille mètres à peine, l'altitude des derniers pâturages. D'autres montagnes, plus imposantes, se détachaient tout autour de lui sur le ciel qui virait au bleu. Il fallait marcher encore deux ou trois cents mètres, la pente devenait plus douce et l'on accédait à un petit replat qui marquait le point culminant. On ne pouvait aller plus loin, car l'autre versant était abrupt. En hiver, il ne fallait surtout pas se risquer trop près du bord, car la neige soufflée par le vent formait surplomb qu'un promeneur mal informé ne soupçonnait pas.

Il s'arrêta donc, enleva ses gants, se passa une main sur la figure. Un vaste paysage s'étalait devant lui, dans l'ombre, masqué par la brume. Mais dans quelques minutes, le soleil se lèverait derrière son dos, à la limite des montagnes qui fermaient l'horizon. C'était le moment de redescendre. Il remit ses gants, fit demi-tour et vérifia ses raquettes.
Il allait se remettre en marche, quand il avisa, devant lui, à une vingtaine de mètres tout au plus, une tache colorée, juste à côté de la trace qu'il avait laissée en arrivant. Il s'approcha, et ramassa un petit ruban écarlate, posé sur la neige comme s'il l'avait perdu lui-même quelques instants plus tôt. Mais ce ruban n'était pas à lui. Il le ramassa, l'examina avec curiosité, puis le glissa dans sa poche. De part et d'autre de sa trace, la neige s'étendait parfaitement intacte.
La descente fut rapide, comme d'habitude; il oublia le ruban et ne pensa plus qu'à rentrer chez lui.




Lundi 27 novembre 2006 à 20:01


Il grimpait, un pas après l'autre, sans trop se fatiguer. Déjà l'aube s'annonçait discrètement: une tache plus claire au sud-est faisait comme une vague fenêtre au bout d'un couloir obscur. La neige était profonde. Il s'arrêta une première fois, s'essuya le front et resserra les attaches de ses raquettes. Le jour était encore loin, mais l'obscurité cédait peu à peu; les arbres tout autour se détachaient de l'ombre.
Il se remit en route. La blancheur encore éteinte du paysage commençait à parler; la surface de la neige gardait en mémoire les frôlements et les drames de la nuit. Ici, un cerf était passé ; là les traces d'un chien errant (d'un loup ?) recouvrait en partie celles d'un chevreuil : le prédateur patient et tenace avait peut-être déjà rejoint sa proie. Un peu plus loin, quelques plumes à la surface de la neige et trois gouttes de sang ...
La montée était longue, les raquettes enfonçaient un peu trop. Le marcheur s'essoufflait. Il s'arrêtait plus souvent, il devenait un peu maladroit, effleurait parfois les branches des sapins chargés de blanc. Il sentait une morsure glacée dans son cou quand un nuage de poudreuse tombait sur ses épaules. Il fallait qu'il atteigne le sommet avant le lever du soleil. Il le devait, absolument.



Dimanche 26 novembre 2006 à 11:10


Dix paliers jusqu'au réveil

Il quitta son lit car c'était l'heure, et il lui fallut peu de temps pour se retrouver sur le seuil de sa cabane prêt à partir dans l'air glacé. Il se sentit aspiré par la nuit. Le ciel obscur était immense; les millions d'étoiles qui le peuplaient lui donnaient une profondeur vertigineuse où le regard se perdait. L'étroit chemin gelé était recouvert d'une couche de neige fraîche extraordinairement sèche et légère. Sur un kilomètre environ, on marchait aisément, car les promeneurs nombreux avaient fait la trace.
Il portait ses raquettes sous le bras. La neige poudreuse se soulevait à son passage tandis que la glace craquait sous ses semelles. Les sons se perdaient aussitôt émis, absorbés par la neige qui enveloppait tout. Il laissait derrière lui comme un sillage. Parvenu au bout du chemin, à la limite de la forêt, il chaussa ses raquettes et s'engagea dans la pente. Autour de lui, le silence était total; il n'entendait que le souffle de sa respiration, les battements de son cœur et le tassement de la neige sous la pression des raquettes.




Mercredi 15 novembre 2006 à 9:37


Le charme agissait encore, mais Blaise le savait fragile. Voulant à tout prix éviter les allusions ou les questions des vieillards, il prit les devants :
- Des fiançailles, vraiment ? Curieuses fiançailles ! Et quand le mariage aura-t-il lieu ?
Les vieillards n'hésitèrent pas une seconde :
- Cette nuit, à quatre heures du matin.
Blaise crut à une plaisanterie.
- Cette nuit ? A une heure pareille ? Mais ce n'est pas possible. Et d'ailleurs, le fiancé n'est même pas là !
- Mais bien sûr qu'il est là.
- Alors montrez-le-moi !
- C'est vous !
Cette réponse le tétanisa. Dans quelle embrouille était-il en train de basculer, si ce n'était déjà fait ?
- Impossible ! Moi-même, il y a deux heures, je ne savais pas que je viendrais ici.
- Vous non, mais elle, elle le savait.
- C'est de la folie et puis je ne connais même pas son nom !
- Comment ? Vous ne l'avez pas deviné ?
- Deviné ?
- C'est la Mort.

Terminé


Mardi 14 novembre 2006 à 20:09


La nuit enveloppait complètement le petit îlot de lumière ; la musique avait investi tout l'espace ; les danses s'enchaînaient. Blaise était subjugué ; il n'aspirait qu'à se fondre dans le rythme qui s'accélérait. Il ne sentait plus la fatigue. Soudain, un petit pincement dans sa poitrine cassa son élan, une fraction de seconde. Il se reprit, serra les dents et rassembla ses forces… mais la jeune fille ferma les yeux, baissa la tête et se détacha de lui.
Elle fit un signe à l'accordéoniste, la musique cessa instantanément; quelques notes suspendues se perdirent dans le feuillage.
« Attendez, dit-elle. Ne soyez pas si pressé, je vous en prie. Le moment n'est pas venu. »
Blaise se ressaisit. La jeune femme lui sourit, et lui prit le bras. « Il vaut mieux que nous retournions à nos places ! »
Blaise la reconduisit à sa table et retrouva sa chaise auprès des trois vieillards.
L'accordéoniste se fit servir un verre.



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